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À Propos De La Situation En Republique Democratique Du Congo

Avril marque le Mois de la prévention et de la sensibilisation au génocide, un moment pour réfléchir sur l’histoire, les causes et les victimes des massacres génocidaires passés remontant à plusieurs décennies – notamment au Rwanda, à Srebrenica, au Cambodge, en Arménie et ailleurs – et aussi pour mobiliser la détermination permettant d’affronter les risques auxquels sont actuellement confrontées les populations et ainsi prévenir de futures atrocités de masse.

 Depuis près de 30 ans, nous observons avec une profonde inquiétude une violence cyclique et aveugle alors que les conflits internationalisés ravagent les populations à travers la RDC, en particulier celles des régions orientales frontalières du Rwanda, de l’Ouganda, du Burundi et de la Tanzanie. Les forces armées congolaises et étrangères, ainsi que d’innombrables groupes armés abusifs, ont régulièrement perpétré des violations et des abus généralisés – dont certains peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. L’impunité pour les atrocités, la corruption endémique, la mauvaise gouvernance et les discours et incitations à la haine ont tous contribué à de nouvelles exactions généralisées contre les civils, à l’intensification des tensions ethniques et des troubles politiques, et à un nombre record de déplacés congolais.

La récente visite du Conseil de sécurité de l’ONU dans l’est de la RDC et les rapports du Secrétaire général Antonio Guterres faisant état de violences « alarmantes » ont mis en lumière la crise, mais il reste encore beaucoup à faire face à la gravité de la situation, en particulier face au risque croissant d’atrocités ciblant des segments vulnérables de la population.

Depuis que le gouvernement a déclaré la loi martiale dans les provinces du Nord Kivu et de l’Ituri sous un soi-disant «état de siège» en mai 2021, les atrocités et la violence se sont intensifiées au milieu d’attaques généralisées par des groupes armés abusifs comme la Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) et les Forces démocratiques alliées (ADF) notoirement brutales. Depuis octobre 2022, plus de 1 300 personnes ont été tuées rien qu’en Ituri et au Nord-Kivu.

Sous l’état de siège, un climat d’intolérance s’est développé, les autorités du Nord-Kivu et de l’Ituri ayant utilisé des pouvoirs étendus pour intensifier leur répression contre les voix dissidentes. L’armée et la police ont restreint les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ; détenu et poursuivi arbitrairement des défenseurs des droits humains, des journalistes, des membres de l’opposition politique ou d’autres personnes considérées comme critiques à l’égard du gouvernement ; et des manifestations pacifiques ont été interdites et violemment réprimées.

En outre, des millions de Congolais vivent en première ligne de combats intenses alors que le groupe armé du Mouvement du 23 mars (M23) a étendu son contrôle à travers le Nord-Kivu et avancé près de la capitale provinciale, Goma. Depuis le lancement de sa nouvelle offensive, le M23 a commis des exactions généralisées contre les civils, notamment des meurtres délibérés, des recrutements forcés et des bombardements aveugles, entre autres crimes de guerre possibles. Pendant ce temps, pour tenter de faire face à l’offensive du M23, l’armée congolaise (FARDC) a utilisé et soutenu comme mandataires des groupes armés qui ont eux-mêmes été impliqués dans des exactions et des atrocités généralisées, y compris, entre autres, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (Les Forces démocratiques de libération du Rwanda, FDLR). Les FDLR sont un groupe armé majoritairement hutu rwandais, dont certains dirigeants avaient participé au génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda. Actifs dans l’est de la RDC depuis des années, les combattants des FDLR ont une longue histoire de meurtres, de mutilations et de violences sexuelles contre des civils dans le Nord et le Sud-Kivu.

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On note, depuis que le gouvernement de la RDC accuse le Rwanda de soutien au M23, une escalade dramatique de la désinformation, de la xénophobie, des discours de haine et de l’incitation à la discrimination et à la violence, ciblant en particulier les Tutsis/Banyarwanda et d’autres personnes d’origine rwandaise ou présumées l’être. Il y a une histoire dans l’est de la RDC de sentiments et de rhétorique anti-tutsis dangereux ciblant les personnes qui parlent le kinyarwanda, longtemps perçues comme des «étrangers» ou des «envahisseurs» en RDC. Alors que ces populations ont fréquemment été menacées et attaquées ces dernières années, les risques auxquels elles sont confrontées se sont accrus au rythme des discours dangereux propagés par des personnalités de partis politiques, des dirigeants communautaires, des acteurs de la société civile et des membres de la diaspora congolaise.

Les belligérants font de plus en plus appel aux allégeances ethniques et sèment la discorde entre les communautés. À Kitchanga et dans d’autres villages, des centaines de civils tutsi – régulièrement perçus par les membres d’autres communautés comme des partisans du M23 – ont fui par peur des représailles de groupes armés diffusant une rhétorique hostile et menaçante contre leur communauté. Le Groupe d’experts des Nations Unies a documenté des incidents de violence ciblée ou de lynchage public d’individus rwandophones.

Plusieurs responsables et organes de l’ONU ont exprimé leur inquiétude face à l’escalade de la rhétorique incendiaire dans le pays. Dans l’une de ces déclarations, la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, et la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide, Alice Nderitu, ont mis en garde : « le discours de haine… se concentre sur des aspects qui importaient moins auparavant, incite à parler de nous contre eux », et corrode la cohésion sociale… Les messages haineux augmentent le risque de violence, y compris les atrocités criminelles ciblant des groupes spécifiques de personnes.

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Les atrocités criminelles sont souvent précédées d’une incitation à la violence par le biais d’un discours de haine. La rhétorique haineuse a la capacité unique d’inciter ou d’inspirer la violence contre le groupe ciblé en répandant la peur ou la haine en son sein. La diabolisation de groupes spécifiques de personnes présentées comme « dangereuses » ou « inférieures » a entraîné des tragédies catastrophiques dans le passé, notamment l’Holocauste et le génocide des Tutsi au Rwanda. Le parti nazi a utilisé des tabloïds antisémites, tels que Der Stürmer, et la radio gouvernementale pour favoriser un environnement où le peuple allemand persécuterait et diaboliserait les Juifs uniquement sur la base de leur identité. Au Rwanda, la station de Radio-Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) a joué un rôle déterminant dans l’incitation au génocide en diffusant des discours haineux sur les « cafards » tutsi et en exhortant les Hutu à se retourner contre leurs voisins. Les médias ont également aidé à recruter et à coordonner des massacres.

La résurgence du M23 a non seulement aggravé la crise humanitaire et des droits humains déjà préoccupante dans l’est de la RDC, mais elle a également ravivé les tensions entre la RDC et le Rwanda, ce qui met sérieusement en danger la cohésion et la stabilité nationales et régionales. Il est impératif que les gouvernements du Rwanda et de la RDC engagent un dialogue et un processus de médiation axé sur les droits pour empêcher toute nouvelle escalade.

Reconnaissant que les États ont la responsabilité première de protéger leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le nettoyage ethnique, il incombe en particulier au gouvernement de la RDC de prendre des mesures concrètes pour protéger toutes les personnes sans discrimination, ainsi que de veiller à faire rendre compte à tous les auteurs d’atrocités :

Conformément à la recommandation de la Conseillère spéciale des Nations Unies pour la prévention du génocide, le Parlement de la RDC devrait adopter une loi sur le racisme, la xénophobie et le tribalisme pour renforcer le cadre juridique sur le discours de haine et contrer la récurrence de l’incitation à la violence.

Le gouvernement devrait également sanctionner les individus responsables de la propagation de discours de haine et/ou d’incitation à la violence, à la discrimination ou à l’hostilité conformément à la Stratégie et au plan d’action des Nations Unies contre le discours de haine, quel que soit leur rang ou leur affiliation politique.

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Répondre aux abus perpétrés par les groupes armés et les agents du gouvernement et prévenir de nouvelles tensions entre les communautés est d’autant plus essentiel que la RDC se rapproche des élections générales prévues en décembre. Les élections exacerbent souvent les tensions existantes entre les communautés – en particulier si les politiciens et les candidats incitent et mobilisent les divisions ethniques pendant la campagne – et peuvent être un déclencheur d’atrocités. De plus, les mesures prises pour restreindre les droits de l’électorat pendant un cycle électoral non seulement risquent de saper le processus démocratique, mais augmentent également les menaces pour les populations vulnérables. Déjà, un groupe de Tutsi congolais a fait part aux journalistes d’une campagne hostile, y compris des menaces et des violences au mois de février, pour les empêcher de s’inscrire pour voter au Sud-Kivu.

L’ONU continue de jouer un rôle crucial dans la désescalade des tensions et dans la prévention d’une nouvelle rechute catastrophique dans la violence:

La mission de maintien de la paix des Nations unies (MONUSCO), le Haut Commissaire aux droits de l’homme (HCDH) et la Conseillère spéciale pour la prévention du génocide doivent continuer à mobiliser les autorités locales, provinciales et nationales, ainsi que les journalistes et la société civile, pour condamner le discours de haine ainsi que la stigmatisation et le profilage racial des communautés.

La MONUSCO, avec le soutien du HCDH, doit développer et mettre en œuvre ses mécanismes d’alerte précoce et de réponse aux violences électorales pour garantir que les élections soient pacifiques, transparentes, crédibles et inclusives.

Malgré les graves risques auxquels sont confrontées les populations en RDC, la crise reste l’une des plus négligées au monde. Alors que nous observons le Mois de la sensibilisation et de la prévention du génocide, il est essentiel que nous apprenions du passé et que nous prenions des mesures efficaces pour lutter contre les causes immédiates et sous-jacentes de la violence de masse afin de briser le cycle des abus et de l’impunité. Nous le devons aux victimes du Génocide des Tutsi au Rwanda. Nous nous le devons à nous-mêmes.

S.E. Maitre Adama Dieng est président-fondateur de l’Alliance panafricaine pour la transparence et l’État de droit, ancien conseiller special pour la prevention du genocide.

Hon. Professeur Gareth Evans est ancien ministre australien des Affaires étrangères, président émérite de l’International Crisis Group.







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