Le gouvernement du président Macky Sall, depuis quelques semaines, a engagé les acteurs de la société civile, partenaires sociaux, entrepreneurs divers dans une concertation et réflexion en vue de réduire le coût de la vie, notamment les prix des denrées de première nécessité. Car les émeutes de 2020 étaient d’abord un cri de ras-le-bol contre la vie chère, voire la faim dans un environnement de privations et de restrictions, de réduction d’activités économiques liées à la pandémie du Covid.
De nombreuses commissions ont été créées pour réfléchir et faire des propositions concrètes et applicables. Évitons que cette stratégie ne soit un « moyen d’enterrer les problèmes » en reportant les décisions sur le long terme. Or, il semble qu’il y a des décisions qui ne méritent plus de réflexions et qui pourraient être efficaces immédiatement. Elles dépendent d’une seule source pour ne pas dire « une seule personne » : l’État lui-même, incarné par le chef de l’État, Chef de l’administration, détenteur de tous les pouvoirs régaliens. Ces mesures pourraient être la contribution propre de l’État à la réduction du coût de la vie.
Réduire la taille du gouvernement (20 a 25 départements ministériels) et le nombre de structures administratives
Par État, il faut entendre et comprendre les institutions publiques quelles qu’elles soient, dotées de budgets et effectifs, financés par les ressources publiques, donc d’impôts et de taxes payés par les populations. Actuellement, l’Administration publique sénégalaise est devenue un monstre avec un nombre pléthorique de ministères, de directions générales, directions, agences d’exécution, délégations, services et structures ad hoc inclassables pour ne pas dire inqualifiables.
En 2012, à l’arrivée du président Macky Sall, tout le monde avait approuvé et applaudi l’effort de rationalisation administrative initié par ce dernier en réduisant à 25 le nombre de départements ministériels. Mais cet effort fut très vite stoppé huit (8) mois plus tard par un remaniement ministériel qui portait le nombre de départements ministériels à 35 puis à 38. Il est étonnant que dans un régime qui se réclame du libéralisme, les institutions publiques et administratives soient aussi nombreuses agissant souvent dans des secteurs qui devraient être laissés au secteur privé. Alors que le régime socialiste a laissé beaucoup de place au secteur privé avec les politiques de privatisation de nombreuses entreprises publiques, le désengagement de l’État de certains secteurs, les programmes de départs volontaires mis en œuvre pour réduire les effectifs et la masse salariale des agents de l’État, la réduction de la taille de l’État avec le slogan « Moins d’État, Mieux d’État ».
Toutes ces politiques et programmes d’actions qui sont plus dignes d’un régime libéral mais conçus par un régime socialiste, ont été remis en cause et complètement bouleversés par le régime de l’Alternance en 2000, apôtre pourtant du libéralisme politique et économique et poursuivis par le Gouvernement actuel depuis 2012. En 2010, les structures gouvernementales étaient composées de 37 ministères, 195 directions et Directions générales, 168 services rattachés et 69 démembrements de l’État. En 2022, 34 départements ministériels, 318 directions et directions générales et 214 structures ad hoc d’appellations diverses. Quant aux agences d’exécution conçues pour décharger l’Administration centrale de ses tâches d’exécution afin que celle-ci se consacre davantage et mieux à ses fonctions de conception des politiques, elles se sont multipliées à partir de 2000 à un rythme insoutenable au point qu’on a parlé de « l’agenciation » de l’administration, processus par lequel les dites agences se sont appropriées les missions de conception des services centraux de l’Administration, en plus vidant ceux de ses cadres de conception, attirés parle niveau des salaires et des avantages beaucoup plus attractifs proposés par ces nouvelles institutions.
Un effort de réduction du nombre des agences a été fait dans les années 2010 à 2012, sous la pression des partenaires financiers internationaux que sont le FMI et la Banque mondiale. Mais le processus de création de nouvelles agences a repris de plus belle au point d’atteindre le nombre initial de 52. Finalement, le gouvernement est revenu à la situation ex ante de 2010 où l’Administration était devenue un « monstre », décrié par tous, notamment les tenants du pouvoir actuel, du moins quand ils étaient en campagne électorale en 2011. Ce qui est constant, c’est qu’il est possible de réduire la taille du Gouvernement entre 20 et 25 départements ministériels. Ce qui a été fait durant les années de « braise » du régime socialiste, qui avait mis en place une structure gouvernementale de 25, 20, et même 19 ministres, doit pouvoir être possible dans un régime politique libéral qui prône la réduction des missions de l’État aux missions essentielles d’encadrement et de promotion des secteurs productifs laissés au secteur privé. Il convient également de supprimer le gouvernement « parallèle » ou « fantôme » qui est à la présidence de la République constitué de nombreux conseillers ayant statut, et rang de ministre. A un moment donné où les nominations étaient publiées, il avait été dénombré 30 à 40 Ministres Conseillers. Ces derniers n’ont aucune attribution écrite ni formelle. Et la plupart n’ont même pas de bureau. Par conséquent, une restructuration administrative devrait suivre en vue de réduire également le nombre de directions, directions générales et autres structures administratives.
Réduction et contrôle des effectifs de personnels pléthoriques dans le secteur public
En faisant « sauter » tous les instruments de contrôle de la masse salariale, notamment la Cellule de Contrôle des Effectifs et de la Masse Salariale (CCEMS) rattachée à la Présidence de la République, puis au ministère des Finances qui imposait une procédure d’autorisation formelle avant recrutement, les effectifs de la Fonction Publique sont passés de 65 000 agents en 2000 à plus de 145 283 en 2019. Soit une augmentation de plus de 200% ! Qu’est-ce qui peut justifier ces recrutements aussi massifs ?
En tous cas pas un accroissement d’activités! De même dans le secteur parapublic et des agences d’exécution, le niveau des effectifs est aussi pléthorique et ne correspond à aucune réalité d’activités. Dans ces deux derniers secteurs, les dirigeants ont vite confondu autonomie de gestion avec liberté, voire libre arbitre pour le recrutement. Le principe de l’autonomie de gestion dont bénéficient les entreprises publiques et les agences ne doit pas signifier qu’il est permis aux dirigeants de recruter sans tenir compte des besoins réels justifiables et des ressources financières de celles-ci. Il est étonnant et scandaleux qu’une entreprise comme la Poste ait atteint ce niveau d’effectif incompréhensible dans un secteur où l’évolution des technologies de communication dans le monde a conduit à des réformes structurelles du service de la Poste dontla caractéristique fondamentale est une réduction drastique des effectifs. 5000 agents à faire quoi ? Alors que la Poste a perdu beaucoup de ses parts de marchés ! Comment l’organe d’orientation et de contrôle qu’est le Conseil d’Administration a pu laisser faire et couvrir ces dérives ?
La même question doit être posée aux corps de contrôle comme le Contrôle Financier, membre permanent de tous les conseils d’administration. La responsabilité des administrateurs doit être engagée comme celle de Directeurs généraux qui se sont succédés ces dix dernières années face à ce désastre de gestion jamais vu! C’est l’exemple le plus catastrophique de la gestion actuelle des entreprises publiques au Sénégal. Ily en a d’autres cas tout aussi graves qu’on pourrait citer.
Mettre fin à l’impunité des dirigeants
Dire que « j’ai mis des dossiers sous le coude » c’est promettre l’impunité aux auteurs d’actes de mauvaise gestion des dirigeants des entreprises publique et de l’Administration en général. Tout semble permis ! D’où ces recrutements massifs dans beaucoup d’entreprises, agences et autres services que rien ne justifie sinon la politique clientéliste. De même que les nombreux actes de mauvaise gestion sans se soucier des intérêts de l’entreprise. Comment mettre un terme ou freiner ces dérives ? D’aucuns me diront « peine perdue » : les politiques de transparence, de bonne gouvernance n’étant que des slogans politiques voire politiciens. Aussi est-il important de mettre fin à l’impunité des dirigeants et à l’absence de reddition des comptes. A cet effet, il faudrait libérer les corps de contrôle (IGE, Contrôle Financier) en les plaçant sous l’autorité de la Justice ou en leur donnant les compétences pour saisir directement la Justice. En outre, il est possible de mieux encadrer les politiques de recrutement dans le secteur parapublic et l’Administration publique.
Mettre en place une procédure d’autorisation préalable de recrutement dans le secteur parapublic
Dans le secteur parapublic, il faudrait mettre fin à la liberté de recrutement de la Direction Générale et mettre en place une procédure d’autorisation préalable par le contrôle financier de la présidence de la République. Il pourrait être exigé de toutes les entreprises publiques l’élaboration d’un organigramme optimal de l’entreprise avec l’identification des emplois nécessaires sur le court et moyen termes, ainsi que les conditions à satisfaire pour augmenter l’effectif dans un emploi bien identifié A cet effet, il serait nécessaire que l’entreprise publique procède à l’élaboration des fiches descriptives de poste de tous les emplois prévus. Il est peu sûr que les entreprises publiques sénégalaises aient développé cet outil de gestion très important et utile dans le management des ressources humaines. La fiche descriptive de poste est la référence pour procéder à un recrutement dans l’entreprise. Si elle n’existe pas, tout recrutement se fait « au pif » avec tous les risques de mauvais choix.
Restaurer la cellule de contrôle des effectifs et de la masse salariale (CCEMS) dans la fonction publique
Cette institution avait été créée dans les années 1980, rattachée à la Présidence de la République. Elle a été très utile dans la limitation et surtout la rationalisation des recrutements dans la Fonction Publique. Sa suppression a permis toutes les dérives constatées dans le recrutement au sein de la Fonction Publique.
Suppression des institutions de recasement des grands électeurs
Il s’agit d’un certain nombre d’institutions aux budgets énormes voire presque équivalents à celui de l’Assemblée nationale et dont les membres sont rémunérés et ayant des avantages matériels et financiers au même niveau presque que les députés. Les ressources financières consacrées au fonctionnement de ces institutions sont énormes et pourraient servir à soutenir les coûts de certaines denrées essentielles, de l’énergie et d’autres facteurs de production et des investissements pour le développement de l’agriculture. La création et le maintien de ces institutions n’ont qu’un objectif, voire une finalité : « caser » une clientèle politique dont le pouvoir aura besoin pour les échéances électorales. Quand on examine les missions fixées à ces institutions, rien de particulier qui ne soit exercé ou ne puisse l’être, par des services de départements ministériels existants. Et ces services sont plus outillés et disposent de ressources humaines plus compétentes que celles qu’on trouve dans ces institutions. Ces institutions publiques sont les suivantes :
– Le Conseil Économique, Social et Environnemental ;
– Le Haut Conseil des Collectivités Territoriales ;
– La Commission nationale d’évaluation des Politiques Publiques ;
– La Commission nationale du Dialogue des Territoires ;
– La Commission nationale du Dialogue social.
En plus de ces institutions, il existe un grand nombre de structures ad hoc avec des appellations diverses (commission ou cellule ou unité), rattachées à la présidence de la République et à la primature dont l’utilité est douteuse mais qui sont certainement coûteuses pour le contribuable. Les budgets de fonctionnement et les charges récurrentes (véhicules, logement, etc.) au fonctionnement sont en hausse constante chaque année dans la loi de finances de l’État. Il est certain que les ressources financières consacrées à ces institutions produiraient plus d’impacts positifs dans d’autres secteurs.