Trois mois après la sortie en salle de la superproduction de l’univers cinématographique Marvel, Black Panther : Wakanda Forever, Sébastien Lecornu, ministre des Armées, a dénoncé la fiction, dimanche 12 février, dans un tweet : « Je condamne fermement cette représentation mensongère et trompeuse de nos forces armées. Je pense et rends hommage aux 58 soldats français qui sont morts en défendant le Mali à sa demande face aux groupes terroristes islamistes. »
L’expression de cette colère ministérielle a été précédée d’une série de tweets d’un reporter du Journal de l’île de la Réunion, ancien collaborateur de médias d’extrême droite, qui pointait deux scènes du blockbuster de la filiale de Walt Disney Company. Dans une séquence au début du film, on voit des mercenaires français tentant de faire main basse au Mali sur une réserve de vibranium, un élément métallique imaginaire. Dans une autre, une ministre française peu à son avantage doit aussi répondre de leurs actions devant les Nations unies.
Selon Le Monde, l’entourage du ministre a même parlé de « révisionnisme ». La colère de Sébastien Lecornu s’inscrit dans un contexte marqué par le départ à la demande des autorités du pays, des forces spéciales françaises de l’opération Sabre du Burkina Faso, et survient quelques mois après la fin de la présence de la force Barkhane au Mali. Ces remises en cause de la présence militaire française au Sahel ont été à chaque fois précédées de manifestations populaires que Paris met sur le dos d’un « sentiment anti-français » suscité et entretenu, selon lui, par la Russie au moyen d’une guerre informationnelle et d’une stratégie de manipulation des opinions publiques sur l’action de la France dans la région. Le film hollywoodien participerait-il de cette stratégie ? On n’ose croire qu’une telle idée ait effleuré l’esprit du ministre.
Le gouvernement français semble décidé à n’amorcer aucune réflexion sur les contestations populaires de sa politique en Afrique. Enferré dans les postulats hors sol comme ceux de la dernière revue nationale stratégique (RNS), présentée par Emmanuel Macron en novembre 2022, il considère les changements en cours en Afrique francophone comme les conséquences de « manipulations » russes dont l’antidote est la « lutte contre les fausses informations à des fins de déstabilisation ». La diplomatie française fait comme si l’avènement au pouvoir d’Emmanuel Macron marquait le début des relations de la France avec le continent.
La contestation de la politique française en Afrique a une longue histoire qui plonge ses racines dans la période coloniale. Elle a continué aux indépendances et connaît de nouveaux développements depuis quelques années. Il y a exactement vingt ans, le 1er février 2003, plus d’un million de personnes s’étaient réunies place de la République à Abidjan en Côte d’Ivoire sur des mots d’ordre de mobilisation contre Jacques Chirac et Dominique de Villepin, respectivement président et ministre des Affaires étrangères de la France. À cette époque, ni la Russie et encore moins la Turquie ne pouvaient être soupçonnées d’être à l’origine des déboires français. Elles n’avaient qu’une présence symbolique en Afrique.
L’État français et les autorités qui incarnent sa politique extérieure se fourvoient dans l’interprétation de ce qui se passe dans ce que l’on appelle ici le « pré carré ». Dans beaucoup de ces pays, ce sont des révolutions citoyennes qui se déroulent. Leurs causes sont dans les trajectoires des États postcoloniaux, les contradictions d’ordre socioéconomique des sociétés, la volonté française de maintenir des liens néocoloniaux, l’ordre économique mondial inique avec ses instruments (Banque mondiale, Fonds monétaire international, etc.). Les trolls russes et leurs « relais panafricanistes » ne sont que des épiphénomènes. Perdre de l’énergie et du temps diplomatique pour les contrer participe à perpétuer la caricature de la France que constituent ses aventures coloniales et néocoloniales en Afrique. Emmanuel Macron et son gouvernement devraient s’inspirer des propositions des communistes : « Face au chaos libéral, il n’y aura pas d’issue au Sahel sans redonner des perspectives, sans sécuriser la vie à tous les niveaux. Il faut reconstruire l’État, des services publics, avec des solutions africaines. La réappropriation des richesses du sol et du sous-sol dans toute la sous-région, la lutte contre les flux financiers illicites peuvent permettre le développement d’industries locales, de systèmes d’éducation, de santé avec une protection sociale solidaire. »