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L’occasion De Corriger Les Imperfections De La Constitution

A la suite d’un travail de recherche sur les mises à jour de la Constitution de 2001, le Service d’Études et de Documentation du Conseil constitutionnel a produit une note explicative postée sur le site web de la juridiction constitutionnelle depuis 2018. Il est reproduit ci-après un extrait de cette note explicative.

« À l’épreuve du temps, la Constitution, adoptée lors du référendum du 7 janvier 2001, promulguée et publiée au Journal officiel n° 5963 du 22 janvier 2001, présente un nouveau visage, en raison des nombreuses lois constitutionnelles qui ont modifié, abrogé ou remplacé la plupart de ses dispositions.

Ces différentes lois ont introduit des changements majeurs tant dans l’esprit que dans la lettre des dispositions concernées.

Cependant, malgré ces importantes modifications, aucune action concertée des autorités compétentes permettant aux citoyens de disposer d’un texte unique, consolidé et officiel de la Constitution, reflétant exactement la volonté du pouvoir constituant, n’a été entreprise.(nous mettons en gras).

L’absence de ce travail officiel de consolidation et de mise à jour fait naître des incertitudes juridiques quant à la bonne version de la Constitution (nous mettons en gras). En effet, on peut constater que plusieurs versions de cette Constitution, avec parfois des différences majeures, circulent et sont diversement appréhendées par les différents acteurs. Cette approche multiple et différenciée dans la présentation du texte de la Constitution, qui conduit à l’existence d’autant de versions de notre loi fondamentale qu’il y a d’éditeurs, chacun apportant à sa manière les corrections qu’il juge appropriées, est nécessairement source d’insécurité.

Face à cette situation caractérisée par beaucoup d’incertitudes sur le contenu des articles de la Constitution ayant fait l’objet de modifications, le Conseil constitutionnel a pris le parti, au nom du principe de sécurité juridique tel qu’il a été dégagé dans sa décision n° 1/C/2016 du 12 février 2016, d’entreprendre un travail de compilation et de consolidation.

 

L’objectif d’une telle entreprise est, d’une part, de recenser les lois constitutionnelles adoptées jusqu’ici et, d’autre part, d’intégrer les modifications qu’elles ont apportées afin de disposer d’un texte à jour et strictement conforme à la volonté du Constituant.

(….)

Le Conseil constitutionnel, au regard de l’objectif qu’il s’est fixé, s’est évertué, dans cette entreprise de mise à jour, à intégrer, par ordre de date, sans en rajouter ni en retrancher, les modifications édictées par les lois constitutionnelles telles qu’elles ont été publiées par le Journal officiel de la République du Sénégal, et a pris soin, pour chaque modification intégrée, d’indiquer, à l’article contenant les dispositions concernées, le numéro et la date de parution du Journal officiel qui la publie.

La mouture obtenue à l’issue de cet exercice de mise à jour de la Constitution  est l’expression fidèle de la volonté présumée du Constituant telle que celle-ci résulte tant des dispositions de la Constitution du 22 janvier 2001 que de celles des différentes lois constitutionnelles postérieures.

À la lecture de cette mouture, on ne peut s’empêcher de relever les nombreuses imperfections contenues dans les lois constitutionnelles ci-dessus citées. Mais, le Conseil constitutionnel, conscient des limites de ses compétences, n’a pas entendu se substituer au Constituant et s’est, en conséquence, délibérément gardé de corriger ces imperfections.

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Celles-ci prennent la forme, notamment :

  • d’accents omis :
  • de ponctuations omises ou inappropriées …
  • de fautes d’orthographe ou de grammaire …
    de survivance de certains mots ou groupes de mots après abrogation des dispositions ou suppression des institutions auxquelles ils se rattachent…
  • d’erreurs dans les renvois …
  • de problèmes de répartition des articles entre les différentes rubriques, les titres et sous-titres n’étant pas toujours en adéquation avec le contenu des articles qu’ils renferment ….
  • La liste n’est pas exhaustive.

La méthode, qui a été suivie par le Conseil constitutionnel, outre qu’elle lui permet d’éviter de s’arroger des prérogatives qui ne sont pas siennes, présente l’avantage de mettre en relief les problèmes d’accès intellectuel au texte de la Constitution, problèmes dont la solution passe soit par l’intervention du Constituant au moyen de l’adoption de textes de mise en conformité, soit, plus simplement, dans certains cas, par celle de la Direction du Journal officiel sous la forme d’insertion d’errata. ».

Comme précisé dans la note du Conseil constitutionnel, la liste des imperfections constitutionnelles n’est pas exhaustive. En effet, nous avons constaté l’absence de mise en conformité de certaines dispositions à caractère financier de la Constitution avec celles de la loi organique relative aux lois de finances du 26 février 2020 (LOLF) [1].

L’alinéa 4 de l’article 68 : le recours à une session extraordinaire ne se justifie pas, cet alinéa doit être supprimé

Le quatrième alinéa de l’article 68 de la Constitution prévoit le prolongement immédiat et de plein droit de la session budgétaire jusqu’à l’adoption de la loi de finances lorsque « par suite d’un cas de force majeure, le président de la République n’a pu déposer le projet de loi de finances de l’année en temps utile pour que l’Assemblée dispose, avant la fin de la session fixée, du délai prévu à l’alinéa précédent … ».

Avec la révision constitutionnelle du 7 août 2008 ayant instauré la session unique de l’Assemblée nationale, qui court de la première quinzaine du mois d’octobre jusqu’à la fin de la deuxième quinzaine du mois de juin de l’année suivante, la rédaction de cet alinéa aurait dû être revue. En effet, la procédure prévue dans cet alinéa allait de pair avec l’hypothèse de l’examen du budget au cours de la seconde session ordinaire qui se terminait au plus tard le 31 décembre.

Sur le plan constitutionnel, l’Assemblée nationale n’a pas la possibilité d’allonger le temps de discussion du projet de loi de finances de l’année par l’ouverture de plein droit d’une session extraordinaire puisque la session ordinaire unique n’est pas close au 31 décembre. Le maintien de l’alinéa 4 de l’article 68 de la Constitution actuelle est illogique. Ainsi, cette procédure n’est pas retenue dans l’article 57 de la LOLF.

L’alinéa 6 de l’article 68 continue de faire référence au concept de services votés alors que cette notion est supprimée dans la LOLF de 2020

En lieux et place de la notion de services votés, l’article 57 de la LOLF de 2020 retient la notion d’autorisations budgétaires. Celles-ci sont définies comme étant « le volume de crédits nécessaires pour reconduire, à périmètre constant, les actions publiques dont les crédits ont fait l’objet de vote l’année précédente » [2]. Le dernier alinéa de l’article 57 de l’actuelle LOLF n’est donc pas en conformité avec l’avant dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution.

L’alinéa 6 de l’article 68 est muet sur l’autorisation de perception des impôts existants si la loi de finance de l’année n’a pu être mise en vigueur avant le début de l’année

Alors que l’article 57 de la LOLF prévoit que « le président de la République est autorisé, conformément aux dispositions de l’article 68 de la Constitution, à continuer de percevoir les impôts existants … ».

En définitive, admettre que la LOLF, qui est un texte d’application de la Constitution donc ayant une valeur juridique inférieure puisse prévoir des procédures distinctes, reviendrait en quelque sorte à reconnaitre qu’elle complète le texte constitutionnel mais sans respecter les formes prévues pour la révision de la Constitution.

Par ailleurs, on relève des imperfections au niveau de l’article 67 de la Constitution.

L’alinéa 3 de l’article 67 : l’expression « collectivités locales » est à remplacer par les termes « collectivités territoriales »

La loi constitutionnelle du 5 avril 2016 a oublié de modifier l’article 67 en remplaçant les mots « collectivités locales » par les mots « collectivités territoriales » dans l’expression « La loi détermine les principes fondamentaux …de la libre administration des collectivités locales… ».

L’alinéa 4 de l’article 67 : le maintien des créations et transformations d’emplois publics par les lois de finances se justifie-t-il ?

L’alinéa 4 de l’article 67 de la Constitution donne compétence aux lois de finances pour opérer les créations et les transformations d’emplois publics. C’est ainsi que la LOLF de 2001 indiquait, dans son article 2, alinéa 2, que les lois de finances peuvent seules créer et transformer des emplois publics. Compte tenu du fait que le législateur organique financier de 2020 n’a pas senti la nécessité de prévoir que les créations et transformations d’emplois publics sont opérées par les lois de finances [3], on se demande quel est l’intérêt de maintenir la disposition constitutionnelle suivante : « Les créations et transformations d’emplois publics ne peuvent être opérées que par les lois de finances ».

L’alinéa 6 de l’article 67 : la notion de lois de programme devrait être supprimée

L’article 67 alinéa 6 de la Constitution mentionne des lois de programme qui déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État alors que l’article 87.1 alinéa 2 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle n° 2012-16 du 28 septembre 2012, substitue le concept de lois de programmation à caractère économique, social et environnemental à celui de lois de programme.

Le gouvernement a l’obligation, en concertation avec l’Assemblée nationale, de corriger les imperfections constitutionnelles en vue de donner un caractère officiel à la version consolidée de la Constitution du Sénégal. Au lieu d’effectuer ce travail de correction et de mise à jour de la Constitution le gouvernement s’est limité à reprendre in extenso sur le site web du Secrétariat général du gouvernement la note explicative et la mouture obtenue par le Conseil constitutionnel à l’issue de son exercice de mise à jour de la Constitution. Or, comme l’indique le juge constitutionnel, « la solution passe soit par l’intervention du Constituant au moyen de l’adoption de textes de mise en conformité, soit, plus simplement, dans certains cas, par celle de la Direction du Journal officiel sous la forme d’insertion d’errata » (nous mettons en gras).

En définitive, nous nous demandons si les pouvoirs exécutif et législatif ont un peu d’égards envers le juge constitutionnel ? Si la réponse est affirmative, la tenue de la session extraordinaire du 17 juillet 2023 leur donne une occasion de corriger ces nombreuses imperfections constitutionnelles et mettre fin aux incertitudes juridiques pouvant naître de cette situation ubuesque, à moins de considérer leur inaction comme une volonté délibérée d’entretenir la confusion sur la Constitution et sur la volonté du pouvoir constituant.

[1] Nous avons publié plusieurs contributions consacrées aux lacunes et imperfections constitutionnelles dont :

  • Celle publiée le 05 mai 2019 sous le titre « À la recherche de la version officielle de la Constitution : plaidoyer pour la correction des imperfections et des lacunes du texte constitutionnel » ;
  • Celle publiée le 17 mars 2021 sous forme de lettre ouverte adressée au ministre, Secrétaire général du Gouvernement avec comme objet « L’absence d’un texte unique, consolidé et officiel de la Constitution, reflétant exactement la volonté du pouvoir constituant » ;
  • Celle publiée le 09 décembre 2021 sous le titre « La révision de la Constitution :  une occasion offerte au pouvoir politique pour combler les lacunes et corriger les imperfections relevées par le juge constitutionnel ».

[2] Comme indiqué dans le glossaire du Guide didactique de la Directive n° 06/2009/CM/UEMOA du 26 juin 2009 portant lois de finances au sein de l’UEMOA (page 94), l’article 45 de la Directive a procédé à « la suppression des notions de services votés et mesures /autorisations nouvelles en cohérence avec les nouveaux impératifs de budgétisation en base zéro (article 61 (de la Directive) ».

[3] On se demande ici comment le législateur financier compte résoudre la question de la détermination du plafond des autorisations d’emplois rémunérés par l’Etat telle que prévue à l’article 44 de la LOLF de 2020.







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