La situation du pays est inquiétante. Tout le monde retient son souffle, car tout laisse croire que nous nous dirigeons vers des confrontations dont personne ne peut mesurer l’ampleur.
Il y a quelques semaines, j’avais publié un article sous le même format, adressé à Ousmane Sonko. Dans l’allocution faite à la veille du procès du 8 mai, ce dernier a déclaré « nous pouvons être très déterminés quand il s’agit de lutter, mais une fois la victoire acquise, il n’y aura pas d’humiliation car nous n’aurons pas ce temps, suivant ainsi l’attitude du Prophète Mouhamed (PSL) suite à son retour victorieux à la Mecque ». Nous devons saluer cette disposition d’esprit qui favorise l’apaisement.
Face à une telle attitude, voici ce que nous proposons à Macky Sall :
– renvoyer le procès du 16 mai (décision retenue au moment où je finalise cet article) ;
– libérer tous les prisonniers d’opinion ;
– mettre en place un dispositif de dialogue à plusieurs niveaux ;
– initier des actions de recueil de feedback pour mieux ajuster les prises de décision.
Conseil N°1 : renvoyer le procès du 16 (décision retenue au moment où je finalise cet article)
Le renvoi de ce procès procèdera d’une position de sagesse. On évoque l’éventualité d’une arrestation d’Ousmane Sonko à la veille de ce procès. Le cas échéant, personne ne peut indiquer la tournure que les événements vont prendre. Même si la loi l’autorise, surseoir à ce type de décision n’est pas synonyme de faiblesse, dès lors qu’elle nous prémunit de confrontations inutiles.
Conseil N° 2 : libérer tous les prisonniers d’opinion
La libération immédiate de tous les prisonniers d’opinion sera positivement appréciée par les divers acteurs du pays qu’ils soient politiciens ou démocrates. Ce serait une réponse positive à la disposition d’esprit de ceux qui estiment que les représailles, les humiliations et la vengeance ne feraient qu’entraîner une perte de temps. De plus, elle pourrait rassurer les acteurs quant à la sincérité de ces nouvelles démarches et inverser les attitudes de défiance vis-à-vis du dialogue.
Conseil N°3 : mettre en place un dispositif de dialogue à plusieurs niveaux
Premier niveau : APR vs Pastef
L’objectif qu’on pourrait associer à ce premier niveau de dialogue est de rétablir la confiance et d’établir un climat politique serein. On peut imaginer la tenue de ce premier niveau de dialogue sous la présidence d’éminentes personnalités comme Fatou Sow Sarr, Abdoulaye Bathily et/ou Abdoul Aziz Tall. Le résultat ou livrable attendu de ce premier niveau de dialogue est une charte de type « gentlement-agreement ».
Deuxième niveau : Benno vs YAW plus F24
L’objectif associé à ce deuxième niveau serait, d’une part, de renforcer l’État de Droit et la démocratie, et d’autre part, de sauvegarder la paix et la stabilité du pays d’ici la prochaine échéance électorale. On pourrait éventuellement confier la présidence de ce deuxième niveau de dialogue à l’une ou plusieurs des personnalités mentionnées précédemment auxquelles on pourrait ajouter le Professeur Babacar Kanté. Le résultat ou livrable attendu ici sera un document de synthèse des accords.
Les deux documents issus des deux niveaux de dialogue seront largement publiés et partagés avec les Chefs religieux ou coutumiers.
Conseil N°4 : initier des actions de recueil du feedback pour mieux ajuster les prises de décision
Tout comme il est important, en entreprise, d’organiser régulièrement une écoute des clients et des employés, en politique le recueil de feedback en provenance des segments de l’électorat doit également être complété par celui des militants et des sympathisants. Cette symétrie des attentions permet de mieux gérer l’écosystème et d’éclairer les prises de décision. Parmi les sujets sur lesquels on peut recueillir du feedback provenant des militants et sympathisants, on pourrait mentionner :
-l’idée de postuler pour un troisième mandat ;
-la décision d’interdire aux militants de s’exprimer sur le troisième mandat ;
-la question du procès Sweet Beauty ;
-le fonctionnement du parti ;
-le fonctionnement de la coalition BBY, etc.
De nombreux observateurs estiment que toutes les actions dirigées contre Ousmane Sonko n’ont fait que lui ouvrir la voie vers le Palais de la République. Est-ce que le pouvoir organise des études simples de feedback en provenance de l’électorat pour évaluer leur perception des diverses décisions prises en l’encontre d’Ousmane Sonko ? Certains observateurs estiment qu’entre le mois de mars et maintenant, il aurait fallu organiser de nombreux Nemeku tour et des tournées à l’extérieur du pays pour gagner autant en notoriété et en capital confiance. Si je réduis tout à mon microcosme, avec toutes ses limites, je constate que l’électorat féminin était très réticent aux actions ou discours du candidat Ousmane Sonko, mais suite aux exactions qu’il a subies, il est en train de gagner leur sympathie.
Conclusion
La mise en œuvre de ces conseils peut contribuer à apaiser le climat conflictuel actuel. Ousmane Sonko a fait un énorme pas de conciliation dans sa déclaration du 7 mai. Comme je l’avais mentionné dans le précédent article, « malgré les déchaînements de violence, les Sénégalais sont fondamentalement pacifiques et ils oublient vite. « Masla » et « Yeurmandé » sont très ancrés dans nos conduites quotidiennes. Il suffit de voir comment Aminata Touré a été accueillie par les leaders de YAW lors du meeting de Parcelles et ses nouveaux liens avec Guy Marius Sagna pour en être convaincu. Demain, rien n’exclut de voir assis côte à côte Macky Sall, Ousmane Sonko et leurs épouses respectives. »
Les argumentaires des extrémistes des deux camps ne font qu’accroître les risques de chaos généralisé. Il y a une hallucination positive chez les extrémistes du camp de l’opposition, qui pensent que le changement se fera facilement grâce à la mobilisation populaire. Il y a aussi une hallucination négative chez les extrémistes du camp au pouvoir, qui adoptent une position de déni face aux événements en cours. Ils estiment que tout va bien et minimisent les affrontements relayés sur les réseaux sociaux en les considérant comme de simples échauffourées qui se dissipent rapidement.
Ceux qui pensent que ces événements évoluent en intégrant à la fois des dynamiques rationnelles et des processus imprévisibles, sont beaucoup plus réservés quant à l’issue. Les érudits qui maîtrisent les textes saints, les intellectuels qui adoptent l’approche systémique, les hommes de gauche qui gardent en mémoire les insurrections et soubresauts du 19è siècle en France, savamment relatées par Karl Marx dans « les luttes de classe en France » et «le 18 brumaire de Louis Bonaparte » comprennent que l’histoire ne suit jamais un cours linéaire. Les Wolofs disent « Ay du yem ci Boppu borom ». Les systémiciens diraient qu’il y a quelque chose que le système tente de créer ou d’extirper, car il est toujours intelligent, créatif et génératif. Pourvu que cela s’opère au coût humain le plus faible possible. Macky peut largement y contribuer en ayant foi (confiance) en la sagesse de ce peuple et en la magnanimité de l’opposition.