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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Moi, Noire, Musulmane, FÉministe

« Je suis féministe » Aussi longtemps que je me souvienne, cette assertion a revêtu une connotation péjorative, pas seulement au Sénégal, mais dans le monde entier. Être féministe, est assimilé à une revendication insensée menée par des femmes pour la plupart jugées acariâtres, hystériques et « anticonformistes », dans le but d’acquérir des droits longtemps bafoués et/ou profondément annihilés par une solide puissance masculine dominatrice ne souffrant d’aucune équivoque. Être féministe dans mon pays c’est revêtir la toge d’un avocat du diable. Bien entendu, la métaphore n’est pas difficile à saisir : le diable est la femme, le sexe faible comme la société a choisi, sans grand effort, de la caractériser. Aujourd’hui encore, les sénégalais aiment comparer les féministes à des personnes frustrées, n’ayant ni la délicatesse, ni le tact requis pour séduire et retenir un homme dans le but strict et « glorieux » du mariage. Dans l’imaginaire commun des sénégalais, les féministes sont donc cette élite de « vieilles filles », célibataires, qui ont pour la plupart une très bonne condition sociale et qui refusent, (pour une raison évidente qu’est le déni de la subordination légendaire que chaque individu de sexe féminin doit vouer à un homme) de se « conformer » à la norme sociétale. En réalité, revendiquer les droits des femmes et réclamer une égalité parfaite entre les genres humains ne sauraient être le fondement du féminisme, selon eux, il y a sans nul doute une influence occidentale accrue qui chercherait à « pervertir » la société sénégalaise en bouleversant les « us et coutumes de nos ancêtres » bien ancrées dans les « entrailles du patriarcat ».

« Nous ne sommes pas des occidentaux » est certainement la phrase la plus courante qu’un homme ou une femme sénégalaise, sort lors d’une polémique sur la pensée féministe.

Beaucoup de femmes ignorent que des acquis politiques et administratifs (droit de vote, droit de déclarer son enfant né hors mariage, droit d’aller à l’école, droit de s’autodéterminer pour le mariage civil, loi sur la parité, criminalisation du viol …) qui leur semblent aujourd’hui naturels, sont le fruit de longues luttes menées par des féministes noires africaines, souvent au prix du sang. Et au-delà de la revendication exclusive des droits des femmes, ces dernières ont brillamment pris part à des évènements majeurs en y apportant un appui considérable ; on peut citer à cet effet la lutte pour les indépendances, la grève des cheminots de 1947 etc.

On fait souvent recours à la tradition pour demander aux femmes « de rester à leur place ». Le présent a la mémoire courte car notre histoire nous apprend à quel point la tradition accordait une place d’égale dignité aux hommes et aux femmes. Dans la société lébou les « ndey ji rew », figures féminines, dirigeaient l’organe de décision et régulaient la communauté afin d’y maintenir l’ordre. Aussi, la société wolof fut foncièrement matriarcale avec la transmission, par le biais de la mère de l’héritage familial, autant par le nom que par les biens matériels. Nous magnifions aujourd’hui encore la légendaire bravoure des femmes de Nder. C’est certainement grâce à cette « légitimité sociétale » des femmes, que la Reine du Walo Ndatté Yalla MBODJ en 1855 a pu mener la première résistance face aux colonisateurs français. La prégnance de sa lutte trouve un écho dans le sud du pays avec Aline Sitoe Diatta qui s’opposa fermement à l’invasion étrangère, jusqu’à notre histoire politique contemporaine avec Soukeyna Konaré connue pour ses passes d’armes avec Lamine Gueye, tout puissant premier président de l’assemblée nationale sénégalaise. Ces éléments factuels démontrent l’importante place accordée à la femme dans la société sénégalaise d’antan mais sont surtout la preuve que les femmes ont toujours semé des germes de changement solides.

C’est fort de cet héritage socio historique, que plusieurs mouvements féministes et organisations féminines ont fait leur apparition vers les années 70 et 80 (l’Association des juristes sénégalaises (AJS) (1974),la Fédération des associations féminines du Sénégal (FAFS) (1977), l’Association des femmes pour la recherche et le développement (AFARD) (1977), le mouvement Yewu Yewi (1984) etc). Grace à ce bouillonnement associatif et intellectuel, le Sénégal procèdera à la ratification de l’ensemble des Conventions relatives aux droits des femmes et jettera les bases politiques et juridiques pour l’égalité femme-homme (SNEEG). Force est donc de reconnaitre que les transformations sociales et politiques apparues au Sénégal, impulsées par les combats féministes, ont permis une meilleure représentation des femmes dans les institutions dirigeantes, l’intégration du genre dans les politiques de développement, et la mise en place de mécanismes de promotion féminine.

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Cependant, malgré ces avancées considérables sur le plan institutionnel, l’absence d’une rupture dans la question de la subordination dans les rapports de genre est palpable. La marginalisation des femmes demeure un fait social indéniable. Ce hiatus entre une base culturelle favorable à la femme et une réalité contemporaine qui l’oppresse s’expliquerait par quelques tournants historiques marquants qui ont quelque peu « déstructuré » le système social sénégalais. Il s’agit de l’arrivée de religions étrangères et de la colonisation française. En effet, le leadership reconnu aux figures féminines citées plus haut (Ndatté Yalla, Aline Sitoé Diatta…) ainsi que la pratique du matriarcat dans la société wolof, s’effriteront au contact de ces apports culturels et cultuels venus de l’extérieur. Le mauvais procès fait à la cause féministe, proviendrait alors de l’interprétation arbitraire faite par des hommes de certains textes religieux, et d’un legs colonial inadapté à nos réalités culturelles.

… La transposition de modèles culturels prônant l’exclusion des femmes du système politique et donc de la sphère décisionnelle, ainsi que la négation de l’accès à la terre opposée à ces dernières (Loi salique XIVe siècle) (F.S.SARR — 2018), dilueront le « pouvoir » des femmes. Cet état de fait se poursuivra jusqu’après les indépendances et s’insurgera dans l’espace socio culturel. Les femmes sont de plus en plus confrontées à des obstacles d’ordre structurel causés par des lois et des institutions discriminatoires (code de la famille-1972) qui réduisent leurs possibilités d’entrer pleinement dans l’exercice de leurs droits humains. A titre illustratif, plusieurs dispositions du code de la famille qui confèrent un total pouvoir à l’homme au sein du foyer au détriment de la femme, sont aujourd’hui encore sujets à une forte polémique (voir référence en bas de page). À noter que ces dispositions ne tiennent pas seulement compte de l’univers socio culturel sénégalais, mais sont fortement inspirées de références juridiques occidentales et arabo musulmanes qui, loin de s’opposer totalement à notre réalité coutumière, s’insurgent pour la plupart, contre une bonne partie de nos valeurs et pratiques socio culturelles habituelles.

L’arrivée de religions étrangères bouleverse le cadre socio culturel sénégalais. En effet, l’interprétation faite des textes religieux, prône une classification sociale foncièrement orientée vers le patriarcat. À croire que « la réaction est humaine de se donner une large portion quand on partage le gâteau », c’est sans grande surprise que les hommes ont conféré aux hommes les pleins pouvoirs sur le plan politique, social, financier, en « s’appuyant », selon eux, «sur des recommandations religieuses». Une multitude de règles restrictives à l’égard de la liberté d’expression, de l’exercice du pouvoir, de la participation à la vie politique, est désormais appliquée aux femmes, « au nom de la religion ». Elles se voient ainsi retirer des espaces de décision communautaires et familiaux. L’imaginaire sénégalais voudrait donc que les femmes soient dûment habilitées à se conformer à une interprétation plus ou moins « erronée » de nos références religieuses. Cette posture devant implicitement impliquer une annihilation d’un mouvement revendicatif de droits des femmes et donc d’une pensée féministe. Le contexte socio historico politique est une preuve concrète du retrait des femmes de l’espace politique, du refus opposé à leur désir de parole.

Le Pr Saliou NGOM révèle à cet effet, que la plupart des recherches faites sur la participation politique des femmes distinguent une période d’exclusion symbolisée par l’absence des femmes dans les instances de décisions dans les années 70 et une période d’inclusion impulsée par les mouvements féministes et les politiques d’empowerment.

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« Au nom de la religion », qu’elles se taisent, et qu’elles n’aient droit à la parole que lorsque qu’elles y sont autorisées!

Plusieurs chercheurs dont Zahra Ali, s’interrogent. Cette dernière dans son ouvrage intitulé « Je suis musulmane et féministe, ne soyez pas surpris ! » pose cette problématique : « En tant que musulmane pratiquante et féministe convaincue, j’aimerais que tous ceux qui nient la possibilité de mon existence commencent tout d’abord par se demander pourquoi penser que « l’islam est une religion patriarcale » leur paraît si évident ? D’où leur vient cette certitude selon laquelle l’islam — plus que toute autre religion — serait par définition inégalitaire et oppressif à l’égard des femmes ? »

Tant de questions qui méritent des réponses plausibles, concrètes et réalistes dans une société comme la nôtre qui continue d’alimenter une polémique anti féministe mue par une ignorance totale des fondements de la dite pensée.

En réalité le féminisme est, et demeurera une lutte acharnée d’une poignée de femmes et d’un soupçon d’hommes pour l’atteinte d’abord : des droits humains des femmes, de leur dignité humaine, de leurs libertés individuelles, du respect de leur condition de femme avec tout ce que cela comporte comme singularité caractérielle, particularité et spécificité des besoins. Le féminisme représente aussi, ce mouvement féminin, capable de mettre à nu les failles d’une communauté humaine, qui en lieu et place d’une promotion de l’équité et de l’égalité des genres, creuse les écarts entre ces derniers en magnifiant des pratiques juridico institutionnelles néfastes, en s’auto glorifiant d’un patriarcat funeste, au détriment d’une égale dignité entre les femmes et les hommes.

Aujourd’hui, après plusieurs siècles de combats, avec en poche la consécration de l’égalité des droits entre les sexes en politique et dans la vie publique par l’article 7 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, les inégalités salariales persistent, la non effectivité ou l’application partielle de plusieurs acquis juridiques (droit à l’avortement, criminalisation du viol, parité etc) sont encore d’actualité et la démocratie telle que pratiquée au Sénégal et le système politique en général, sont de loin favorables à l’exercice des droits des femmes. Les écarts entre les genres sont davantage creusés par des pratiques institutionnelles, auxquelles s’ajoutent des facteurs socio-culturels qui ne favorisent pas la représentation des femmes dans les hautes instances. L’engagement politique des femmes a toujours été prégnant, mais tarde toujours à se traduire par une occupation réelle de postes politiques.

« On ne nait pas femme, on le devient » disait Simone De Beauvoir en faisant référence au processus de structuration des rôles et rapports de genre dans les sociétés. Cette assertion trouve un sens profond dans la modélisation des rôles au Sénégal où la « coutume » voudrait qu’on naisse fille, qu’on grandisse prédisposée à être une femme mariée, qu’on vive une vie d’épouse modèle et qu’on meurt mère. Aucune marge n’est laissée à la possibilité de faire éclore un potentiel leadership féminin propice au développement économique, à la réinvention des savoirs. Au contraire, l’exercice d’acquisitions de savoir-faire, de savoir être, de comportements, d’habitus, tourne autour d’une volonté marquée de façonner « une femme vertueuse » exempte de tout désir allant à l’encontre de la recherche d’« un bon mari » capable de subvenir à ses besoins, à qui elle vouera sa vie terrestre et duquel dépend son « bonheur dans l’autre monde ».

Cette « règle sociale » doit cesser à tout prix. Nous ne devons plus souscrire à une annihilation des droits de la plus grande moitié de la population humaine. Et parce qu’ « en tant que femme, nous devons montrer notre taux d’utilité nationale», j’emprunte l’expression à Mme Nafissatou Wade, je reste formellement persuadée que les luttes féministes ont leur place dans la marche continue de notre pays. Il est temps de mettre fin à des siècles de perpétuation de pratiques discriminatoires, de violences physiques, morales et psychologiques basées sur le genre, d’inégalités sociales grevant l’économie.

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Ceci passe par une réappropriation de nos valeurs culturelles pré coloniales, par la revivification de « notre histoire », l’histoire de l’Afrique, du Sénégal, racontée par nous-mêmes, par nos voix autorisées, par nos écrits consacrés (aussi peut soit il).

En réalité, l’histoire, en tout cas la bonne version, est indispensable dans la lutte contre les discriminations faites aux femmes et aux filles au Sénégal. Elle est importante en cela qu’elle reste le seul moyen d’édifier le peuple sur la véritable structure de son système social. En effet, l’occident n’a rien à nous apprendre et nous « n’avons personne à rattraper » en termes de leadership social inclusif et représentatif. Avec le matriarcat longtemps appliqué par la société wolof, avec l’existence des ndey ji rew, le rôle légendaire qu’ont joué nos reines et résistantes d’avant l’avènement des colons, nous avons toujours eu des femmes et des hommes valeureux. Notre histoire, qui débute bien avant l’avènement des religions venues d’ailleurs, nous prouve à plus d’un titre que notre système social était loin d’être inégalitaire.

Ce qui nous amène à dire que le fondement de la pensée féministe des africaines de l’Ouest et particulièrement des sénégalaises ne devraient pas se focaliser sur une acquisition de droits mais plutôt une réappropriation de ceux-ci.

Loin de moi l’idée de « diviser » les féministes et féminismes, mais il se trouve que chaque lutte détient intrinsèquement une origine légitime, un fondement historique. Ceux du féminisme ouest africain devraient résider dans le rétablissement du statut des femmes lors de la période précoloniale, la réappropriation des droits jadis détenus par celles-ci, leur réinsertion dans le système politique, avec comme seule référence, le système socio culturel sénégalais voire africain. Ce féminisme se veut revendicatif des droits des femmes sans aller à l’encontre du culte religieux, sans « déshabiller » les femmes, sans leur ôter les multiples fonctions sociales que la tradition Africaine — Sénégalaise leur assigne, tout en leur reconnaissant une réelle capacité à formuler une pensée, une pensée libre, déconstructrice de préjugés inégalitaires et constructive d’un monde meilleur. Ce féminisme s’identifie partiellement à Simone de Beauvoir — il magnifie sa bravoure, son innovation, il loue la noblesse de son combat mais réfute l’appel à la « dépravation » ainsi que le rejet de l’institution qu’est le mariage. Il en est de même pour la forme de revendication des Femens qui ne saurait être conforme aux valeurs traditionnelles africaines.

Des féminismes, il en existe ! Leurs formes de revendications peuvent diverger ainsi que les fondements théoriques, mais le socle de la dite pensée reste le même, celui de l’établissement d’une société où les femmes et les hommes sont égaux devant les institutions, la grille rémunératrice, la structure juridique, « l’œil socio communautaire ».

25 ans après Beijing 95, des disparités existent toujours au sein de nos communautés. Des avancées sont certes notées mais il persiste un large éventail de gaps à résorber.

Cependant, une nouvelle génération de féministes est née. Une génération qui s’attèle à l’écriture, à la pensée, aux actions et au changement ! Une génération qui s’identifie à une référence féminine africaine, noire, contemporaine, qui s’inspire de Mariama Bâ, Anette Mbaye Derneville, Ndeye Arame Diene, Marie Angélique Savané, Ndioro Ndiaye, Chimamanda Ngozie Adiche etc. Une brand new generation of feminists qui a compris qu’il est possible d’allier ses convictions religieuses avec celles politiques, qui n’hésitent pas à interroger les textes religieux, l’histoire, la realpolitik afin de souscrire à l’exercice de restructuration des sociétés africaines modernes, afin que les générations futures ne souffrent d’aucune discrimination et que l’égalité prime sur tout.







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