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Sur La Suppression Du Poste De Premier Ministre

 Ne pouvant interdire totalement la révision, du moins ont- ils entendu en exclure certaines matières non sans la subordonner à l’écoulement d’un certain délai.

Force est de constater que la constitution américaine de 1787 n’a connu jusqu’ici que quelques  amendements. Celle aussi française du 4 octobre 1958 a quasiment résisté  à la furie des temps. Au Sénégal,  depuis le 24 janvier1959, il est inscrit au frontispice des différentes  lois fondamentales   que la forme républicaine de l’état ne peut faire l’objet de révision. 

Il n’en demeure pas moins vrai que dans notre pays, tous les Présidents, accédant à la magistrature suprême, ont sinon imprimé une certaine orientation au régime politique du moins procédé à de substantielles modifications de la constitution. Il suffit de rappeler la nouvelle constitution introduite  au lendemain de l’élection du président Wade, celle de 2000. Ce fut alors à un bouleversement fondamental auquel nous avions assisté. Les sénégalais ont souvenance de ce grand rendez médiatique depuis le palais.

Il est tout aussi vrai que chaque président de la république, conformément à la constitution, s’est fait fort de nommer un premier ministre.

Chacun sait qu’avant 1962, le régime politique sénégalais était parlementaire .Sa particularité résidait dans le fait que l’alors chef du gouvernement Mamadou Dia détenait la réalité politique, le Président Senghor inaugurant les chrysanthèmes pour ainsi dire. 

Consécutivement  à la crise de décembre 1962 fut votée par référendum la constitution du 3 mars 1963 établissant un régime présidentiel monocéphale.  C’est qu’en effet le Président avait constaté que n’était pas encore adapté au pays un parlementarisme avec exécutif bicéphale. C’était donc à éviter  cette diarchie au sommet que fut supprimé le poste de président du conseil, équivalent du Premier Ministre.

Le poste de Premier ne sera réintroduit qu’en 1970 dans notre architecture constitutionnelle. Dans son discours d’adieu aux sénégalais du 31 décembre 1981, Senghor rappelait : « En 1970 après avoir consulté les différents responsables de mon parti, je nommai Monsieur Abdou Diouf Premier Ministre, fonction qu’il remplit depuis avec la compétence et conscience  que l’on sait »  .Donc jusqu’à son départ  à la tête de l’état, il n’eût point de changement sur le titulaire du poste.

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Abdou Diouf lui supprimera le poste avant de le réintroduire dans l’ordre institutionnel, cela entre 1983 et 1990.

Accédant à la tête de l’état, le président Wade nommera d’abord-promesse électorale exige- un faiseur de roi Moustapha Niasse comme Premier Ministre ensuite Idy, Macky, Adjibou, Néné. 

Lui succédant Macky Sall, au cours de son premier mandat d’une durée de 7ans emploiera trois premiers ministres  Abdou Mbaye, Mimi touré, Boune Abdallah Dione de 2012 à 2019.

Réélu en 2012 pour un second mandat et  dernier mandat (Dieu seul sait) le Président de la République, à la surprise générale, a décidé souverainement de supprimer le poste de Premier Ministre. 

Au soutien de cette décision, le Président a avancé des raisons d’efficacité dans le travail.  Dans son discours d’investiture du 2 Avril dernier le Président n’a t- il pas affirmé : « J’ai la ferme intention d’inscrire tous les actes de l’état au mode fast- track» ? Un de ses conseillers estime qu’il s’agit de fluidifier le processus de décision par un renforcement de l’exécutif. Il y a aussi la volonté de contourner les retards bureaucratiques de l’administration sénégalaise. Au travers de ce changement, le nouvel élu veut supprimer les goulots d’étranglement pour être lui-même au contact direct avec les différents niveaux administratifs. Oui, le Président veut donc avoir une emprise directe sur l’administration, sur la structure gouvernementale…

Voilà une  décision qui ne va pas sans  controverses. Cette décision-là  entraîne bien des conséquences et appelle de notre part des commentaires.

Il va sans dire qu’en supprimant le poste de PM, en concentrant entre ses seules mains les pouvoirs de l’exécutif, en renforçant ses prérogatives, le Président de la République aura une main mise directe sur le gouvernement. 

Avec la suppression du poste de Premier Ministre, il n’y aura plus de chef du gouvernement responsable devant l’assemblée Nationale. Elle entraînera ipso facto la disparition de la déclaration de politique générale ainsi que certains moyens de contrôle jusqu’ici est détenus par l’Assemblée Nationale (motion de censure, question de confiance …) .Outre qu’ainsi l’Assemblée Nationale ne pourra plus jouer pleinement son rôle de contrôle sur l’action du président , les pouvoirs exceptionnels de ce dernier ne pourraient-ils pas justifier en cas de blocage des institutions la possibilité de dissoudre l’Assemblée Nationale.

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 On le voit bien, la suppression du dit poste aura des incidences directes sur le système politique et le mode de gestion de l’état. Elle aura un impact certain sur la vie démocratique et institutionnelle du pays.

La reforme touchera tous les compétences alors dévolues au premier ministre. Par suite cela va entrainer un accroissement des tâches présidentielles pour ne pas dire qu’elle va charrier une centralisation par trop poussée. 

Les raisons invoquées donnent aussi à voir que la présence du ministre Boune Abdallah a constitué jusqu’ici sinon un d’étranglement   du moins une certaine gêne ou un obstacle par rapport à la conduite des affaires gouvernementales. Ce qui n’est absolument pas évident. Qui peut garantir dans le kaléidoscope  très compliqué de l’état qu’en étant seul à bord les choses seront mieux conduites. Le président Abdou Diouf n’a t il pas fait les frais de la suppression de ce poste avant de la  reconduire ?

Les motifs invoqués semblent également faire litière de ce que c’est le Président de la république lui même qui détermine la politique de la nation et que  le premier ministre n’en assure que  la conduite. 

De même cette suppression semble occulter le fait que c’est le Président de la république qui nomme aux emplois civils et militaires et peut selon sa volonté le  remplacer à tout moment s’ il se révèle inefficace. Le premier ministre reste à la merci du décret présidentiel. Il s’agit donc d’une fonction par trop précaire. Au demeurant, la fonction est à ce point précaire que Jean Pierre Chevènement déclarait : «Un  ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne. »L’on conçoit mal au Sénégal qu’un ministre ou le primus inter pares puisse prôner une ligne politique, économique aux antipodes de celle présidentielle.

      Autre aspect fondamental : Que se soit en France ou au Sénégal le premier ministre tout coordonnateur de l’action gouvernementale qu’il soit, n’est pas toujours le plus puissant ou l’homme de confiance du président. Des ministres occupant des postes de souveraineté tels que l’intérieur ou les finances ou autres stations de responsabilité peuvent se moquer  du premier ministre.

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      C’est d’ailleurs pourquoi en France certains observateurs considèrent le premier ministre comme un transmetteur de courrier. Des hommes politiques chevronnés ont tellement bien compris cette réalité qu’animés d’ambition présidentielle, ils  ont refusé systématiquement d’accepter le poste de premier ministre alors proposé. Nicolas Sarkozy avant d’être Président était ministre de l’intérieur. Au Sénégal seul deux anciens premiers ministres ont accédé à la Présidence : l’un à la faveur de l’article 35 ; l’autre au suffrage universel direct  lors de sa première compétition électorale.

       L’histoire constitutionnelle du Sénégal indique assez une irrésistible ascension du pouvoir exécutif. A travers les réformes antérieures, l’on a souvent assisté à un affaiblissement du pouvoir législatif et même dans le domaine déjà limité du pouvoir législatif, l’exécutif a toujours disposé de certains moyens d’action .Sous ce rapport, la prérogative du Président de la République de pouvoir lui seul convoquer une session extraordinaire de l’Assemblée Nationale (amendement de l’article 63 de la constitution) ne donne t- elle pas à voir qu’il entend  revêtir  les habits d’un chef absolu  voire même d’un  monarque républicain pour reprendre notre ancien professeur de Sciences Politiques Ibrahima Fall .

En définitive, il s’impose d’évidence que le régime politique sénégalais, exécutif à une seule tête, avec l’accroissement des pouvoirs, objet du projet de loi  constitutionnelle N° 07 / 2019, s’enfonce inexorablement vers un présidentialisme à outrance, le président conservant entre ses mains presque tous les pouvoirs. 

Au demeurant  supprimer le pouvoir de l’Assemblée Nationale de se réunir en session extraordinaire dans le contexte actuel  suscite interrogation puisque pour l’ordinaire, ce pouvoir ne fait rien et ne peut rien faire sans l’aval du chef de l’exécutif, s’agissant d’une vaste chambre d’enregistrement qui applique systématiquement la discipline de vote. Se peut-il que la réforme envisage la survenance de cas autre que cette majorité mécanique actuelle. Gouverner, n’est ce pas prévoir ? Mérite réflexion le mot du président Senghor ; «Il ne suffit pas de reformer les institutions il faut reformer les esprits et les mœurs.»

Me Serigne Amadou MBENGUE

 Avocat à la Cour







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