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Opposant En Afrique, Un Sacre MÉtier

Sans préjuger de la décision que notre glorieuse justice rendra mardi prochain dans l’affaire de « viols répétés » et « menaces de morts » — l’inénarrable procureur y a ajouté la charge de « corruption de la jeunesse » pour corser le dossier ! — pour laquelle il est poursuivi, l’opposant Ousmane Sonko, sauf improbable miracle divin ou vigoureuse mobilisation de ses partisans, peut faire son deuil de sa participation à la présidentielle de février prochain. Pour cause, des juges de la cour d’appel de Dakar ont déjà scellé son sort en le condamnant à six mois de prison avec sursis assortis de dommages et intérêts de 200 millions de francs à verser à celui qui le poursuivait et qui n’est autre que l’actuel ministre de la Justice et poids lourd du parti au pouvoir. Un régime qui, visiblement, de même que l’on dit que le facteur sonne toujours deux fois (du nom d’un film culte !), a jugé plus sûr de faire condamner plutôt deux fois qu’une l’homme qui risque de lui ravir le pouvoir s’il n’est pas arrêté par des manœuvres judiciaires. Il était donc plus sûr, pour le régime de Benno Bokk Yaakar (BBY), d’avoir deux fers au feu judiciaire ! Condamné une première fois, donc, pour « diffamation » et « faux et usage de faux », le leader du parti Pastef peut s’attendre à l’être une deuxième fois pour « viols répétés » et « menaces de mort ». Si ce n’est pour corruption de notre belle jeunesse… Les vieux que nous sommes sont priés d’aller se rhabiller !

Jamais deux sans trois, dit-on. L’adage s’est vérifié dans notre pays où, depuis l’accession du président Macky Sall au pouvoir en 2012, Ousmane Sonko est le troisième opposant idéalement placé à une élection présidentielle à être éliminé par la justice. Honni soit qui mal y pense. Avant lui, les opposants Karim Wade et Khalifa Ababacar Sall avaient écopé de lourdes condamnations judiciaires pour, respectivement, « enrichissement illicite » et « escroquerie aux deniers publics ». Et si l’actuel maire de Ziguinchor n’est pas (du moins pas encore) passé par la case prison, c’est tout simplement parce qu’en mars 2021 ses partisans avaient déclenché de violentes émeutes pour s’opposer au probable ticket de séjour tous frais payés à l’hôtel zéro étoile de Rebeuss que s’apprêtaient à lui offrir les juges. Un ticket dont les deux « K » avaient déjà bénéficié leur permettant d’avoir tout le loisir de goûter au confort ainsi qu’au charme discret de cette maison d’arrêt et de correction…

Cela dit, si notre si notre si indépendante justice — j’évite de mettre des guillemets à ce mot pour ne pas m’exposer à des poursuites pour « exercice de la profession de journaliste » par la Sûreté urbaine de la Police ! — si donc notre si indépendante justice a fini de faire ses preuves en matière de liquidation d’opposants, elle ne détient pas pour autant la médaille d’or continentale dans cette discipline. Florilège d’exploits judiciaires.

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De l’escroquerie immobilière au trafic de bébés, faites votre choix !

En juin 2016, l’opposant Moïse Katumbi, richissime ancien gouverneur du Katanga et l’un des favoris à l’élection présidentielle de son pays, la République démocratique du Congo (RDC), voit le régime du président Joseph Kabila susciter des poursuites judiciaires contre lui pour « escroquerie immobilière » au détriment d’un ressortissant grec avant de le poursuivre directement pour « recrutement de mercenaires ». Pour l’ « escroquerie », il est condamné à un an de prison ferme par le tribunal de Lubumbashi, une peine qui a eu pour effet de le rendre inéligible. Avant le prononcé de la sentence, il s’était fait la malle…

Quelques mois plus tard, la juge Chantal Ramazani, qui avait prononcé cette peine, s’enfuit à l’étranger et déclare que d’intenses pressions avaient été exercées sur elle par le patron de la puissante Agence nationale de renseignement (ANR) en personne, pour qu’elle condamne Katumbi.

De ce côté-ci du continent, au Niger, l’opposant Hama Amadou, ancien Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale, bien placé pour la présidentielle de 2016, est accusé de… « trafic de bébés » et embastillé ! Malgré tout, bien que se trouvant en prison, il avait pu « participer » à la présidentielle et emmener au second tour le président Mahamoudou Issoufou ! Lequel, ayant vaincu sans péril, a donc triomphé sans gloire à l’issue de cette seconde manche durant laquelle son principal adversaire était privé de liberté.

En Côte d’Ivoire, l’opposant Guillaume Soro, qui fut Premier ministre et président de l’Assemblée nationale lui aussi, n’a pas pu se présenter à la dernière élection présidentielle. Il a été condamné à la prison à vie en 2021 pour « déstabilisation » après avoir écopé d’une peine de 20 ans de prison ferme l’année précédente sous l’accusation d’avoir, en 2007, acheté sa résidence avec des fond publics. Son véritable « crime », c’est d’avoir voulu se présenter à la présidentielle de son pays, celle d’octobre 2020, contre l’avis du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) dont il était l’allié jusque-là. Le même ADO avait pourtant été privé de concourir à cette compétition pour cause de nationalité douteuse par le président Henry Konan Bédié. A l’époque, le concept d’ « ivoirité » avait été opportunément sorti par des intellectuels apprentis sorciers (de la même engeance que ceux qui veulent pousser le président Macky Sall à faire un troisième mandat… pardon un deuxième quinquennat !) pour barrer la route à l’ex-gouverneur de la Bceao et leader du RDR (Rassemblement des Républicains). Les Ivoiriens stigmatisés comme étant des « allogènes » avaient dû mener une lutte armée pour chasser le successeur du président Bédié et installer leur champion au pouvoir après avoir renversé Gbagbo avec le soutien décisif de l’armée française. Ironie de l’histoire : c’est le même Guillaume Soro, qui avait dirigé cette lutte armée à la tête de la rébellion des « Forces nouvelles » — et donc porté au pouvoir Alassane Dramane Ouattara — qui a été condamné à la perpétuité par la « justice » de ce dernier et réduit à mener une vie d’apatride et de proscrit !

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Un troisième larron nommé Barrow

A l’intérieur même des frontières sénégalaises, mais dans le pays étranger qu’est la Gambie, l’ancien président Yaya Jammeh a fait jeter en prison par sa « justice » l’opposant historique Bakary Darboe. Au cours de la manifestation organisée par l’opposition pour exiger sa libération, l’un de ses adjoints, Solo Sendeng si je ne m’abuse, est arrêté à son tour. Affreusement torturé, il meurt en prison. L’opposition est décapitée à quelques semaines de l’élection présidentielle. Désemparée, ses leaders se réunissent en catastrophe et désignent sans illusions un de leurs cadres du nom d’Adama Barrow, un personnage plutôt falot. Il paraît que, lorsqu’il a appris que le choix de ses adversaires s’était porté sur cet ancien vigile à Londres mais qui s’était reconverti dans l’immobilier, il se serait écrié que ce n’était même pas la peine qu’il batte campagne. De fait, il avait fait le service minimum mais, contre toute attente, avait été battu par Barrow ! Le même scénario risque de se produire au Sénégal si le président Macky Sall et son principal opposant Ousmane Sonko se neutralisent mutuellement au cours de leur « mortal kombat »…ouvrant ainsi un large boulevard à un troisième larron qui pourrait très bien être tout aussi terne qu’Adama Barrow !

Ailleurs sur le continent, et à part les pays cités ci-dessus, les opposants ne sont guère mieux traités, les chefs d’Etat en place estimant que leur meilleure place, c’est la prison. Ainsi, en Tunisie, le leader du parti islamiste Ennahda, qui est le chef de l’opposition, est actuellement en prison pour « apologie du terrorisme ». L’ancien président de l’Assemblée des représentants du peuple purge une peine d’un an.

Mais intéressons-nous surtout à notre chère Afrique noire. Au Cameroun, l’opposant Maurice Kamto a goûté au confort des prisons de ce pays d’Afrique centrale pour avoir manifesté avec ses partisans contre les résultats de la présidentielle de 2018. Au bout de neuf mois de prison, il a été gracié par le président Paul Biya… Qui détient avec son homologue et voisin, l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema, le triste record continental des chefs d’Etat qui se sont le plus éternisés au pouvoir. En Guinée Equatoriale, donc, l’opposant historique Severo Moto, qui vit en exil en Espagne, a été maintes fois condamné par contumace, dont une fois à mort, pour des complots imaginaires. Autre grand démocrate qui ne fait pas dans la dentelle avec ses opposants, le Rwandais Paul Kagame. Si ces derniers ne sont pas traqués jusqu’à l’étranger et éventuellement trucidés, ils sont emprisonnés comme Mme Victoire Ingabire, emprisonnée de 2013 à 2018.

Terminons par le voisinage où, en République de Guinée-Conakry, le président de la Transition, l’ancien légionnaire français Mamady Doumbouya, a fait raser par des bulldozers, et sans autre forme de procès, les domiciles des deux figures de proue de l’opposition, Cellou Dallein Diallo et Sidya Touré. Sur les décombres de ces demeures acquises légalement, il a fait construire des écoles.

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On pourrait multiplier les exemples à l’envi.

Juste pour dire qu’en Afrique, l’opposition peine encore à trouver sa place dans le jeu politique. Jeu ? On devrait plutôt parler de guerre, les opposants, et surtout s’ils sont des leaders ayant des chances d’accéder au pouvoir, étant considérés comme de dangereux ennemis à abattre par tous les moyens. Et pourtant, on le sait, pas de démocratie sans opposition, ce système démocratique supposant la compétition électorale et la confrontation des idées et des programmes. Sans compter que, depuis Montesquieu, on sait qu’il faut que le pouvoir arrête le pouvoir. Nos pouvoirs législatifs et judiciaires* étant couchés et asservis aux potentats qui nous gouvernent, seules les oppositions — et la presse là où elle est libre — peuvent faire office de contrepouvoirs. Hélas, de contrepouvoirs, nos chefs d’Etat ne veulent justement pas. Pour dire qu’être opposant en Afrique, c’est un sacré métier dont l’exercice passe forcément par la case prison ! S’il ne conduit pas au cimetière…

Dans ce naufrage généralisé de nos systèmes judiciaires vassalisés par les pouvoirs exécutif régnants, on peut tout de même citer quelques juges courageux comme l’Ivoirien Epiphane Zoro Bi Ballo, qui valida le certificat de nationalité de l’opposant Alassane Dramane Ouattara avant de prendre la fuite. Ou encore, on l’a dit, la juge Chantal Ramazani de RDC qui, après avoir condamné Moïse Katumbi, s’est exilée elle aussi en expliquant avoir subi de fortes pressions du patron de l’Agence nationale de Renseignement (ANR) en personne pour condamner l’opposant. Mais l’acte le plus courageux dans ce domaine est venu du Kenya où, en 2017, la justice a purement et simplement annulé la réélection du président sortant, Uhuru Kenyatta, pour « irrégularités ». Le scrutin avait été repris et Kenyatta avait de nouveau gagné.

Qu’on me permette, pour finir, de dire quelques mots sur le dialogue national qui s’ouvre ce mardi à Dakar. Je considère que, déjà, son format fourre-tout avec l’invitation de trop de chapelles parfois folkloriques ne sera pas signe d’efficacité et donnera plutôt à ces assises des allures de Tour de Babel où les gens ne parleront pas le même langage et seront à hue et à dia.

Plus fondamentalement, dans les conditions actuelles, un dialogue sans le chef de l’opposition qu’est Ousmane Sonko ne peut servir à rien. La clef de la paix et de la stabilité se trouve entre les mains de deux hommes : le président de la République, maître des forces de défense et de sécurité ainsi que de la justice, et Ousmane Sonko, général de la rue. La pacification de la situation passe par des entretiens entre les deux hommes car, encore une fois, aucun des participants à ce dialogue ne dispose de divisions dans le sens où les entendait Staline, c’est-à-dire combattantes, lorsque Churchill lui avait parlé d’une éventuelle alliance avec le Pape.







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