A peine les résultats de l’élection présidentielle du 24 février 2019 étaient connus, c’est-à-dire dès que la réélection du Président Macky Sall fut actée, que le débat avait ressurgi sur son éventuelle nouvelle candidature en 2024. Ce débat avait commencé lors du référendum de 2016 pour la révision de la Constitution. A ce moment-là, tout le monde s’accordait sur la possibilité offerte, du point de vue du Droit, au Président Macky Sall de pouvoir se présenter s’il le désirait, en 2019 et 2024. D’ailleurs, des déclarations éloquentes restent dans les archives. On pouvait certes deviner que Macky Sall allait se représenter en 2019, mais bien rares devaient être les esprits qui songeaient déjà à 2024. Les assurances données par l’intéressé pouvaient interdire d’envisager cette perspective. Macky Sall répétait à l’envi qu’il avait souhaité, avec la nouvelle Constitution, non seulement bloquer définitivement à deux le nombre de mandats présidentiels (et que la règle lui serait applicable), mais aussi réduire à cinq ans le mandat qu’il avait obtenu des électeurs en 2012 pour une durée de sept ans.
Le Président Macky Sall était si enthousiaste pour cette limitation stricte des mandats présidentiels, et il joignit l’acte à la parole. Le texte initial du projet de réforme constitutionnelle comportait une disposition spécifique qui voulait que le mandat en cours (2012-2019) soit pris en compte par la nouvelle Constitution révisée et que le Président Sall voulait même réduire son mandat de sept à cinq ans. On peut facilement réaliser qu’outre la conviction personnelle du Président Sall, la situation de tumultes provoquée par la candidature de Me Abdoulaye Wade en 2012 pouvait être dissuasive ou que l’euphorie de son élection ne s’était pas encore dissipée.
Seulement, le chef de l’Etat semblait perdre de vue un principe immuable en Droit qui voudrait qu’une loi nouvelle, autre qu’une loi pénale plus douce, ne saurait être rétroactive, c’est-à-dire s’appliquer et régir des situations juridiques qui lui sont antérieures. Pour ce qui le concernait, le Conseil constitutionnel, appelé à examiner le projet de loi de révision constitutionnelle, avant sa soumission au vote référendaire, avait jugé que la disposition transitoire envisagée constituait une véritable hérésie juridique et pourrait se révéler comme une grave menace pour l’ordre juridique.
C’est ainsi que dans sa décision n°1-C-2016 du 12 février 2016, toujours consultable sur son site internet, le Conseil constitutionnel souligne : «Considérant que l’article 6 du projet qui a pour objet de donner une nouvelle rédaction à l’article 27 de la Constitution, fait passer la durée du mandat du président de la République de 7 à 5 ans ; considérant en outre qu’il est inséré dans ledit article 27, un alinéa 2 qui, pour régler une question de Droit transitoire, prévoit que la nouvelle disposition sur la durée du mandat du président de la République s’applique au mandat en cours ; considérant que la règle énoncée à l’alinéa 2, destinée à fixer une situation dont les effets sont limités dans le temps et par essence temporaire, va cesser, une fois son objet atteint, de faire partie de l’ordonnancement juridique ; considérant qu’en tant que telle, elle est incompatible avec le caractère permanent attaché à l’article 27 que le pouvoir constituant entend rendre intangible en le rangeant dans la catégorie des dispositions non susceptibles de révision ; considérant que cet alinéa au caractère personnel très marqué est inconciliable avec le caractère général des règles par lesquelles la Constitution organise les institutions de la République et protège les droits fondamentaux ainsi que les libertés individuelles des citoyens ; considérant, en effet, que les règles constitutionnelles adoptées dans les formes requises s’imposent à tous et, particulièrement, aux pouvoirs publics, lesquels ne peuvent en paralyser l’application par des dispositions qui, en raison de leur caractère individuel, méconnaissent par cela seul, la Constitution ; considérant que la sécurité juridique et la stabilité des institutions, inséparables de l’Etat de Droit dont le respect et la consolidation sont proclamés dans le préambule de la Constitution du 22 janvier 2001, constituent des objectifs à valeur constitutionnelle que toute révision doit prendre en considération, pour être conforme à l’esprit de la Constitution ; considérant que pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le Droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance ; considérant que ce droit s’entend non seulement des règles constitutionnelles écrites, mais aussi de la pratique qui les accompagne et des précédents qui éclairent les pouvoirs publics sur la manière de les interpréter ; considérant qu’au moment où le mandat en cours était conféré, la Constitution fixait la durée du mandat du président de la République à sept ans ; considérant, s’agissant des modalités d’application dans le temps des lois de révision ayant une incidence sur la durée du mandat en cours du président de la République, que des précédents se sont succédé de manière constante depuis vingt-cinq ans ; considérant qu’il résulte de ces précédents (…) que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle ; considérant que ces précédents qui ont marqué l’histoire constitutionnelle du Sénégal sont également observés dans d’autres Etats partageant la même tradition juridique ; considérant, en effet, que ni la sécurité juridique ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.»
C’est fort de cet argumentaire que le Conseil constitutionnel avait décidé que «la disposition transitoire doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle ne pouvant s’appliquer au mandat en cours». La disposition transitoire sera donc biffée du texte réécrit par le Conseil constitutionnel et qui sera soumis au vote référendaire.
On constate que par cette décision, le Conseil constitutionnel était allé à l’encontre des desiderata du Président Macky Sall. C’est alors à son corps défendant qu’il tirera un mandat de sept ans. La même situation avait été connue avec le Président Abdoulaye Wade de 2000 à 2007 et avec Jacques Chirac (France) de 1995 à 2002. Cette situation juridique, nous l’avions perçue, avant même l’adoption de la loi référendaire révisant la Constitution, qui a été adoptée à 62,5% des voix le 20 mars 2016. Dans un texte en date du 16 février 2016, j’annonçais : «Macky Sall, sept ans ou démission au bout de cinq ans.» Nous soulignions que l’adoption de la révision constitutionnelle remettrait le compteur des mandats à zéro et que Macky Sall serait bien obligé de se tirer un septennat car le mandat obtenu en 2012 ne saurait être écourté, encore moins pris en compte si le Peuple sénégalais adoptait la révision proposée. Mieux, il semble important de rappeler que sur cette même question, j’avais été sollicité par le magazine Jeune Afrique, pour un Guest éditorial et j’y indiquais, le 19 février 2016, dans un article intitulé : «Macky Sall, l’histoire d’une promesse impossible à tenir», que le Conseil constitutionnel du Sénégal ne saurait satisfaire les désirs ou caprices du Président Sall. Le papier révélait en outre le courroux du Président Sall en mai 2015, quand, au cours d’un voyage en Guadeloupe, j’attirais son attention sur la fatalité que sa volonté ne saurait prospérer devant le Conseil constitutionnel. J’insistais sur la question, dans une autre chronique en date du 14 mars 2016, intitulée «Au-delà de nos personnes».
Aujourd’hui, aucun juriste sérieux n’ose soutenir le contraire. Une nouvelle candidature du Président Sall en 2024 devra obtenir l’onction du Conseil constitutionnel comme d’ailleurs ses opposants, notamment Ousmane Sonko et Barthélemy Dias, certes désabusés, l’expliquaient pertinemment au moment du référendum de 2016. Maintenant, ils s’autorisent à menacer d’empêcher une éventuelle candidature de Macky Sall ! Ce sera une autre histoire. Il reste à savoir si Macky Sall lui-même voudra tenter le pari. En tout cas, nombre de ses proches l’enjoignent de le faire.
Mbaye Ndiaye, l’hirondelle qui fera le printemps
Il appartiendra au citoyen Macky Sall de se déterminer personnellement à être candidat ou pas. En aura-t-il la volonté ou l’ambition ? Ses compagnons ne semblent pas vouloir lui laisser le choix. Le directeur des Structures de son parti, l’Alliance pour la République (Apr), Mbaye Ndiaye, a mis les pieds dans le plat dans l’édition du journal Le Quotidien du 11 novembre 2022. Le lendemain, 12 novembre 2022, les foules de militants rassemblés au siège de l’Apr pour le lancement des opérations de vente des cartes du parti n’avaient qu’un slogan, celui de la candidature de Macky Sall en 2024. D’autres cercles comme le Mouvement national des femmes de l’Apr ou quelques autres responsables parlant en leur nom personnel, le désignaient comme leur porte-étendard pour la prochaine élection présidentielle. Macky Sall semble être la meilleure chance de succès pour l’Apr et la Coalition Benno bokk yaakaar (Bby) pour ce rendez-vous électoral.
En effet, le 8 août 2022, dans une chronique, nous évaluions «les chances de Macky Sall en 2024» pour dire que si d’aventure il n’était pas candidat, on compterait une flopée de candidatures au sein même de l’Apr et provenant d’autres entités de Bby. Le risque serait un émiettement de leur bassin électoral et qu’en conséquence, il serait difficile ou impossible pour un candidat issu du camp du pouvoir sortant, de se qualifier à un second tour. Macky Sall apparaît ainsi comme la bouée de sauvetage de l’Apr et de Bby, mais il reste qu’il s’était engagé, plus d’une fois, à ne pas faire plus de deux mandats à la tête de son pays. Le dilemme est tenace. Laissera-t-il son camp sombrer pour préserver son confort personnel ou pour respecter un engagement solennel ? Quelle autorité ou capacité garde-t-il pour amener son camp à réaliser l’unité autour d’un candidat qui pourrait leur assurer la victoire ? On remarquera qu’il n’a pas réussi à éviter les dissensions, querelles et féroces guerres de positionnement lors des investitures aux élections locales ou législatives.
Lors des joutes électorales de janvier et juillet 2022, des candidats de Bby, dans de nombreuses circonscriptions, ont essuyé des revers à cause essentiellement de l’hostilité manifeste de leurs camarades du même bord politique. Au demeurant, Macky Sall laissera-t-il le Sénégal courir le risque majeur de tomber entre les mains d’un aventurier comme Ousmane Sonko qui fait du mensonge, de l’outrance, de l’injure et du dénigrement, son credo politique et qui menace déjà publiquement de régler des comptes aux policiers, gendarmes, magistrats, autres fonctionnaires ou tout autre citoyen qui n’est pas de son camp politique ? Il n’est pas sûr que tout ce beau monde se laissera docilement sacrifier de manière aussi injuste. En outre, la semaine dernière, nous soulignions dans ces colonnes : «Si en 2024 Ousmane Sonko a la chance de devenir Président du Sénégal, ce sera fatalement une auto-humiliation pour son Peuple qui aura la honte de voir les ébats sexuels ou les images de l’anatomie intime du premier des citoyens dans les smartphones de ses compatriotes. Il sera «un président à poil.» Sacrilège !
De nombreux opposants redoutent également cette éventualité d’un Ousmane Sonko au pouvoir et s’accommoderaient peut-être mieux d’un Macky Sall pour un autre quinquennat qui devrait être l’ultime. Il serait plus facile de le laisser «chauffer» la place pour cinq ans, plutôt que de voir s’installer un autocrate qui devrait rester plus longtemps. En effet, certains destins de présidentiables ne pourront pas survivre jusqu’à l’horizon 2034 !