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Pr Malick Ndiaye, Ou La Mort D’un Chevalier «sans Peur Et Sans Reproche»

Entre 1990 et 1991, alors que ce journal était encore un bébé, une signature politique récurrente a longtemps intrigué les membres de la rédaction. A chaque fois qu’une « déclaration », selon le terme militant de l’époque, sortait ou qu’une initiative était lancée par l’opposition, parmi les organisations signataires il y avait toujours un « Cercle des lecteurs de Soukhouba » à l’époque grandement inconnu au bataillon. Nous avons donc voulu savoir quel groupuscule se cachait derrière ce nom étrange.

Notre collaborateur Ibou Fall se proposa de mener l’enquête. Au terme de ses investigations, il nous a remis un succulent papier — du genre de ceux dont lui seul a le secret — que nous avions titré à la une : « Les mystérieux lecteurs de Soukhouba enfin dénichés! » En fait, il s’agissait d’un groupuscule de militants de l’extrême gauche qui avaient créé un cercle de réflexions, marxistes évidemment, autour d’une revue théorique intitulée « Soukhouba ». Un terme qui voulait dire, si mes souvenirs sont exacts, la « lance » en langue mandingue ou socé. Surtout, Ibou avait enfin donné un visage à ce mystérieux groupe et ce visage n’était autre que celui d’un jeune professeur de sociologie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar nommé…Malick Ndiaye ! C’était la première apparition en pleine lumière de ce militant qui avait évolué jusque-là dans la clandestinité et que « Le Témoin » projetait sous les feux de la rampe.

En réalité, Malick Ndiaye n’était pas le directeur de publication de cette revue qui était plutôt dirigée par un certain Abdoulaye Nguette, un enseignant qui servait à Mbour. Puisqu’il ne vivait pas à Dakar, Ibou Fall avait donc été orienté vers notre Malick Ndiaye national dont le groupe fit partie des forces qui fusionnèrent avec And Jëf Mouvement révolutionnaire pour la démocratie nouvelle (AJ/MRDN) en 1991 pour donner naissance à And Jëf Parti africain pour la Démocratie et le Socialisme (AJ/PADS). Les « lecteurs de Soukhouba » faisaient partie à cette période-là de la nébuleuse de l’extrême gauche sénégalaise aux côtés d’autres groupuscules comme la LCT (Ligue communiste des travailleurs), l’OST (Organisation socialiste des travailleurs), toutes deux trotskystes, mais aussi Ferñent .

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Certaines de ces organisations ont rejoint par la suite le MSD (Mouvement pourle socialisme et la démocratie) du président Mamadou Dia qui a donné naissance plus tard au MSU (Mouvement pour le Socialisme et l’Unité) tandis que d’autres se sont fondus dans AJ.

Pour en revenir à notre homme, le Pr Malick Ndiaye, depuis cette époque tumultueuse où des forces de gauche évoluant pour la plupart dans la clandestinité luttaient pour l’élargissement et l’approfondissement de la démocratie dans notre pays — une démocratie corsetée et bridée par la loi sur les trois puis quatre courants de pensée instaurée par le président Senghor avant le multipartisme intégral décrété par son successeur Abdou Diouf en 1981 —, depuis cette époque, donc, Pr Malick Ndiaye était à la pointe de tous les combats et sur tous les fronts dans notre pays. En première ligne qui plus est ! Qu’il s’agisse de luttes politiques, de revendications syndicales, de combats sociétaux, de batailles panafricaines — comme lorsque le régime français de Nicolas Sarkozy a fomenté le renversement de son ami Laurent Gbagbo alors président de la Côte d’Ivoire —Malick était toujours présent. On pourrait dire de lui qu’aucune lutte pour le salut du genre humain, aucun combat pour le progrès social et la dignité des peuples ne lui étaient étrangers. C’était un combattant qui s’est battu sa vie durant pour toutes les causes, y compris les plus improbables, les plus discutables souvent, mais la plupart du temps pour les bonnes causes. Union de la gauche sénégalaise, création de syndicats comme le Saes dont il était une des figures de proue, réintégration des travailleurs de l’Ipres affiliés à l’Unsas licenciés par le vieux Madia Diop, défense des libertés, contre la dévaluation de franc CFA, contre l’impérialisme français, contre les Accords de partenariat économiques, contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour la Palestine, « touche pas à mon salaire », Mouvement du 23 juin…Malick Ndiaye n’a déserté aucun combat. Tous les prétextes étaient bons pour lui de descendre dans la rue, d’appeler à manifester, de battre le rappel des troupes. Pamphlétaire, pétitionnaire, engagé, c’était un intellectuel non pas — ou pas seulement ! — au sens gramscien du terme, mais plutôt à celui de ces hommes de courage qui s’étaient joints à Emile Zola dans son combat pour défendre le capitaine Dreyfus victime d’une cabale monstrueuse parce que Juif. Et qui avaient signé sa fameuse pétition après son retentissant « J’accuse ! » Comme Zola, il prenait sa plume à la moindre occasion pour dénoncer, accuser, défendre, témoigner.

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Un « ceddo » et fier de l’être !

Courageux, anticonformiste, preux, Malick n’hésitait pas à ramer à contre-courant de l’opinion, à prendre des positions iconoclastes, à provoquer, à encourir l’impopularité. Il n’en avait cure car c’était un homme libre qui disait ce qu’il pensait quoi qu’il pouvait lui en coûter. Et il a souvent payé au prix fort cette liberté de pensée pour avoir craché dans la soupe et dit son fait au Prince. Surtout, dans un pays où le voile hypocrite de la religion sert à camoufler bien des turpitudes, bien des comportements immoraux, bien des choses pas du tout catholiques, pardon musulmanes, lui, s’était fait le chantre de l’éthique « ceddo ». Et se comportait aussi en « ceddo » même s’il avait une fibre religieuse prononcée. C’était aussi ça un des paradoxes qui faisaient le charme du Pr Malick Ndiaye. Lequel était un idéaliste comme on n’en fait plus et croyait à l’avènement d’un monde plus juste pour lequel il s’est battu sa vie durant. Il était comme le chevalier Bayard c’est-à-dire sans peur et sans reproche !

Sur le plan purement universitaire, l’homme qui vient de nous quitter nous lègue une abondante production intellectuelle dont je laisse le soin à d’autres compatriotes plus qualifiés que moi de la commenter. On retiendra également qu’il a travaillé dans les cabinets des présidents Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall. Il fut un collaborateur talentueux, certes, mais aussi incommode puisque n’hésitant pas à violer les convenances pour dire ce qu’il pensait à ces puissants.

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S’agissant du « Témoin », il était devenu un ami de notre journal depuis que ce dernier avait sorti de l’ombre le « lecteur de Sokhouba » qu’il était et s’est toujours dressé à nos côtés à chaque fois que nous avons été agressés ou attaqués devant les tribunaux. En plus de 30 ans, son soutien ne nous a jamais fait défaut. La dernière fois qu’il a voulu nous le manifester, c’était il y a quelques mois, lorsque nous avions écrit que nous allions fermer boutique ou nous reconvertir dans une autre activité étant donné que la Commission nationale de la carte nationale de presse refusait de nous délivrer des cartes professionnelles. Nous blaguions, bien sûr, mais le Pr Malick Ndiaye avait pris cela au pied de la lettre et nous avait appelés pour nous faire part de sa décision d’organiser une marche pour « Le Témoin » !Nous avions eu du mal à le convaincre de renoncer mais tel était le Pr Malick Ndiaye, toujours prompt à combattre l’injustice, cet ami que nous pleurerons toujours!







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