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Le Senegal Face Aux Derives : La Posture Des Intellectuels

« Un grand peuple est un peuple indocile, de même qu’une belle jeunesse est une jeunesse indocile », Djibril Samb, L’heur de philosopher la nuit et le jour, tome 5

L’indifférence est l’attitude qui renseigne au mieux le degré d’atteinte pathologique d’une société. Et notre pays semble être dans ce gouffre. Il y a quelque chose de désespérant au Sénégal. Nous vivons avec une tranquille conscience face aux désastres qui gagnent du terrain. Notre rapport aux drames est souvent vécu sous le mode du ‘’ça n’arrive qu’aux autres’’. Et le jour où le bourreau frappe à notre porte, on veut ameuter. Nous sommes tous engagés dans une époque qui s’offre sous le prisme d’un appel à la raison. Les événements qui se produisent quotidiennement interpellent la lucidité de la conscience. Celle-ci ne va se déployer sans une responsabilité assumée. L’homme est un sujet qui pour donner sens doit penser son monde et aussi penser son rapport avec celui-ci. Le projet fondamental c’est de ne pas abdiquer –ou pire constater la défaite de la pensée (Finkielkraut). Toute liberté est acquise dans la lutte. Un peuple qui génère un apprenti dictateur doit avoir le courage de faire son autocritique. La manipulation de la justice à des fins politiques est un réel danger pour la paix civile. La légalité n’est pas le dernier rempart des hommes. Il faut de la légitimité pour un espace pacifié.

La courageuse posture de l’intellectuel est un solide rempart face aux ennemis de la pensée libre. Quand la logique politique endigue le déploiement de la pensée critique d’un intellectuel devant porter un regard lucide et objectif sur les impensés de notre société et de la gouvernance actuelle, il y a de quoi avoir peur. La confiscation de l’ordre de la liberté est la forme la plus abjecte de la tyrannie. Un peuple privé de liberté est un peuple mutilé. Pour un peuple, renoncer à revendiquer sa liberté si essentielle à l’humaine condition est la pire des abdications. Le manque de liberté est une amputation psychologique qui ravale l’homme dans la sphère de l’animalité. Pire, le rebotise.

23 ans après la première alternance, le Sénégal patauge toujours

Vingt-trois ans après la première alternance politique réalisée par la force des urnes et la ferme sécurisation du vote, le Sénégal patauge toujours. Au rythme où vont les choses, le seuil du tolérable sera bientôt atteint. Et hop ! bonjour le désastre. Au Sénégal ; le mal est tellement profond qu’en parler relève, depuis quelques temps, de la rhétorique. La faillite d’une bonne partie de la classe politico-intellectuelle est un fait. Sur ce plan, le verdict de l’Histoire est sans appel. Œuvrer pour les causes justes donne accès à la grande porte de l’Histoire. Quelques voix -peu audibles- tentent de sauver notre pays du péril. La jeunesse patauge dans un ilot de désespoir. La faute à nous tous. Personne n’est dans l’innocence. Que l’on ait été aux affaires ou non, la responsabilité est engagée. C’est malsain de la part du Président de la République d’entretenir un funeste et stérile débat sur un probable 3ème mandat ou moment où le gros du peuple a soif et faim et que la jeunesse est désœuvrée. La quête de sens de cette dernière conduit plus vers un péril qu’un salut. Bien des fois, nous avons frôlé le pire dans ce pays à cause d’un jeu trop enfantin de la part d’une classe politique décadente. Le combat pour la sauvegarde de la paix civile est une œuvre qui engage tous les citoyens. Le malheur est de constater qu’il y a des pyromanes qui attisent le feu en soutenant la possibilité d’un troisième mandat pour un Président qui n’en a pas le droit.

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Macky Sall est un farouche ennemi de la pensée libre. Il croit pouvoir avoir sous sa botte toutes ces intelligences qui peuplent ce beau pays. S’il ne passe pas par une sournoise corruption, il excelle dans l’intimidation. Seulement, les dignes et courageuses intelligences tiennent le gouvernail pour que le pays ne sombre point. Nous ne cessons de le rappeler : le Sénégal survivra à Macky Sall ! Il nous faut nous tenir éveillés « sous la lumière de l’exigence absolue » (Karl Jaspers). L’intellectuel qui n’a pas encore vendu son âme est appelé à toujours avoir une posture critique et courageuse face aux marchands de l’obscurantisme et de la bêtise. Halte à la peur ! Frédéric Worms note avec justesse : « Faire le tri entre les principes acceptables et ceux qui ne le sont pas, comprendre quel est le cadre qui permettra à la pluralité des positions de coexister, c’est une manière de sortir des luttes frontales ». Au rythme où vont les choses, le dégagisme populaire risque d’avoir raison de nos institutions, et partant de nos projets de société.

Les dictatures sont souvent enfantées par la démocratie

L’on oublie souvent qu’Adolf Hitler a été élu démocratiquement. Les dictatures sont souvent enfantées par la démocratie. Le pire est que c’est l’apprenti-dictateur qui cause plus de tort qu’un dictateur confirmé et qui s’assume. Nous osons espérer que Macky Sall œuvrera pour laisser ce pays dans la paix et la stabilité. La seule chose à attendre de lui raisonnablement c’est qu’il quitte le pouvoir en 2024 sans effusion de sang en organisant une élection libre et transparente à laquelle il n’a aucun droit de prendre part. Quand on devient Président d’une République, on doit des gratitudes à celle-ci. Et cela, jusqu’à la fin des temps

Il nous faut libérer ce pays du cynisme et de la fatalité. Tous les intellectuels de ce pays qui croient encore au règne de la Justice et de la Liberté doivent s’éveiller en ayant à l’esprit cette parole de Niemöller : « […] Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester ». C’est ainsi que commence la tyrannie. Le procès intenté à l’endroit de M. Ousmane Sonko relève plus d’une commande politique que du droit. La justice sénégalaise vient, par la sentence retenue contre lui, montrer que nous avons des raisons de désespérer de certains magistrats. Le jeudi 1er juin 2023 est tristement gravé dans les consciences pour avoir montré que la cynique et inique condamnation du philosophe athénien, Socrate, pourrait inspirer des hommes de droit plus de deux mille cinq cent ans après. Le silence des Justes est toujours une porte ouverte pour l’entrée de la sauvagerie dans la civilisation. Jeanne Hersch a plus que vu juste pour soutenir que « Le courage ne consiste pas à prédire une issue fatale, mais, avec le savoir et le non savoir qui est le nôtre, à faire tout ce qui est possible et à préserver l’espérance jusqu’au dernier souffle ». Une vie sans anicroche est un mirage. Pour exister, il faut faire face aux épreuves. L’homme n’a que deux attitudes face à la vie : la subir ou en être un acteur. Nous avons décidé de ne point être du côté de ceux qui se taisent face à l’amertume du peuple. C’est un privilège que de savoir qu’assumant son rôle, l’intellectuel se rend compte qu’il a un beau cadeau en portant ce fardeau. Dans Inquiétudes d’un biologiste, Jean Rostand a plus que raison de stipuler : « Aimer quelque chose plus que la vie, c’est faire que la vie soit plus que la vie ». L’intellectuel doit avoir constamment à l’esprit que la vie n’est belle que là où elle a sa part de grandeur.

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Plus que les mots d’ordre des partis politiques ou les slogans des syndicats, les hommes sont fédérés, aujourd’hui, par la force des émotions. Des scènes que les médias classiques s’interdisent de relayer deviennent virales sur les réseaux sociaux. Et nous assistons à un ralliement effectif et affectif. Finalement, plus qu’à l’esprit c’est au cœur de l’humain que notre humanité se révèle. Si dansle champ politico-syndical nous assistions à l’endoctrinement, force est de reconnaitre qu’à l’ère des réseaux sociaux, nous sommes face à la montée des émotions collectives plus ou moins corruptrices des états d’âme. Dans ‘’La démocratie des lettrés’’, Aminata Diaw montre que la multiplication des lieux de discours dans l’espace public participe, de manière décisive, à la fragilisation de la pensée. Nous voyons parlà que notre philosophe est moins pessimiste qu’Alain Finkielkraut qui parle de la défaite de la pensée. En effet, fragiliser ce n’est pas consacrer la défaite. La phase de crise peut être bénéfique pour la prise de parole des hommes qui ont la charge de guider en disant la vérité. Rien que la vérité. Aujourd’hui, avec cette tribune intitulée ‘’Cette vérité que l’on ne saurait cacher’’, Felwine Sarr, Mouhamed Mbougar Sarr et Boubacar Boris Diop sauvent l’honneur comme en 2001 lorsque le philosophe Ousseynou Kane décidait d’alerter sur les dérives institutionnelles du Président Wade avec son texte : ‘ »La République couchée »

A vouloir déstabiliser la quiétude millénaire des principes qui font le fondement de la cité, l’homme, se croyant éliminer les contradictions internes de son être, ne devient, du coup, que son propre sacrifice en vue de rendre possible sa propre réconciliation avec lui-même. Sous ce rapport, un intellectuel qui trahit son authentique posture aide, du coup, les autres à saisir les désastreuses conséquences qui résultent du reniement de soi. Le monde dans lequel nous voulons vivre est à construire par les idées et les sentiments nobles. C’est dans son monde intérieur que l’homme doit chercher à édifier des valeurs et principes. Les caractères et les convictions suivent naturellement une telle édification pour mieux la consolider. Ainsi, repousser les frontières de l’obscurantisme revient à faire de l’homme un acteur du destin collectif de l’humanité. Le rapport à soi étant toujours médiatisé par autrui, il devient plus qu’urgent de toujours développer au sein de la communauté le sens de l’en-commun. Cette idée directrice est à même de fédérer les énergies positives devant œuvrer pour l’avènement d’un vivre ensemble épanoui. Frédéric Worms d’indiquer que « Pour bien gouverner, nous n’avons pas besoin d’une idée du bonheur, ni même du bien, mais, par contre, il nous faut une idée du droit et de la justice ». La question de la citoyenneté active qui doit être au cœur de l’action de l’intellectuel est une des préoccupations les plus urgentes de notre époque. Cela est arrimé à la notion de sujet humain comme porteur de sens. L’homme qui fait l’épreuve des choix et engagements opère un tri dans les possibles qui s’offrent à lui parfois même au risque de sa vie. Ainsi, pouvons-nous dire qu’un idéal peut être visé par l’humain et qui y consacre tout son être. En effet, dans un monde de brouillage des repères et d’une certaine perte de sens, il urge de produire des discours qui ré-enchantent.

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Un intellectuel ne choisit pas son combat

Un intellectuel ne choisit pas son combat, tout au contraire, il est appelé par sa conscience qui refuse de vivre dans l’indifférence face à l’arbitraire. Et notre pays vit dans une injustice sociale. L’intellectuel doit être un homme intègre qui s’engage à porter un regard objectif sur les problèmes de sa société, et partant de la marche du monde. Il s’efforce à sortir des particularismes réducteurs pour penser en diagnostiquant les maux qui gangrènent la cité des hommes. L’intellectuel ne surfe pas sur l’actualité ; il saisit, pour le traduire, le message qui sourd dans le tumulte des événements qui enfantent souvent des tragédies. Le souci du bienêtre collectif est une œuvre immense à l’édification de laquelle seules les âmes nobles et fortes répondent présentes. Le monde du vouloir n’appartient pas au hasard encore moins aux caprices de l’histoire, il est le fruit d’un travail de l’esprit. Les artistes ne sont pas en reste. L’intellectuel et l’artiste sont des producteurs de sens pour éclairer la marche du peuple vers plus de liberté et de dignité. Ainsi, leurs postures courageuses et pleinement assumées de part et d’autre ne peuvent qu’être contestataires. De là, nous pensons que le bonheur s’y greffe harmonieusement. Le philosophe Djibril Samb ne peut qu’acquiescer face à cette analyse : l’indocilité est un rempart contre la servitude, le reniement et la soumission. Celui qui accepte l’injustice encourage l’arbitraire. Et cela n’est pas le rôle d’un intellectuel digne de ce nom.

Dr Ibou Dramé SYLLA

Professeur de Philosophie, écrivain

Email xadkor@gmail.com







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