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De L’Âge De La MinoritÉ Dans Le Code PÉnal SÉnÉgalais

L’article 4 de la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999 modifiant le Code de la Famille a abrogé toutes les dispositions contraires audit Code : la minorité des victimes du délit de l’article 324, alinéa 2, du Code pénal est donc fixée en dessous de l’âge de 18 ans.

« Le fonctionnement harmonieux et complémentaire des juridictions … commande aux juges de corriger les imperfections de la loi, de combler ses lacunes par des constructions jurisprudentielles réfléchies, patientes et parfois audacieuses » (Considérant 4 de la décision n° 3/C/95 du 19 juin 1995 du Conseil constitutionnel du Sénégal)

Dans son jugement n° 67 du 1er juin 2023, la chambre criminelle du Tribunal de Grande Instance Hors Classe de Dakar a, dans l’affaire opposant la dame Adji Raby Sarr  [1] au sieur Ousmane Sonko, disqualifié les faits de crime de viol en délit d’attentat aux mœurs par corruption de la jeunesse ; une infraction prévue et punie par l’article 324, alinéa 2, du Code pénal qui se lit ainsi : « Sera puni aux peines prévues au présent article, quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe au-dessous de l’âge de vingt et un ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de seize ans ».

Cette disposition pénale, que beaucoup de citoyens viennent de découvrir après cinquante-huit années de pratique du Code pénal, n’a pas manqué de soulever une querelle doctrinale sur son sens et sa portée. En effet, il y a matière à interprétation du deuxième alinéa de l’article 324 qui, c’est le moins qu’on puisse relever, manque de précision.

La présente contribution est consacrée à un élément essentiel du délit de l’article 324, alinéa 2, du Code pénal à savoir la minorité des victimes.

  1. L’article 324 alinéa 2 vise un attentat aux mœurs sur une personne mineure

La disposition de l’article 324 alinéa 2 est entrée en vigueur à une époque où quel que soit le statut civil de l’intéressé, l’âge de la majorité était fixé à 21 ans en vertu de l’article 6, alinéa 2 de la loi n° 61-10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité sénégalaise, modifié par la loi n° 79-01 du 4 février 1979 [2].   C’est ce qui justifie les mots « vingt et un ans » dans l’article 324 ainsi que l’usage de l’expression « mineurs de 21 ans » dans les articles 319 et 327 bis du Code pénal [3].

Se pose ici la question de savoir pourquoi le législateur fait la distinction entre la corruption de mineur (art.320 ter) et l’attentat aux mœurs par la débauche ou la corruption de la jeunesse sur enfant de moins de 21 ans et mineur de 16 ans (art. 324, al.2) [4]. En d’autres termes, le maintien du second alinéa de l’article 324, tel qu’il était rédigé en 1965, est-il un fait intentionnel ou un oubli quand on sait qu’est intervenue, en 1999, la loi n° 99-05 du 29 janvier 1999 qui introduisit deux nouveaux articles 320 bis et 320 ter pour désormais réprimer la corruption d’un mineur, la pédophilie et l’organisation de réunions à connotation sexuelle impliquant un mineur.

En définitive, la notion de mineur de 21 ans n’existe pas dans le droit actuel.

La définition du mineur en droit sénégalais. Selon l’article premier de la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant de 1989 [5], « un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ». Cette définition de l’enfant recoupe celle de mineur définie par le Code de la Famille. En effet, l’alinéa premier de l’article 276 du Code de la Famille dispose : « Est mineure la personne de l’un ou l’autre sexe qui n’a pas encore l’âge de 18 ans accomplis »[6].  L’article 340 du même Code précise : « A 18 ans accomplis, les personnes de l’un ou l’autre sexe sont majeures et capables de tous les actes de la vie civile ». En d’autres termes, la majorité est fixée à dix-huit ans accomplis.

  1. La minorité d’âge de l’alinéa 2 de l’article 342 du Code pénal est fixée en dessous de 18 ans depuis la promulgation de la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999

L’article 4 de la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999 modifiant la loi n° 72-61 du 12 juillet 1972 portant Code de la Famille a abrogé toutes les dispositions contraires audit Code. Cet article dispose : « Sont abrogées toutes les dispositions contraires à la présente loi … » (c’est-à-dire à la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999 modifiant le Code de la famille). En clair, ladite loi a, à notre avis, expressément abrogé toutes les dispositions contraires à l’article 276, alinéa premier, du Code de la Famille, notamment les articles 319, 324 et 327 bis du Code pénal qui font référence à une minorité d’âge de 21 ans [7].

Lors de l’enquête et/ou de l’instruction du dossier pénal précité, a-t-on pris la précaution de vérifier la réalité de la date de naissance de la victime. Il revient au juge d’établir que la victime n’a pas atteint l’âge de la majorité au moment des faits. Selon la chambre criminelle, « il ressort des actes de procédure notamment les procès-verbaux d’audition de la gendarmerie (cote D1/7) et de l’instruction (cote D4/1) que Adji Raby SARR est née le 03 mars 2000, donc âgée de moins de 21 ans au moment des faits ».

Normalement, la preuve de l’âge de la victime doit être établie par son acte de naissance. Il ressort de la plainte de la victime [8] que sa date de naissance n’a été enregistrée qu’en 2008 sous le numéro 263 (ou 253 si on prend en considération la rectification faite à la main sur le texte de la plainte) sur le registre de l’état civil codifié 464. La question se pose de savoir si, lors de l’enquête ou de l’instruction, la gendarmerie et/ou le juge enquêteur ont pris la précaution de vérifier la réalité de cette date de naissance en exigeant la copie littérale de l’acte de naissance de l’intéressée pour un rapprochement avec le numéro, la date et l’année du jugement du tribunal ayant autorisé la transcription de l’acte de naissance. Au final, se pose aujourd’hui une question : qu’adviendrait-il s’il est prouvé l’existence d’une fraude sur la date de naissance de la victime ?

L’article 324 alinéa 2 du Code pénal présente des imprécisions. En ne fixant pas avec exactitude le sens de l’expression « en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de jeunesse… », le législateur a laissé le champ libre aux juges dans l’interprétation de la disposition pénale. Il est donc important que le législateur reprenne avec précision la rédaction de cet article pour ne pas permettre aux juges de donner à l’article précité une élasticité sans limite.

Comme au Bénin et au Burkina Faso [9], le législateur sénégalais devrait procéder à la mise à jour de toutes les dispositions pénales concernées par la majorité civile ou majorité légale pour se conformer à l’article 276, alinéa 1 du Code de la Famille.

[1] Faisons remarquer que le jugement du 1er juin 2023 mentionne une personne dénommée Adji Raby Sarr pour désigner la victime présumée alors dans la plainte de cette dernière et dans les procès-verbaux d’audition à la gendarmerie le second prénom Raby n’y figure pas. 

[2] L’article 6, issu de la loi du 4 février 1979, dispose :

« La filiation ne produit effet en matière d’attribution de la nationalité que si elle est établie dans les conditions déterminées au Livre III du Code de la Famille

L’âge de la majorité, au regard de la présente loi, est celui qui résulte de l’article 276, alinéa premier dudit Code ».

[3] La disposition de l’article 319 alinéa 3 est issue de la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 et celle de l’article 327 bis de la loi n° 69-27 du 23 août 1969.

[4] Dans le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu (page 278), la corruption de mineur est ainsi définie : « Fait d’inciter le mineur à la débauche, notamment en organisant des séances-auxquelles il est mêlé -d’exhibition ou de relations sexuelles, naguère nommée excitation à la débauche, et incriminé comme mise en péril du mineur ».

[5] Ratifiée par le Sénégal depuis 1990.

[6] Rédaction issue de la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999 modifiant la loi n° 72-61 du 12 juillet 1972 portant Code de la Famille.

[7] Sont également abrogés les articles 565, 574, 582, 584, 503 et 594 du Code de procédure pénale en matière de majorité d’âge.

[8] En passant, la plainte de la victime est datée du 02 février 2021 c’est-à-dire le jour où a eu lieu le cinquième viol présumé. Selon les dires de la victime, ledit viol a eu lieu à 21 heures ce qui laisse penser que la plainte, à défaut d’être antidatée, a été rédigée entre 22 heures et minuit. Durant ce laps de temps, une personne qui vient d’être violée a-t-elle tout la tranquillité d’esprit et la lucidité nécessaires pour consulter le Code pénal en vue d’y relever les dispositions pénales qui répriment le viol.

[9] Au Bénin, voir l’article 558 de la loi n° 2018-16 du 28 décembre 2018 portant code pénal. Au Burkina Faso, voir l’article 533-19 de la loi n°025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal.







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