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La guerre russo-ukrainienne entre dans une phase critique avec le raffermissement du soutien militaire de l’Occident à l’Ukraine que symbolisent l’envoi de chars lourds et le durcissement de la rhétorique guerrière dans les médias. Le mot n’est pas lâché mais, au vu des développements récents, il est permis de dire que nous nous dirigeons vers un conflit mondial avec l’Europe comme théâtre des opérations.

Ce conflit, accompagné d’un chamboulement économique provoqué par les sanctions occidentales contre la Russie, a désorganisé l’économie mondiale dont la particularité était une globalisation organisée autour de l’Occident depuis Bretton Woods sur la répartition suivante des rôles:

Les États Unis assurant l’organisation des échanges via le dollar (monnaie des transactions internationales en particulier celles du pétrole), l’Union européenne dont l’essentiel du commerce est réalisé en interne,

l’Asie spécialisée dans la manufacture au regard de la faiblesse du coût du travail,

 l’Afrique spécialisée dans le pourvoi aux industries du monde de matières premières brutes qu’elle ne saurait transformer faute de know how, de capitaux, de coût des facteurs de production favorables.

La Russie est au cœur de l’actuelle désorganisation du commerce mondial puisqu’elle concentre l’essentiel des ressources (énergie, engrais) jusque-là indispensables à la compétitivité de l’industrie et de l’agriculture européennes.

L’exclusion du pays de Poutine du réseau bancaire Swift a conduit la Russie à se replier sur -réseau de substitution centré sur le rouble et les monnaies nationales des pays importateurs de gaz et de pétrole.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine prend donc aujourd’hui la forme d’un affrontement mettant en jeu l’avenir de l’Europe elle-même. La victoire éventuelle de la Russie est considérée comme la défaite de l’Europe avec des conséquences géostratégiques importantes.

Les deux camps comptent donc leurs amis et demandent aux indécis de se ranger clairement. La Russie n’a cessé d’assurer que l’embargo sur les engrais et les céréales russes et ukrainiennes ne concerne pas l’Afrique. Elle l’a dit et redit lors des rencontres du président Vladimir Poutine avec des dirigeants africains dont les présidents Macky Sall et Emballo de Guinée Bissau. L’Afrique qui, jusque-là, affiche sa neutralité dans cette guerre, est interpellée par l’Occident.

Cette demande d’alignement est pressante mais elle se heurte au fait que l’Afrique est divisible, malgré toutes les analyses la présentant avec beaucoup de démagogie et d’opportunisme comme un seul pays.

L’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud appartenant aux BRICS n’ont pas la même approche de la coopération internationale, ni la même histoire que les pays anciennement colonisés par la France. Même si l’Algérie en faisait partie, elle s’est libérée par les armes.

Sans détours, Ousmane Sonko, candidat potentiel à la présidence de la République, a été invité par ses intervieweurs de RFI et France 24, à préciser sa conception des relations avec la Russie, s’il était élu à la magistrature suprême. C’est dire que les enjeux de la présidentielle de 2024 dans notre pays comportent un aspect géostratégique inconnu jusque-là. Parlant de cette présidentielle, justement, il est clair que la campagne électorale est lancée.

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Le meeting de Keur Massar, organisé par Pastef, qui sera certainement suivi d’autres importants rassemblements, a donné le coup d’envoi.

La question « Sonko-Adji Sarr » constitue, ne nous voilons pas la face, la cause de l’accélération de cette campagne dans un contexte où le président Macky Sall observe un mutisme sur ses intentions tout en laissant le soin à ses lieutenants de préparer l’opinion à l’éventualité d’un troisième mandat.

Inutile de revenir sur les déclarations et dispositions constitutionnelles sur le 3ème mandat présidentiel qui a fait l’objet d’une précédente chronique. Les jeux seront faits lorsque l’annonce officielle de la candidature de l’APR sera faite.

Il faut toutefois déplorer la tournure du débat chez les jeunes, qui dérive notamment vers la question ethnique, en particulier dans les réseaux sociaux qui sont devenus le moyen de communication le plus usité par les jeunes, les médias « mainstream » ayant perdu la bataille de l’innovation en communication. Dans les dits réseaux sociaux, les vrais enjeux ne sont pas abordés ou en tous cas sont laissés volontairement en arrière-plan.

Le PIB de toute l’Afrique est l’équivalent de celui de la France !

Or, la situation économique du Sénégal, comme partout ailleurs en Afrique, se dégrade. Comme le dit l’économiste camerounais Eugène Nyambal, comparant l’Afrique à l’Occident : « La richesse annuelle de toute l’Afrique (PIB) est de 2900 milliards de dollars, soit l’équivalent de la richesse annuellement créée par la France. Les Etats unis se situent autour de 23 000 milliards de dollars de PIB. En Afrique, le Nigéria est 1er avec 508 milliards de dollars de PIB, suivie de l’Afrique du Sud ».

Au Sénégal, le PIB se situait aux alentours de 27,63 milliards de dollars en 2021. Ainsi, toujours en termes de PIB, le Sénégal ferait 0,1% du PIB américain, 0,9 % du PIB français et 5 % du PIB nigérian.

La Côte d’Ivoire comptabilise 68 milliards de dollars de PIB, soit près de 2,5 fois le PIB du Sénégal mais ne représente que 11% de celui du Nigéria. Le propre de toutes ces économies africaines est d’être portées par l’exportation de matières premières brutes non génératrice de valeur ajoutée substantielle.

Thomas Melonio, directeur de la Recherche à l’AFD (Agence française de développement), conclut en ces termes : « le modèle extractif ne marche pas, ce n’est pas lui qui tire le continent à moyen terme ». Ce d’autant que « la tendance n’est pas favorable aux matières premières ».

Pendant que l’on nous berce de l’illusion que « la croissance de l’Afrique devrait dépasser celle du reste du monde au cours des deux prochaines années, 2023 et 2024, avec un produit intérieur brut (PIB) réel d’environ 4 % en moyenne » (Rapport Performance et perspectives macroéconomiques de l’Afrique de la BAD), on se garde d’ajouter que ce taux de croissance part d’une base voisine de zéro, par rapport aux niveaux atteint par les économies avancées, et que par conséquent la dite augmentation de richesses ne saurait enclencher un processus endogène de développement. Pour ce qui concerne le Sénégal, les objectifs d’investissements du pays inscrits au PSE sont hors de portée de nos ressources propres, ce qui explique notre endettement perpétuel, ponctué périodiquement de demandes d’abandon de créances auprès de nos créanciers.

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Les taux de croissance à deux chiffres convoqués pour 2023/2024 ne pourraient suffire à impulser le développement économique de notre pays du fait de la modicité de la base de richesse de départ. 10 % de taux de croissance annuels appliqués à un PIB de 27,63 milliards de dollars génèreraient environ 2,8 milliards de dollars de richesse additionnelle (soient 1 680 milliards de fcfa annuels), insuffisants pour couvrir les besoins additionnels en infrastructures, en subventions et remboursement de la la dette.

Pour pouvoir payer cette dernière, il est demandé des rééchelonnements périodiques pour l’adapter à notre capacité financière. La caractéristique de notre dette est qu’elle est due à des créanciers privés pour l’essentiel et qu’elle est, en sus, libellée en dollars, une devise dont la fluctuation sur le marché des changes rend toute prévision financière aléatoire en la matière.

Que représentent 2,8 milliards de dollars, par rapport à l’objectif d’émergence fixé au regard de toutes ces contraintes ? Quid de la création d’emplois dans ce passage d’une croissance à un chiffre vers une croissance à deux chiffres ? Ces ressources additionnelles sont-elles suffisantes pour servir de levier à une levée de fonds pour la sécurité alimentaire au Sénégal ? Quelles sont les plages de consensus à retenir sur les différents programmes économiques en confrontation ?

A mon avis, ces questions sont autrement plus importantes que les thèmes de campagne actuels qui tournent autour de l’interprétation du droit sur la question du 3ème mandat et celle du présumé viol, qui aurait du rester dans une sphère strictement privée.

La confrontation politique entre Sonko et Macky vient de franchir un nouveau pas à la faveur du renvoi du leader de Pastef devant la chambre criminelle par le juge d’instruction. Ce pour le crime de viol.

Un an et 9 mois après l’éclatement de cette affaire, Sonko a gagné en popularité. Il a répondu politiquement à cette décision judiciaire en appelant à un méga meeting à Keur Massar, auquel la jeunesse a répondu massivement et avec détermination, laissant présager une inévitable confrontation si chaque bord décide de camper sur ses positions.

Mars 2021 nous a édifiés sur les dégâts qui pourraient résulter d’une nouvelle tentative de traduction devant les tribunaux, voire d’arrestation, du maire de Ziguinchor et candidat déclaré à la présidentielle de 2024.

L’histoire politique de notre pays nous appris que dans un conflit opposant David à Goliath, David avait toujours les faveurs du peuple.

Le Président Macky Sall a battu son prédécesseur par le rangement des populations à ses côtés face à ce qui a été considéré comme de la persécution. Répondre par la force au défi lancé par les « patriotes » du meeting de Keur Massar est une option déjà tentée en mars 2021 avec le bilan humain et matériel que l’on connaît, et dont l’impact risque d’être supérieur, avec une jeunesse désespérée et prête à jouer son va-tout.

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 L’autre aspect qui prend de l’ampleur est la question ethnique qui revient de plus en plus fréquemment dans les réseaux sociaux ; ceux-ci sont envahis depuis quelque temps par des posts à caractère ethnique, suscités sans doute à des fins de déstabilisation et de prédation.

Dans le contexte pétrolier et gazier actuel, le « dosage ethnique » de Senghor dans ses décisions de nomination devrait davantage être pris en considération pour l’avenir, afin de ne pas ouvrir la porte à des forces engagées dans des agendas de déstabilisation à des fins de prédation. Les dérives verbales des responsables politiques doivent être relevées et sévèrement sanctionnées. La consolidation de la nation sénégalaise est à ce prix. Ma conviction est cependant que les sénégalais ne se laisseront pas prendre à ce jeu indigne de leur intelligence.

Le « mortal combat » que des extrémistes appellent de leurs vœux n’a aucun sens si l’on se réfère à la situation du pays. La guerre géostratégique ne sera pas courte si l’on sait que les belligérants y trouvent leur compte. La multipolarité en marche va obliger à des réajustements économiques, monétaires, diplomatiques, sécuritaires, sociaux, synonymes de précarité et de perte de vision stratégique.

Les populations africaines risquent de subir longtemps encore les conséquences de ce bouleversement géostratégique, dont la plus dommageable est la hausse du coût des produits alimentaires et énergétiques, faute pour les Etats d’assurer la protection du pouvoir d’achat et de mettre en oeuvre des stratégies efficaces de lutte contre l’inflation.

Dans un contexte aussi défavorable, la priorité de la classe politique de notre pays devrait donc être l’apaisement et la concertation face à ce qui se profile.

Le Président Macky Sall, responsable de la paix civile, doit enrayer ce dangereux processus en cours qui n’apporte aucune valeur ajoutée au Sénégal. Au contraire, ce processus risque de faire perdre à notre pays sa principale richesse, à savoir le sens de la convivialité, de la paix, du consensus comme mode de règlement des conflits, bref du savoir-être. Cette recherche de la paix et du consensus est dans l’ADN des Sénégalais, et nous distingue des pays autrement plus riches matériellement mais dont l’état sociétal est déplorable.

Les dirigeants actuels et futurs de notre pays doivent se convaincre que la bataille pour le développement n’est pas entre nous-mêmes mais plutôt entre nous et ceux qui veulent nous maintenir dans cet état de dépendance et de pauvreté dans lequel nous sommes plongés au moins depuis 1885.

Abdoul Aly Kane







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