La participation des femmes dans tout projet démocratique est essentielle pour bâtir le capital social. Bien que leur représentativité ne connaisse pas encore d’évolution significative à l’image de leur engagement, nous devons garder à l’esprit qu’elles investissent un environnement longtemps réservé aux hommes, de tout temps régi par leurs codes et mu par une dynamique politique clientéliste basée sur la promotion, la concentration du pouvoir discrétionnaire par des mécanismes d’isolement.
Les femmes sont de mieux en mieux formées, et sont sur le terrain du travail formel comme de l’informel. Toujours en première ligne sur tous les fronts, elles en sont d’ailleurs arrivées à avoir le don d’ubiquité. De plus, elles sont devenues un enjeu réel par leur supériorité numérique en ce qui concerne l’électorat (50,9% en 2019). Il est cependant paradoxal que malgré leur centralité dans la construction nationale, leur citoyenneté de droit ne corresponde pas à leur citoyenneté de fait. Je citerai la philosophe Alicia Mirayes, qui démontre dans ses travaux à quel point « les femmes vivent une citoyenneté incomplète, défective et inactive car elles n’accomplissent de manière satisfaisante aucun des quatre traits caractéristiques d’une citoyenneté pleine et active : la capacité de choix, la capacité de participation, la distribution de la richesse et la reconnaissance». Et elles ne le font, comme les données le démontrent, dans aucune des quatre dimensions dans lesquelles la citoyenneté doit être présente et visible pour qu’elle opère substantiellement: l’échelle politique ; économique; culturelle des normes et valeurs; et au niveau personnel de la famille, du foyer et des relations.
Leadership politique féminin : et défis
L’émergence d’un leadership politique féminin qui se pose à nous appelle deux questions essentielles :
– Quels moyens mettre en œuvre pour équilibrer la structuration même du champ politique fondée sur un modèle de domination symbolique exercée par les hommes afin d’atteindre une optimisation de la présence des femmes dans les hautes sphères politiques ?
– Quelles réflexions et quelles actions faudrait-il mener pour consolider les acquis engrangés parla lutte des femmes, en vue de faire émerger en masse un leadership ou un commandement politique féminin capable d’exercer une influence sur le rôle et le statut des femmes sénégalaises dans la sphère politique.
En Afrique, les femmes ont encore de nombreux défis à relever, d’ordre stratégique : l’absence d’un mouvement social fort, l’isolement, la faible capacité prospective et le manque d’anticipation.
La construction d’un mouvement fort passe par deux types d’alliance. D’abord, entre les femmes politiques et les organisations à caractère économique, car les premières n’ont pas les moyens matériels de leur ambition, et les secondes n’ont pas la conscience politique. Ensuite, entre les femmes politiques et les organisations de la société civile, car lorsque les premièressont combattues dans l’espace politique et que la pression devient trop forte, elles ont besoin d’un espace de repli. Il y a des moments où, pour s’imposer dans leurs partis, les femmes ont besoin d’être soutenues par d’autres forces organisées.
L’approche fragmentée et cloisonnée de la question de la femme a mis en évidence son inefficacité. Pour sortir de la ghettoïsation, les organisations de femmes doivent inscrire leursluttes dans des enjeux qui préoccupent la société dans sa globalité, car la question des femmes ne peut être traitée indépendamment des autres défis. Les femmes doivent aussi rester vigilantes car, malgré les acquis, elles ne sont pas à l’abri de reculs. Elles doivent affronter à la fois des hommes hostiles à la parité, mais aussi des religieux hostiles à l’égalité entre hommes et femmes. Avec la montée de l’intégrisme religieux, tend à se développer une parole publique préconisant l’enfermement des femmes dans l’espace privé.
Cela exige davantage de vigilance, mais surtout une capacité d’anticipation pour nouer des alliances stratégiques avec des acteurs clés, tels que les organisations des droits de l’homme et les familles religieuses traditionnelles
Les droits des femmes sont des droits humains, et ces organisations constituent une force dans la société, détenant un réel pouvoir de pression sur le pouvoir politique. Il devient donc urgent d’utiliser les plages de convergence existantes pour bâtir une alliance durable. Quant à l’islam confrérique, il est le meilleur allié des femmes, dans un pays où les foyers religieux traditionnels prônent un islam ouvert, un islam de paix et de tolérance.
Questionner le statut de la masculinité
Ce n’est aussi que par une analyse profonde des rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes qui les entourent, et par une renonciation partielle au pouvoir qui en découle mais aussi par l’élargissement des bases du féminisme aux hommes qui croient et oeuvrent à l’avènement du leadership féminin, que les changements de paradigmes peuvent survenir. Il faut aussi que les hommes parlent, se parlent entre eux.
Je pense sincèrement qu’il n’y a pas une chose plus forte, une chose plus éloignée des attentes de la masculinité que des hommes qui parlent sincèrement. Se parler entre eux, se permettre le droit d’être vulnérable, c’est ne plus être dans une performance de genre. Se parler, c’est aussi se parler des masculinités, de ce que ça engendre, de ce qu’ils engendrent, de ce qu’ils perpétuent. De comment la masculinité peut aussi les détruire.
L’exemple déplorable que montrent les hommes sur le terrain de l’adversité politique ne fait que confirmer qu’un leadership féminin ne peut qu’être salutaire.
Nous, les femmes, apportons une vision distincte. Nous sommes mieux préparées à partager, à vivre ensemble, à résoudre les conflits. C’est une culture qui nous vient de la sphère privée, écouter, inclure et non exclure. Nous avons un sens pratique des choses qui fait que nous-nous concentrons sur la solution d’un problème, sur la recherche de ce qui nous unit plutôt que ce qui nous sépare.
Je suis persuadée que si les hommes acceptaient tant soit peu de supporter la charge mentale des femmes, ils seraient plus résilients et plus aptes à instaurer une gouvernance basée sur l’intérêt général. Les hommes créent un peu partout le chaos, les femmes s’activent à ramener la paix. A méditer !
Nos alter ego masculins doivent cesser de se dédouaner et entreprendre de nouvelles dynamiques dans les relations avec les femmes qui les entourent et dans tous les espaces, le foyer comme le milieu professionnel. Et changer les dynamiques de pouvoir, c’est entrer dans une réelle déconstruction, intérieure, active, et humble de ce qu’ils ont intériorisé et de quoi ils s’accommodent si facilement. C’est cela, la masculinité positive.
Il est urgent de réfléchir et de réagir, afin de combattre la minimisation des femmes dans la gestion de la cité en général, et la chosification de la féminité en particulier.
Ces normes sociales s’imposent à nous, mais c’est aussi quelque chose qu’on est en mesure de changer progressivement à force de détermination. Quand les femmes constatent leurs propres ambiguïtés et que les hommes en prennent la mesure, les choses changent.
Maintenir le cap de l’engagement
Pour rappel, la loi sur la parité et sa matérialisation sur le niveau de représentativité des femmes dans les sphères décisionnelles a certes permis d’enclencher le déclic mais des pas importants doivent être faits dans la direction d’une complémentarité ou d’un partenariat entre hommes et femmes en politique et dans la sphère familiale. Mais tout est question de volonté politique.
Des évolutions encourageantes et perceptibles interviennent depuis peu dans le paysage politique sénégalais, quant à une plus grande implication de la femme dans la vie politique nationale. Mais il serait souhaitable que cette dynamique s’inscrive dans la permanence et la durée et ne se limite pas au seul contexte électoral.
Le défi est immense et requiert par conséquent une synergie d’actions des Pouvoirs Publics, de la société civile, des bailleurs de fonds et des femmes elles-mêmes.
Il est également nécessaire de déterminer l’influence de l’égalité politique sur les progrès de l’égalité sociale. Et il ne suffit pas que des femmes s’engagent en politique pour que la condition de toutes les femmes s’en trouve révolutionnée. Encore faut-il que ces femmes politiques soient féministes, l’assument et le revendiquent. Il est donc indispensable de tirer des leçons d’un passé marqué par des ruptures. Le lien a manqué entre les femmes qui ont mené des luttes pour l’indépendance et la génération de celles engagées dans les partis de gauche, apparues après 1968 (Dia, 1995). De même, aujourd’hui, il ne semble pas y avoir de relève aux femmes qui ont mené le combat pour la parité. À chaque rupture historique, il a fallu un certain temps, car il a manqué une pensée politique liée à la lutte des femmes (Sarr, 2010). .
Le pouvoir féminin englobe une sensibilité humaniste
Dans une époque de perte de repères, de mondialisation, de violence politique et de montée des extrêmes, l’empathie que les femmes montrent peut apaiser. Nous avons eu sous nos yeux un exemple flagrant, celui d’Angela Merkel qui est apparue tout au long de son magistère comme une figure empreinte d’humanisme, protectrice du destin de l’Allemagne et de l’Europe.
Enfin, loin de constituer une ode au féminisme, la participation politique des femmes présente à plusieurs égards, un impact positif pour la démocratie. Il est de plus en plus admis que le développement harmonieux d’une société ne peut s’opérer que dans le cadre d’une participation saine et équitable de tous ses membres, sans discrimination. Les femmes ne cherchent pas à créer du rêve. Elles font. Il existe donc bien un pouvoir au féminin, un pouvoir qui permet de concilier une vie de femme et une vie de femme politique, un pouvoir qui profite de la capacité d’adaptation et d’inventivité dont les femmes sont très souvent pourvues. À l’heure actuelle, la société est construite dans la maison, brisant les modèles et les formes d’exclusion et de marginalisation des femmes. Des évolutions incontournables qui tracent les contours d’un monde riche de possibles et qui inventent jour après jour le vivre ensemble.
Il faudra compter avec le pouvoir des femmes, un pouvoir « qui englobe une sensibilité humaniste», bref, un pouvoir de synthèse car la force des femmes est peut-être de savoir relier les univers. Car dans une société démocratique moderne, ce qu’il s’agit de construire n’est rien moins qu’un nouveau contrat social dans lequel l’homme et la femme œuvrent en égalité et en complémentarité, en s’enrichissant mutuellement de leurs différences.
Puissent donc les résistances masculines s’effondrer afin que les hommes regardent les femmes comme des têtes pensantes plutôt que des corps esclaves…