Le Sénégal va être producteur de pétrole et de gaz sur deux champs différents et la même année, en 2024. La propagande gouvernementale, qui a tant fait saliver le peuple sur ces perspectives dorées est passée au mode muet à un semestre des « noces » en or noir tant attendues. C’est que les retombées escomptées pour les trois prochaines années de la production des champs de gaz et de pétrole sont… décevantes.
Selon le Document de programmation économique et budgétaire pluriannuelle (DPBEP) 2024-2026 de ce mois de juin du ministère des Finances, les recettes projetées pour les trois prochaines années seront de 753,6 milliards FCFA, soit 251,2 milliards F CFA par an. Ces projections sont les plus optimistes possibles du fait d’une conjoncture plus que favorable pour l’industrie pétrolière caractérisée par des cours au plus haut et le dollar US qui truste les sommets. Les hypothèses de calcul sont en effet de 85,5 $ le baril, pour un taux de change du dollar à 655 F CFA.
Pour mieux apprécier la portée réelle de ces recettes projetées, il serait intéressant de les comparer au service de la dette sur la même période triennale, qui est projeté à 5332,55 milliards F CFA, soit sept fois les recettes attendues de la production d’hydrocarbures ! Sans jeu de mots mal à propos, le moteur de notre économie carburera encore et toujours à la dette. Notre « entrée dans le club très fermé des pays producteurs d’hydrocarbures », pour emprunter au mantra des discours officiels, n’y fera rien.
Qu’est-ce qui explique ces chiffres loin des illusions entretenues depuis les annonces retentissantes de découvertes ?
Certes, les champs de gaz (projet Grand Tortue Ahmeyim – GTA) et de pétrole (Sangomar) ne sont pas aussi prolifiques que le laissaient entendre certaines déclarations. Il demeure néanmoins moins constant que la production du gisement de Sangomar, pour ne prendre que ce seul exemple, se situera autour de 32 millions de barils de pétrole de très bonne qualité en 2024. En reprenant les estimations de cours et de taux de change retenues par le ministère des Finances, les recettes, pour le pétrole uniquement, seront de 1792 milliards F CFA pour la seule année 2024. Comparé à la part globale du Sénégal sur le pétrole et le gaz évoqués plus haut (251,2 milliards F CFA), il saute aux yeux que c’est bien dans le partage des ressources que gît l’arnaque.
Les personnes qui suivent de près la gestion des contrats de recherche et de production d’hydrocarbures ne sont en rien surprises par cette tournure décevante. Le contrat relatif au champ de Sangomar, par exemple, est un modèle de capitulation devant des compagnies mues par la spéculation.
La part de l’État du Sénégal (hors Petrosen) dans le partage de la production est de maximum 40 % après recouvrement des coûts. Et encore, des conditions drastiques compliquent à souhait l’atteinte de ce plafond. En prenant en compte les données disponibles sur l’économie de ce gisement, on peut dire qu’en réalité la part du Sénégal (Petrosen y compris) sera de l’ordre de 30 % après recouvrement des coûts. Il est à noter que ce recouvrement des coûts engloutira un minimum de 70 % de la production totale ! Selon toute probabilité, il sera de l’ordre de 75 %.
Si l’on déduit des flux positifs générés par l’industrie pétrolière, les coûts inévitables provoqués sur l’environnement, la pêche, le tourisme, etc. les gains réels seront encore plus faibles.
Ce contrat, qui réservait la part congrue au Sénégal, a été établi en juillet 2004 avec la compagnie HUNT.
Monsieur Serigne Mboup, qui s’est longtemps fait passer pour l’alchimiste en or noir au Sénégal, nous doit quelques éclairages sur ce contrat. Il est en effet cosignataire de ce partage de Bukki qui met le Sénégal à la place du quidam noyé dans un barril de pétrole, couvert de plumes et sans un franc en contrepartie.
Au cours de la décennie écoulée entre l’établissement dudit contrat et les découvertes de pétrole dans ce bloc, le permis a changé plusieurs fois de mains avant que des travaux de recherche sérieux ne soient engagés, conduisant aux annonces de découvertes en 2014.
Après ces découvertes, la précipitation pour faire coïncider l’agenda électoral au calendrier de développement et de production des projets, n’a pas servi les intérêts économiques du Sénégal. La volonté de signer sans délai un accord avec la Mauritanie et d’approuver tambour battant les évaluations des gisements opérées par les compagnies pétrolières a pris le dessus sur une évaluation sérieuse des meilleures opportunités à chaque étape, comme du reste l’exigent les dispositions du Code pétrolier.
Un audit sérieux des conditions de négociation des contrats et de validation des décisions d’investissement reste à faire. L’espoir d’un début de prise en charge responsable de ces audits était né à la suite des élections législatives qui avaient accouché de l’Assemblée nationale la plus équilibrée, sur le papier de l’histoire du Sénégal. Le débat d’orientation budgétaire, bâclé en quelques heures ce 26 juin 2022 par une Assemblée nationale traversée par les remous politiques habituels, prouve que les ruptures que devait impulser l’actuelle législature sont aussi illusoires que les mirages d’un Sénégal devenu un émirat pétrolier.
Le rapport de force engagé par une partie de l’opposition, qui a finalement eu gain de cause, pour la libération de quatre députés, prouve que quand ils le veulent, les députés de l’opposition peuvent influer sur le cours des débats parlementaires. Leur présence significative dans le bureau tout comme à la conférence des présidents devrait permettre de faire de l’hémicycle le temple du débat et du contrôle de l’action gouvernementale. Pas le temple de Shaolin. Hélas, la politique politicienne n’en a rien à faire de l’intérêt général.
Thierno Alassane Sall est député à l’Assemblée nationale du Sénégal
République des Valeurs/Réewum Ngor