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Fin De RÈgne En RÉpublique Du SÉnÉgal

Au delà du second mandat

“Rares sont les averses que ne précédent pas certains signes avant-coureurs“(1)

Dans une République, il est établi que la Constitution, la charte fondamentale que s’est librement donnée le peuple, doit être strictement respectée par tous. Ensuite en République, le pouvoir suprême est périodiquement transféré d’un concitoyen à un autre par le biais de l’expression libre de la volonté populaire. Enfin en République, il est normal et même impératif qu’il y ait un terme à l’exercice de ce pouvoir et que l’alternance soit la norme. Ne serait-ce que pour régénérer les idées, les énergies et renouveler les équipes dirigeantes.

Il est donc légitime de s’interroger sur ce qui pourrait bien justifier, dans la conjoncture actuelle, une prolongation du bail de Macky Sall. En violation de la Constitution. Troisième mandat ? En voilà une prétention bien incongrue (contraire aux usages et à la bienséance) de la part du président de l’Alliance pour la République (APR).

Ne serions-nous donc plus en République ?

Cette velléité prêtée à Macky Sall (ou devrais-je dire cette menace ?) s’inscrit en fait dans l’engrenage inévitable d’un crépuscule irréversible : une fin de règne qui s’annonce calamiteuse. Le règne a commencé suite à la victoire en 2000 d’Abdoulaye Wade, qui après s’être prestement débarrassé de ses alliés de gauche, a installé le pays dans un libéralisme tropical débridé fondé sur le triptyque suivant : (1) infrastructures-endettement-retro commissions ; (2) austérité-filet social alibi ; et (3) la poursuite obsessive de l’enrichissement personnel.

Macky Sall, en 2012, a inscrit le Sénégal dans la stricte continuité d’un même régime APR-PDS miné par ses éternelles querelles de famille. Il prit soin néanmoins d’enrôler des acteurs majeurs, anciens opposants de Wade, et qui étaient pourtant porteurs du projet de rupture conceptualisé par les Assises nationales et la Commission nationale de réforme des institutions. L’erreur bien entendu fut d’incorporer dans leurs rangs d’opposants le Premier ministre de Wade, déchu du fait d’une classique querelle de succession. La deuxième erreur étant d’avoir cru qu’une coalition électorale se métamorphoserait en coalition de gouvernement dans un régime présidentialiste ! Une naïveté impardonnable.

Ce régime (APR-PDS) ou Macky Sall aura été tour à tour Directeur général, conseiller du président, ministre, ministre d’Etat, Premier ministre, président de l’Assemblée nationale puis président de la République est aujourd’hui à l’agonie après 23 ans de règne.

Ce régime exhibe cinq des caractéristiques d’une fin de règne telles qu’identifiées par certains politologues et historiens. (1) (2) (3)

– L’incapacité à faire face à toute conjoncture économique et sociale « pourrie » ;

– Un pouvoir usé, sans idées et qui s’appuie sur la répression et non le consentement pour remédier à la perte significative de popularité du chef ;

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– Une cascade de scandales dans tous les secteurs de la vie publique et la paralysie de l’Etat où le pouvoir échappe à son détenteur ;

– Une parole du chef de l’Etat totalement dévalorisée aussi bien au Sénégal qu’à l’étranger ;

– Une coalition politique au pouvoir qui va inévitablement s’effriter, se reconfigurer, s’effriter à nouveau…(Quoi de neuf?)

Voyons quelques illustrations de cette fin de règne dont la tentation du troisième mandat ne constitue que le dernier avatar dans une dynamique de fuite en avant.

Gestion des crises

Les années à venir vont être en Afrique des années de crises. Crises sanitaires avec la possible survenue de nouvelles pandémies, crises économiques et monétaires avec la remise en cause de l’hégémonie du dollar et de l’euro, crises urbaines et migratoires du fait d’une démographie dynamique, crises alimentaires avec les restrictions liées à la guerre en Ukraine, crises sécuritaires avec la persistance de la menace jihadiste… La question n’est pas de spéculer sur la matérialisation future ou non de ces crises mais plutôt de s’interroger sur la capacité de l’État à y faire face. Or nous avons un État qui nous a plutôt habitués à l’amateurisme et à l’improvisation (face aux inondations) au mimétisme (réponse au Covid) et aux effets d’annonces non suivies d’actions (face à l’insécurité routière). Nous avons un État ou les fonctions transversales d’analyses prospectives, de planification participative, de co-production des politiques publiques et d’évaluation systématique font cruellement défaut. Et surtout un État qui en année préélectorale aura “la tête ailleurs “.

La conjoncture “pourrie”qui découlera de la convergence de ces crises et de l’incapacité de l’État à y faire face ne pourra qu’accentuer l’atmosphère de fin de règne et mettre en exergue l’inanité d’un troisième mandat.

Usure du pouvoir

Un parti politique est avant tout une boite à idées offrant à l’électorat un programme découlant d’une vision pour un avenir meilleur et une méthodologie pour sa mise en œuvre. Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, j’avais approché l’APR en tant que Directeur de la stratégie d’Ousmane Tanor Dieng (PS) pour tenter une synthèse de nos programmes respectifs. En pure perte. La seule préoccupation étant le « partage du butin ». Le Yonu Yokute vendu à l’électorat a vite été remisé dans l’escarcelle des promesses mensongères au profit du dernier slogan de la Banque mondiale : “Emergence ! “et d’un plan concocté par McKinsey, consultant de la Banque, plan annoncé depuis Paris sans consultation des « alliés ». Depuis, aucune idée innovante n’a été produite pour régler les problèmes structurels ou conjoncturels de notre pays.

Éducation ? Rien ! Santé publique ? Rien. Éradication de la pauvreté, réforme du CFA, industrialisation, intégration régionale …? Rien. Infrastructures ? Wade!  « Guerre contre le Covid » ? Macron mot pour mot. Bourses familiales ? Lula via la Banque mondiale. La seule préoccupation du parti au pouvoir demeure comment gagner les prochaines élections. Ce qui explique la prééminence du duo Madior Fall-Mahmoud Saleh et la persécution d’Ousmane Sonko.

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Un troisième mandat pour plus de rien ? Soyons sérieux, voyons ! Et lorsque le mécontentement monte inévitablement, la réponse est prévisible à souhait : répression et instrumentalisation de la justice pour …”réduire l’opposition à sa plus simple expression “(dixit Macky Sall. Incroyable)

L’usure du pouvoir est avant tout l’usure de l’intelligence politique.

Des scandales à gogo

La cascade de scandales financiers à laquelle nous avons assisté, ahuris, est à la fois un symptôme classique et un accélérateur de fin de règne. A chaque fois que la fin approche, la préoccupation de la survie individuelle prend le dessus et se traduit dans les faits par le pillage sans vergogne des caisses de l’État et la quête de l’impunité par le biais de la transhumance. Ce qui explique le « ni oui ni non » de Macky Sall, anxieux d’éviter la débandade et son offre de gouvernement de « combat » pour tenter l’impensable : une présidence à vie dont le prélude serait le troisième mandat. (4) Pari risqué pour le président le plus impopulaire de l’histoire du Sénégal contemporain. La déchéance morale est telle que des « alliés pour la République » n’hésitent plus à se transformer en « fossoyeurs…de la République. Lorsque la mission qu’on s’est soi même assignée et qui justifie votre propre existence est à ce point trahie, c’est que la fin est proche et qu’elle sera …calamiteuse !

La seule façon de lutter efficacement contre la corruption, c’est de mettre fin à l’impunité. Lorsqu’un délinquant potentiel sait qu’il sera arrêté jugé et sanctionné, il y regardera à deux fois avant de commettre son larcin. Mais lorsque le président approuve, encourage et bloque toute procédure par le biais de son “coude”, il devient complice de crime en bande organisée.

La parole du président

Normalement un président de la République gouverne par la parole. Lorsque cette parole est dévalorisée, le président perd toute autorité. Macky Sall nous a abreuvé de fausses promesses dignes d’un authentique charlatan et destinées à leurrer les personnes crédules. C’est cet avilissement moral qui a fait le lit de toutes les turpitudes commises par son régime et ce, sous la protection de son « coude ». Nous sommes donc malheureusement déchus au rang d’une authentique République bananière. C’est-à-dire d’un État dirigé par un gouvernement corrompu, sous le contrôle d’intérêts extérieurs. Et par un président qui ne respecte même pas sa propre parole : « je réduirai la durée de mon mandat. Je mettrai en œuvre Yonu Yokute si je suis élu. Je ne briguerai pas de troisième mandat. Je ne protègerai personne. Je dirigerai une gouvernance sobre et vertueuse. Je n’enlèverai pas une virgule à la Constitution de Mbow et Loum. Je déverserai des dizaines de milliards sur Tambacounda, Kaolack, Sedhiou et .. » et j’en passe ! Qui le croit aujourd’hui ? Qui d’ailleurs l’écoute encore ?

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Lorsque la parole d’un président est assimilée à de la ruse, à du mensonge et à de la duplicité, son autorité sera systématiquement défiée. Surtout lorsque cette autorité s’appuie sur l’incompétence et l’amateurisme.

BBY (5) : d’une coalition contre le troisième mandat (Wade) à une coalition pour le troisième mandat (Macky) ?

Dans un régime presidentialste, il n’y a tout simplement pas de coalition de gouvernement. Il ne faut pas se leurrer. La Constitution attribue des pouvoirs exhorbitants au président et ce sans responsabilité. Il dispose des caisses du Trésor à sa guise pour financer ses priorités sans compter sa caisse noire pour laquelle il n’a aucun compte à rendre. Le président décide de tout, littéralement. La soit disant coalition est en fait un 12e Gaindé dont la mission est d’applaudir le champion en échange des “bonbons et des sucettes”dénoncés à l’époque par Senghor a propos de la Loi Cadre. Faut-il soutenir le projet funeste de Macky Sall ou se trouver un nouveau champion ? Il est quand même invraisemblable que la coalition BBY après 12 ans de compagnonnage n’ait pas réussi à imposer à Macky Sall un candidat à sa succession et se retrouve ainsi piégé : soit soutenir un candidat “qui ne peut pas faire plus de deux mandats consécutifs”, soit s’aligner derrière un candidat non issu de ses rangs. Des wagons à la recherche d’une locomotive ! Triste sort pour des partis historiques qui se retrouvent aujourd’hui fragilisés et fracturés.Des partis qui s’étaient pourtant coalisés pour bloquer un troisième mandat de Wade. (Cherchez l’erreur !)

Finalement, c’est BBY que Macky Sall aura réduit “à sa plus simple expression “.

Cette fin de règne s’annonce donc bien chaotique.

Et avec ça, Macky Sall exhibe une prétention, totalement saugrenue (étrange et ridicule) de briguer un troisième mandat ? Parce qu’il a “construit des routes “ ?

Pathétique !

A suivre…

(1) AU-DELÀ DU SECOND MANDAT ?

Pierre Sané est ancien SG d’Amnesty International.

Notes :

(1) La fin d’un règne. Par Fabrice Piault.(1995) Stock.

(2) https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-atelier-du-pouvoir/a-quoi-reconnait-on-une-fin-de-regne-8757860

(3) Chronique d’une fin de règne.Par Patrick Rambaud de l’Academie Goncourt

Livre de poche 2018

(4) En Afrique tous les 3e mandats ont été suivis d’une présidence à vie.

(5) Coalition au pouvoir : APR, PS, AFP, PIT, LD, Rewmi …







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