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Ibrahima Bakhoum, L’histoire D’une Descente Aux Enfers Qui N’honorait Pas La Magistrature Senegalaise !

Une résurrection miraculeuse ou comment un brillant magistrat est, en quelques années, passé de la roche Tarpéienne au Capitole !

Répondant aux questions de la presse à l’issue de la cérémonie de passation de service entre les procureurs généraux sortant et entrant de la Cour d’Appel de Dakar, le patron de l’Inspection générale de l’Administration de la Justice (IGAJ), Cheikh Tidiane Lam, a dit qu’à sa connaissance, l’enquête menée à l’époque sur des faits de corruption au sein de la magistrature n’avait retenu aucune faute disciplinaire contre le magistrat Ibrahima Bakhoum. Lequel vient, justement, d’être promu procureur général de la Cour d’Appel de Dakar au cours du dernier Conseil supérieur de la Magistrature. Une nomination à ce poste prestigieux, et donc très convoité, qui, on s’en doute, n’a pas plu à beaucoup de gens. Qui ont donc exhumé cette vieille affaire de corruption pour tenter de salir ce magistrat compétent, élégant et bien de sa personne au point de susciter beaucoup de jalousies. Un magistrat qui a souffert dans sa chair de cette affaire pour laquelle il a été injustement sanctionné…avant d’être blanchi beaucoup plus tard de toutes les accusations infamantes portées contre lui. En répondant aux confrères qui l’interrogeaient, le vétéran Cheikh Tidiane Lam a expliqué que, tenu par l’obligation de réserve, il ne pouvait pas entrer dans le fond de ce dossier tout en suggérant à ses interviewers de mener leurs investigations auprès de sources, notamment des avocats, qui peuvent parler et livrer la bonne information. Nous nous sommes essayés à l’exercice et avons découvert des choses intéressantes. A savoir, en particulier, la manière dont on pouvait ruiner la réputation de quelqu’un sur la base de faits inventés de toutes pièces rien que pour le plaisir de faire mal. Et comment aussi certains fonctionnaires profitent de leurs fonctions pour régler des comptes.

A l’origine directe des malheurs d’Ibrahima Bakhoum, la fameuse affaire de corruption qui avait eu pour cadre l’alors tribunal régional hors classe de Dakar à la suite d’un contentieux opposant les sieurs Momar War Seck et Mouhamed Guèye. Des enregistrements sonores largement partagés à l’époque avaient permis d’entendre des magistrats se lâcher et évoquer de sommes d’argent qu’ils avaient perçues aux fins de faire libérer l’un des protagonistes.

Pour résumer, une magistrate de la Cour de Cassation radiée depuis avait demandé une somme de 15 millions de francs pour « gérer » ce dossier en compagnie de collègues qui avaient reçu chacun sa part. Lorsque cette affaire s’est retrouvée dans la presse, l’alors Garde des Sceaux, ministre de la Justice, M. Cheikh Tidiane Sy, avait saisi l’IGAJ par lettre confidentielle en date du 06 juillet 2006. Extraits de ce courrier : « Il a été porté à ma connaissance que dans une procédure pendante devant le Tribunal Régional Hors Classe de Dakar et opposant les nommés Momar War Seck et Mouhamed Guèye, un Magistrat de la Cour de Cassation aurait sollicité et obtenu pour le compte des Magistrats en charge du dossier, des sommes d’argent avoisinant les quinze millions de francs CFA. Il semblerait que les différentes transactions aient fait l’objet d’enregistrements sonores détenus par les personnes qui auraient assisté à leur déroulement.

De tels faits avérés, seraient d’une extrême gravité pour la crédibilité de la justice et je vous demande, en application des dispositions des articles 6 et 7 de la loi n° 98-23 du 26 mai 1998 instituant l’Inspection Générale de l’Administration de la Justice, de mener, toutes affaires cessantes, des investigations afin de situer les responsabilités et de me faire tenir à l’issue, un rapport circonstancié. Vous ne manquerez pas, lors de vos investigations, de me faire part du niveau d’information des deux chefs de juridiction, le Procureur de la République et le Président du Tribunal, ainsi que de leurs diligences dans cette grave affaire. »

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Cité nulle part, Bakhoum suspendu avant même la saisine complémentaire de l’IGAJ

Dans ces enregistrements audio que les Sénégalais avaient pu écouter à l’époque tout en s’en délectant, des noms de magistrats étaient cités comme ayant reçu leur part de l’argent versé par le justiciable corrupteur. Il n’y était nullement question d’Ibrahima Bakhoum. En fait, lorsque ce dossier est arrivé au Tribunal, c’est bien lui qui l’a instruit avant d’initier une médiation pénale. Après quoi, il a été affecté ailleurs ce qui fait que, lorsque cette affaire de corruption a éclaté, il n’était plus au Tribunal régional hors classe de Dakar depuis longtemps. Et pourtant, dès le 14 juillet 2006, soit huit jours à peine après la saisine de l’IGAJ parle ministre de la Justice, il était suspendu de ses fonctions! Ce encore une fois sans jamais avoir été mêlé aux faits objets de la saisine de l’IGAJ.

Il y a mieux, si l’on ose dire puisque, se rendant sans doute compte que les mailles du filet de la première lettre de mission étaient trop larges et risquaient de permettre au poisson Bakhoum de s’échapper, on a jugé, au ministère de la Justice, qu’il fallait des mailles plus serrées. Car 11 jours après la première lettre, l’IGAJ était saisie d’une sorte de réquisitoire supplétif sous la forme d’une seconde lettre numéro 00239/MJ/CAB du 17 juillet 2006 dans laquelle on lui demandait « de faire la lumière sur l’ensemble du traitement de la procédure concernée, depuis la médiation pénale jusqu’à l’ouverture de l’enquête consécutive à la correspondance ci-dessus ». Il était aussi demandé à l’IGAJ « d’étendre les investigations à toute personne concernée sur qui des indices de corruption auraient été découverts ». Encore une fois, il fallait absolument ferrer le pauvre Ibrahima Bakhoum dans les mailles du filet des limiers de l’IGAJ. Lesquels ne se sont pas fait prier pour traquer en particulier leur collègue qui a fait l’objet à lui seul d’investigations durant une semaine. Et alors même que cela ne faisait pas partie du champ de l’enquête, le chef de la mission a adressé une réquisition à l’alors Société générale de banques au Sénégal (SGBS) pour demander qu’on lui communique tous les mouvements du compte bancaire d’Ibrahima Bakhoum depuis…l’an 2000 ! Pourtant, les faits visés par l’enquête se sont déroulés en 2006. A la réception de ce courrier, la banque n’avait pas voulu s’exécuter mais c’est Ibrahima Bakhoum lui-même qui l’a autorisée à transmettre toutes les informations demandées. De fait, il y a eu, dans ce compte bancaire, des versements anciens de 10 millions une fois, cinq millions une ou deux fois etc. pour des montants totaux gravitant autour de 25 millions de francs s’agissant en tout cas des grosses remises. Ah, ça y est, notre chef de l’IGAJ tenait son homme ! En réalité, Bakhoum avait sollicité et obtenu de la SGBS—dont le directeur général à l’époque, Bernard Labadens, était son ami personnel au même titre d’ailleurs que celui de votre serviteur — un prêt d’un montant de 150 millions de francs pour l’achat d’une villa à la cité Air Afrique au Point E. Un contrat d’ouverture de crédit sous seings privés avait été établi en bonne et due forme « entre M. Ibrahima Bakhoum, compte n°…., et la SGBS ». L’opération immobilière n’ayant pas pu se faire, l’emprunteur avait utilisé l’argent pour acheter un immense verger. Et après avoir décaissé une partie de l’argent, il l’avait reversée dans son compte en plusieurs tranches!

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Bien que blanchi par l’IGAJ, le magistrat traduit devant le Conseil de discipline et lourdement sanctionné !

Après investigations, les inspecteurs de l’IGAJ ont conclu qu’aucune faute disciplinaire ne pouvait être retenue contre Ibrahima Bakhoum. Malgré cet « innocentement », comme aurait dit Claude Confortès, il fut décidé de le traduire devant le Conseil de discipline avec ses collègues mis en cause dans cette affaire de corruption et dont les noms, eux, étaient expressément mentionnés dans les audios. La comparution devait avoir lieu le 10 août 2006. A cette date, les autres furent « jugés » pas Bakhoum dont l’affaire fut renvoyée au 17 août au motif…qu’un nouveau dossier le concernant avait été transmis au même Conseil de discipline.

En réalité, il s’agissait de l’exhumation d’un vieux rapport établi suivant une lettre de mission n°00236/MJ/CAB du 25 juillet 2005 soit une année avant les faits de corruption pour lesquels Bakhoum et ses collègues étaient traduits devant le Conseil de discipline. Ce « nouveau » dossier produit dans les débats avait fait l’objet en son temps d’un classement sans suite. Malgré tout, l’infortuné Bakhoum a vu le couperet de ses collègues du Conseil de discipline s’abattre sur lui sous le prétexte de «manquements au devoir de loyauté, de neutralité et de dignité ». A défaut de corruption, il fallait bien trouver quelque chose ! Et les sanctions suivantes furent prises à son encontre : « Retrait de la fonction de Substitut Général près la Cour d’Appel de Ziguinchor juridiction non encore installée » et « Interdiction d’exercer des fonctions de Procureur de la République, de Procureur de la République adjoint, de Premier substitut, de Juge d’instruction et de Président de juridiction. Déplacement d’office ».

Bref, le pauvre Bakhoum était condamné à boire le calice jusqu’à la lie bien que n’ayant commis aucune faute. Ses juges avaient agi alors comme Ponce Pilate, ce procurateur romain qui, bien qu’ayant innocenté Jésus-Christ, l’avait condamné à mort… avant d’aller se laver les mains en s’écriant : « je suis innocent du sang de ce juste ! »

Ayant porté sa croix dignement, Ibrahima Bakhoum s’est quand même résolu à écrire à la Commission nationale de Lutte contre la Non Transparence, la Corruption et la Concussion (l’ancêtre de l’OFNAC) pour lui demander d’enquêter afin d’établir la vérité des faits sur la connaissance par lui, l’intéressement de sa part ou sa participation aux cas graves de corruption et d’usure qui lui valaient sa suspension. Après avoir enquêté, la Commission avait sans surprise blanchi Bakhoum et écrit au président de la République pour lui recommander de le rétablir dans ses fonctions ou de l’affecter à toute fonction que son grade et son expérience lui permettaient d’exercer. Bien plus tard, à son retour au ministère de la Justice, M. Cheikh Tidiane Sy avait reconnu avoir été induit en erreur à son propos et l’avait fait venir dans son cabinet pour en faire son conseiller technique numéro 1 jusqu’à la chute des libéraux en 2012. Pourquoi donc un tel acharnement contre un jeune magistrat à la carrière prometteuse ? L’explication pourrait se trouver dans la position courageuse prise par le procureur Ibrahima Bakhoum lors du procès d’Abdou Aziz Tall, ancien directeur général de la Lonase. Ce jour-là, prenant le contrepied des instructions qui lui avaient été données, il s’était levé et avait demandé la relaxe du prévenu ! Un réquisitoire à décharge qui lui avait valu, deux jours plus tard, une demande d’explication signée Abdoulaye Gaye…Procureur Général près la Cour d’Appel de Dakar. C’est-à-dire les mêmes fonctions que Bakhoum occupe actuellement ! Voici ce qu’il écrivait au procureur de la République de Dakar : « Suite à notre entretien téléphonique du mercredi 22 juin 2005 relatif à l’affaire visée en objet, je souhaite connaître le contenu des réquisitions du représentant du ministère public à l’audience, dans le cadre des débats sur cette affaire, ainsi que la réaction de votre Parquet, par rapport à la décision de relaxe qui a été prononcée par le Tribunal. Je compte sur une prompte réaction de votre part eu égard aux commentaires de certains organes de presse qui ont soutenu que la décision de relaxe est conforme aux réquisitions du Parquet ». Les ennuis lointains d’Ibrahima Bakhoum avec sa hiérarchie datent de ce moment-là. Une hiérarchie qui a volontairement oublié, s’agissant de ce réquisitoire dans l’affaire Abdou Aziz Tall que, comme le rappelait si pertinemment dans nos colonnes hier l’actuel président de l’UMS (Union des Magistrats du Sénégal), Ousmane Chimère Diouf, la plume est serve et la parole libre !

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Mamadou Oumar NDIAYE

En post scriptum d’un éditorial paru en septembre 2013 dans ce journal et intitulé «Un gouvernement décapité », voici ce que j’écrivais : « L’image était très parlante. A côté de Mme Aminata Touré « Mimi », croisée de la traque aux biens mal acquis, se tenait Abdoul Aziz Tall, le nouveau directeur de cabinet du président de la République, et…ancienne victime de cette même traque du temps de libéraux ! Eh oui, au lendemain de l’arrivée des libéraux du Pds au pouvoir, ils avaient entrepris eux aussi une chasse aux sorcières. Pour cela, et pour prétendre lutter contre l’enrichissement illicite, ils avaient jeté en prison beaucoup de directeurs généraux d’entreprises nommés par le régime du président Abdou Diouf. Parmi ceux-là, précisément Abdoul Aziz Tall accusé d’avoir détourné des fonds à la Lonase dont il était le directeur général. A l’époque, Le Témoin avait dès le départ pris la défense de tous ces DG injustement emprisonnés d’après nous. Les faits nous avaient donné raison puisque la plupart d’entre eux avaient été blanchis par la justice. Aziz Tall, après avoir passé plus d’un an en prison, avait été relaxé purement et simplement. Son procès avait donné lieu à un coup d’éclat de la part d’un brillant substitut du procureur nommé Ibrahima Bakhoum. Ayant reçu des instructions pour requérir la condamnation d’Abdoul Aziz Tall, il s’était rebellé et avait demandé sa relaxe pure et simple ! Pour cela, il avait été sanctionné… »







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