Aura-t-il un sursaut d’orgueil, de courage ou de dignité pour oser se mettre, sans y être contraint manu militari, devant son accusatrice, Adji Sarr, dans un procès public ? Ousmane Sonko a multiplié tous les subterfuges, tous les dilatoires pour repousser ce face-à-face fatidique. Il s’était résigné à se rendre au bureau du magistrat instructeur, le Doyen des juges, Oumar Maham Diallo, à l’occasion d’une séance de confrontation pour s’épargner d’être cueilli par la force publique, en exécution d’un inéluctable mandat d’amener dont la menace avait été brandie par les autorités judiciaires. La conséquence immédiate d’un refus de comparaître aurait fatalement été la révision de sa situation de contrôle judiciaire à laquelle le soumettait le juge. On sait la passivité de Ousmane Sonko, ce fameux mardi 6 décembre 2022, devant une plaignante pugnace dans le bureau du Juge d’instruction et qui a semblé avoir fini de retourner la situation pour avoir désormais un ascendant manifeste sur son présumé agresseur sexuel.
En effet, Ousmane Sonko s’autorise à parler de tout le monde, d’attaquer et insulter les magistrats, les journalistes, ses adversaires politiques, les avocats, les officiers de police et de gendarmerie, mais jamais il ne s’aventure à prononcer un mot plus haut, sur le compte de Adji Sarr qui reste pourtant la source de ses malheurs et déboires, et qui n’a de cesse de le toiser, de le défier et même de le narguer à travers les réseaux sociaux. La seule fois où il a pu prononcer le nom de Adji Sarr, c’était pour la couvrir de fleurs, d’éloges. C’est dire !
Ousmane Sonko déserte Dakar
L’homme voudrait fuir son procès du 16 mai 2023. Il avait évité d’affronter Mame Mbaye Niang à la barre du Tribunal, encore moins de sortir les éléments de preuves qu’il disait détenir. Il clamait partout être impatient de vider l’affaire Adji Sarr devant le Tribunal pour démonter le sordide complot ourdi contre sa personne. Si Mame Mbaye Niang avait été amené à ester en Justice, c’est aussi justement parce que Ousmane Sonko disait ne sortir ses preuves que devant un Tribunal pour le confondre dans l’affaire Prodac. Au début de cette affaire, Mame Mbaye semblait se suffire d’un jury d’honneur en affirmant que si «Ousmane Sonko publiait un quelconque rapport qui (l)’aurait épinglé, (il) démissionnerait de (son) poste de ministre». Au procès, Ousmane Sonko avait préféré simuler un malaise pour se faire hospitaliser et s’organiser pour ne plus se rendre à l’audience de jugement.
Dans l’affaire Adji Sarr qui doit être appelée demain 16 mai 2023, il continue de se cacher des huissiers de Justice et des agents de police, commis pour lui porter des notifications et autres actes de procédure. Il a fini par choisir la démarche la plus veule qui soit, celle de déclarer ignorer les institutions judiciaires et n’avoir pas à s’expliquer d’une façon ou d’une autre. Il a choisi la «désertion», plutôt que de laver son honneur.
Le 1er mai 2023, en tournée politique dans les localités de Mont-Rolland, Pambal et Taïba Ndiaye, Ousmane Sonko, son agenda judiciaire déjà en main avec des procès pour diffamation et faux en écritures publiques contre Mame Mbaye Niang et pour viol et sévices sexuels contre Adji Sarr, n’avait qu’un mot à la bouche : «Préparez-vous à résister, le combat, c’est à Dakar, prenez des voitures ou allez-y à pied, le combat se mène à Dakar et non à l’intérieur du pays.» Il ajouta dans la foulée, entamer une «désobéissance civile contre une Justice injuste».
Ainsi annonçait-il ne plus répondre aux convocations des institutions judiciaires et refuser toute collaboration. Il profita de l’occasion pour vouer aux gémonies les magistrats. Ils sont sans doute nombreux à avoir commencé à prendre leurs dispositions pour aller au combat final dans les rues de Dakar, le combat pour la «révolution» auquel il a appelé, pour bouter le Président Macky Sall du pouvoir. Le rendez-vous donc a été fixé pour le «Mortal Kombat». Mais le plus pitoyable dans l’affaire est que Ousmane Sonko a pris le chemin inverse, quittant Dakar, la veille de son premier procès, pour aller se réfugier à Ziguinchor, laissant ses troupes qu’il avait appelées à Dakar sans chef. Il a déjà pu constater sa vulnérabilité à Dakar car à chaque fois que les forces de police avaient voulu le prendre pour le conduire à la destination de leur choix, elles y étaient arrivées sans encombre ni grabuge.
En effet, après les dramatiques événements de mars 2021 avec leur cortège de morts, les autorités publiques ont pris leurs dispositions pour régler avec plus d’efficacité les situations de maintien de l’ordre. Aussi, en amont, des groupes ont pu être démantelés et des coups de filet efficaces opérés dans les rangs des porteurs de projets funestes de déstabilisation.
Ousmane Sonko a quitté Dakar et avait mis en scène son départ par une photo, publiée, le 2 mai 2023, à travers les réseaux sociaux, montrant qu’il était en route pour Ziguinchor. Depuis lors, il est resté dans la ville dont il est le maire (plus exactement dans la zone devrait-on dire), plus de temps qu’il n’a jamais eu à y passer auparavant.
Espérait-il trouver des foules de jeunes gaillards prêts à défendre son quartier général ? Il n’a véritablement pas de scrupule à laisser des personnes donner leur vie pour ses déclarations mensongères ou ses ébats sexuels. Il a balancé à ces jeunes dévoués à sa cause cette consigne sidérante : «Ku dé sa yaay juraat (Ndlr : si tu meurs ta maman va enfanter à nouveau).» Quel bel hommage aux victimes et quelle touchante compassion pour les familles éplorées ! Comme tous les autocrates, l’homme est un pleutre qui peut appeler les autres à donner leur vie, mais tient à la sienne. On en veut pour preuve sa course, montrée par les caméras de télévision, pour échapper à la police, le 10 novembre 2021, dans les rues de la Médina à Dakar. Il ne se souciait sans doute plus de son légendaire mal de dos. (Voir notre chronique du 15 novembre 2021 : «Dites-moi, c’est Ousmane Sonko ce sprinter ?»).
Ces derniers jours, il s’est très vite détrompé en faisant des sorties pédestres dans sa ville de Ziguinchor et constater que sa présence ne charriait plus grand monde. Au contraire, ses administrés, frustrés par la gestion de l’édile de la ville, l’ont interpellé sur des questions cruciales auxquelles il ne trouve de réponses. Ousmane Sonko ne verra que quelques badauds et quelques dames d’un certain âge faire le guet devant son domicile.
Il faut dire que l’annonce de sa bravade contre les institutions judiciaires avait fait sourire. On se disait bien que ce n’était qu’une fanfaronnade de plus, surtout qu’il s’était bien gardé de désengager ses avocats qui continuaient à aller plaider pour lui. Après sa condamnation à une peine de six mois de prison avec sursis et le paiement de 200 millions de francs à titre de réparation civile à Mame Mbaye Niang, Ousmane Sonko vient de ravaler sa bravade contre les institutions judiciaires pour se pourvoir en Cassation devant la Cour suprême. On retiendra qu’en dépit de ses insultes, bravades et menaces contre les magistrats, il a systématiquement usé de toutes les voies de recours qui s’offrent à lui, participant ainsi «aux farces judiciaires» qu’il dénonce avec véhémence. Mieux, comme s’il n’en était pas à une incohérence près, à l’issue d’une réunion d’un Conseil municipal à Ziguinchor le 8 mai 2023, il avait annoncé déposer une plainte (devant la même Justice sénégalaise) pour prévarication de deniers publics contre l’ancienne équipe municipale dirigée par Abdoulaye Baldé.
Tout cela est pour montrer que la désobéissance prônée par Ousmane Sonko n’est qu’un simple moyen de fuite, une dérobade. D’ailleurs, quand il a compris qu’il ne trouverait pas dans sa ville de Ziguinchor le bouclier humain qui pourrait empêcher les Forces de sécurité d’exécuter une éventuelle ordonnance de prise de corps afin qu’il comparaisse manu militari, Ousmane Sonko a pris les devants pour se fondre dans la nature. Il reste introuvable à Ziguinchor et fait des pérégrinations à travers divers «bois sacrés» de la région. Où se trouvera-t-il aujourd’hui 15 mai 2023 ? La loi exige qu’il se présente au greffe de la juridiction en charge de son dossier afin de confirmer sa présence le jour de l’audience. Autrement, le juge pourra délivrer une «ordonnance de prise de corps» et il pourrait être appréhendé de manière humiliante. Seulement, faudrait-il pouvoir mettre la main sur lui.
A l’occasion d’un meeting du F24 organisé le vendredi 12 mai 2023 à Dakar, l’ancien procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao, avait lancé un appel public aux jeunes pour empêcher l’exécution d’une ordonnance de prise de corps à l’encontre de leur leader. Devrait-on désespérer qu’un ancien procureur, qui avait fait cueillir avec une force impressionnante Karim Wade ainsi que d’autres citoyens, au nom du principe que force doit rester à la loi, en arrive à inciter à entraver par la violence l’action de la Justice ? Franchement, l’inspecteur des Impôts et numéro 2 du parti Pastef, Bassirou Diomaye Faye, qui croupit en prison, n’a pas dit plus grave que Alioune Ndao !
Il reste que d’aucuns appréhendent qu’en se rapprochant ces derniers jours des bases du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc), au risque de se faire juger par contumace, Ousmane Sonko se préparerait à une cavale et chercherait le moyen de se mettre sous la protection des rebelles indépendantistes. Assurément, fuir et prendre le maquis pour quelqu’un qui voudrait devenir président de la République en 2024, ne serait pas le meilleur présage pour ses partisans, d’autant que le cas échéant, un mandat d’arrêt serait émis contre sa personne. Pourrait-il se cacher indéfiniment ? De toute façon, on peut dire qu’il trouvera difficilement gîte et couvert dans les tranchées du Mfdc et pour cause !
Les bases rebelles du Mfdc se ferment devant lui
De nombreux responsables du Mfdc, notamment César Atoute Badiate, trouvaient en la personne de Ousmane Sonko «le leader politique qui manquait à la Casamance» indépendantiste, devrait-on dire. A travers ces colonnes, nous avions maintes fois alerté sur les liaisons dangereuses de Ousmane Sonko avec des factions du Mfdc. Il n’y a pas de plus hypocrite procès d’intention dont nous n’avions pas été l’objet pour avoir dit tout haut ce que tout le monde savait et disait tout bas. Mais, devant les ignobles assassinats et la prise en otage humiliante et dégradante de militaires sénégalais en Gambie par des éléments du chef de guerre Salif Sadio, le silence de Ousmane Sonko avait plus qu’embarrassé ceux qui voulaient encore l’absoudre de liens avec le Mfdc.
Mieux, des personnes arrêtées à l’occasion de manifestations violentes à Dakar et à Touba, organisées par le parti Pastef, en sont arrivées à revendiquer leur appartenance à la rébellion armée. Le procureur de Dakar, Amady Diouf, révéla l’arrestation le 8 juin 2022, de Ousmane Kabiline Diatta, membre du Mfdc et homme d’action d’un commando subversif de membres du parti Pastef, auteurs d’actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles politiques graves.
Dans une autre conférence de presse du 28 mars 2023, le Procureur général près la Cour d’appel de Dakar, Ibrahima Bakhoum, révéla l’arrestation de Mamadou Diémé et d’un certain Goudiaby portant le sobriquet de «Rpg». Tous deux revendiquent leur appartenance au Mfdc.
Assurément, Ousmane Sonko demeure très lié à César Atoute Badiate. D’ailleurs, c’était grâce à la couverture de ce commandant du Front Sud du Mfdc que Ousmane Sonko et Barthélemy Dias avaient pu se rendre en Guinée Bissau le 21 janvier 2022.
Pour sa part, Salif Sadio ne pouvait pardonner à Ousmane Sonko ses bonnes relations avec son ennemi juré, César Atoute Badiate. Ainsi, Salif Sadio avait juré de lui faire payer cette alliance. Nous avions évoqué ces bisbilles dans une chronique en date du 21 février 2022 intitulée : «La brouille entre Ousmane Sonko et Salif Sadio.» Le maire de Ziguinchor ne voulait pas envenimer la situation et s’était donc interdit de piper un mot sur la prise d’otages des militaires perpétrée alors par des éléments de Salif Sadio. Ce silence, on l’a dit, était trop bavard. Il reste qu’il travaillera à pacifier ses relations avec le chef de guerre. C’est dans ce cadre qu’il avait été conduit, dans la nuit du 5 au 6 janvier 2023, par un groupe de 13 notables du Blouf, pour aller rencontrer Salif Sadio dans le maquis. Ironie de l’histoire, c’était au moment où les étudiants originaires de Ziguinchor avaient tenté la veille de le lyncher, le poussant à trouver refuge dans les locaux de la Gendarmerie nationale.
Un témoin raconte que Salif Sadio a eu à soumettre Ousmane Sonko à un exercice consistant à choisir un stylo parmi trois de couleurs différentes (noire, rouge et bleue) qu’il lui présenta. Ousmane Sonko choisit le stylo bleu. Salif Sadio expliqua à son interlocuteur que son choix indiquait qu’il devait être le représentant du Mfdc pour parapher un accord de paix qu’il comptait négocier avec l’Etat du Sénégal, d’autant qu’il est désormais assez conscient que le nouveau rapport de forces est trop favorable à l’Armée sénégalaise et que le Mfdc ne pouvait gagner la guerre. Salif Sadio offrit à son hôte la position de leader politique du Mfdc et lui laissa un délai de réflexion d’une semaine, au terme duquel Ousmane Sonko devait revenir pour lui dire s’il acceptait ou pas la proposition. Ce sera deux semaines plus tard que Ousmane Sonko, craignant sans doute pour sa sécurité, dépêcha le même groupe auprès de Salif Sadio avec le message qu’il ne pouvait accepter l’offre, mais souhaitait néanmoins que le chef de guerre mette à sa disposition des éléments pour participer à sa protection. Salif Sadio promit de réfléchir à la question. Ousmane Sonko ne semble plus songer remettre les pieds dans le fief de Salif Sadio.
Entretemps, d’autres factions du Mfdc, comme celle de Djakaye, dirigée par Fatoma Coly, ont fini de prendre leurs distances et signer un nouvel accord de paix, le samedi 13 mai 2023, avec l’Etat du Sénégal. Sur le Front Sud, César Atoute Badiate a beaucoup perdu de son influence en raison de profondes divisions survenues entre les différents chefs d’unité. Une rencontre entre des villages du Sénégal et de la Guinée-Bissau a eu lieu il y a quelques jours à Emaye, et la consigne qui en est sortie est d’aller dans le sens du dialogue prôné par Macky Sall. Cet appel semble être entendu par des éléments basés à Cassolol, qui détiennent en otage un Agent de sécurité de proximité (Asp) originaire de Santhiaba manjaque.