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Pastef N’avait Pas Sa Place Dans Notre DÉmocratie

L’histoire retiendra du président Abdoulaye Wade, entre autres, la grande loi sur la parité. Du président Macky Sall, je retiendrai plusieurs choses dont deux me semblent importantes : la loi sur le parrainage qui modernise notre démocratie et le décret portant dissolution du parti Pastef, qui enlève l’épine institutionnelle fasciste de la compétition électorale. A part le MFDC, durant ses quarante dernières années, la plus grande menace pour la paix civile, la démocratie et la liberté au Sénégal était re­présentée par un parti qui a décidé de diviser les Sénégalais selon des critères ethniques, moraux voire religieux, d’élargir les fractures dans le corps national et de promouvoir la guerre civile.

En politique, il s’agit d’une compétition des réponses aux questions que les citoyens se posent. Le débat est consubstantiel à la matière politique et doit demeurer dans le cadre de la loi et de la civilité. Sauf qu’on ne peut pas demander à des fascistes de se conformer aux lois de la République. Car partout, leur objectif ultime est de faire en sorte que la République, qui garantit la justice, les libertés et l’égalité, s’effondre pour laisser libre cours à la violence la plus sauvage. En me penchant depuis 2018 sur ce parti, depuis la déclaration de son leader, qui appelait au retour de la peine de mort et à l’application de la torture dans les commissariats, j’avais décelé son Adn fasciste, ses méthodes violentes, son discours arrimé à la haine et son imaginaire issu des univers séparatistes et islamistes qui se joignent pour créer un cocktail dangereux pour l’État de droit. Le parti dissous, par ses méthodes, rappelle pour qui s’intéresse à l’histoire des idées fascistes, aux squadristi, la fameuse milice des «chemises noires» dans les années vingt, qui ont installé Mussolini au pouvoir grâce à la Marche sur Rome de 1922. La Caravane de la liberté de juin 2023, entre Ziguinchor et Dakar, était une perpétuation, certes involontaire, de cette tradition fasciste.

Quand il existait encore, le Pastef s’était illustré par sa haine de la démocratie plurielle, son intolérance au débat et par l’attitude factieuse de ses dirigeants qui n’hésitent jamais à invoquer la figure du martyr religieux conformément à l’idéologie totalitaire que promeuvent beaucoup de ses cadres-dirigeants ; ceux-là issus des groupuscules salafistes ou fréristes incubés à l’université et qui dans Pastef concevaient l’activité politique comme relevant d’un prosélytisme islamiste. Chez Pastef, la haine des institutions est allée jusqu’à l’attaque de bâtiments publics et même la profanation de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2022. Les auteurs de ces forfaits, qui se disent «Patriotes» nourris au complotisme, chauffés par une puissante machine de propagande et manipulés par des leaders sans scrupule qui ont fait du mensonge à grande échelle une seconde nature politique m’ont rappelé les «Proud Boys», groupuscule fasciste pro-Trump, dont les membres ont envahi le Capitole en janvier 2021.

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Dissoudre Pastef, c’est mettre un terme à la profanation des institutions républicaines, permettre une respiration démocratique et ramener le débat public dans le rythme de la confrontation des idées et non dans la concurrence morbide. Le Sénégal ne peut tolérer un mouvement qui se dit politique alors qu’il n’est qu’un appareil insurrectionnel dont le champ lexical ne s’extirpe jamais de la mort, de la sédition et de la haine.

Ce parti dissous avait normalisé dans notre espace public l’insulte et la violence factieuse, importé les pratiques de l’extrémisme religieux et recouru sans cesse au discours et aux appels incessants à l’insurrection. Intellectuels, jour­nalistes, hommes politiques, autorités reli­gieuses et coutumières, simples citoyens, nul n’était épargné par la furie de la meute qui utilisait internet, notamment pour commettre ses sinistres forfaits.

Ce parti ne s’était pas arrêté là : il avait mis à exécution ses menaces par des actions violentes ayant provoqué des pertes en vies humaines et des destructions de biens publics et privés en mars 2021 et en juin 2023. Pour rappel, Alioune Tine, sympathisant du parti dissous ou banal rentier, avait annoncé la couleur en menaçant notre pays de la «guerre civile» en cas de tenue d’un procès sur l’affaire Sweet Beauté. Le vice-président du groupe Yewwi au parlement avait appelé en février 2023 à la «guerre» contre l’État du Sénégal.

Un parti qui normalise l’usage de cocktails Molotov contre les symboles de l’État, les infrastructures vitales comme les moyens de transport, les usines d’eau et d’électricité et les populations civiles dont le seul tort est de monter dans un bus pour rejoindre leurs familles, ne peut pas exister en démocratie. Dans l’école de ce parti, le premier module de formation des militants est vraisemblablement les insultes aux généraux, magistrats et autorités dépositaires de la force publique. Parce que nous avons choisi la démocratie qui a accouché de deux alternances paisibles, on ne saurait accepter que la politique devienne le règne de la violence verbale et physique gratuite. On ne peut accepter que l’infâmie soit acceptée comme norme dans la pratique politique.

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Des universitaires, gens de médias, avocats et autres crieurs publics, au demeurant respectables pour certains, ont fustigé le décret portant dissolution du Pastef et appelé à son retrait au nom de «l’ordre constitutionnel et de la pluralité». N’ont-ils pas suivi les appels répétés à l’insurrection, l’appel au meurtre du chef de l’État, les menaces vis-à-vis des juges et les injures à l’armée ? Ont-ils oublié les refus de comparaître devant les tribunaux qui ont tous été soutenus par ce parti ? N’ont-ils pas visionné les images du véhicule d’un leader politique qui fonce sur des gendarmes préposés à la sécurité à Mbacké ? Je convie ces démocrates en pantoufles, pétitionnaires à la petite semaine, à un exercice : voir ou revoir la vidéo du meeting de Keur Massar du parti dissous du 22 janvier dernier. Les discours guerriers, les invocations sacrificielles, les injures publiques, le recours au registre du djihad, le festival d’offenses aux institutions républicaines durant cette manifestation font froid dans le dos. Comment ce fascisme décomplexé, qui se manifeste par une haine viscérale du Sénégal, a-t-il pu prospérer au cœur de notre démocratie ? Comment expliquer cette attraction de certains parmi nos plus brillants compatriotes, qui se disent démocrates, progressistes et certains répu­blicains, pour le fascisme dont le projet totalitaire, outre ses aspects misogynes, extrémistes et ethnicistes, est l’effondrement de la République ?

Le plus grave : personne parmi les pétition­naires n’a dénoncé le communiqué du 1er juin du parti dissous ainsi que son appel du 2 juin qui demandent à l’Armée de perpétrer un coup d’État de façon explicite. En étant la seule organisation politique à publier de tels appels, qui ont été suivis de manifestations insur­rectionnelles ayant provoqué plusieurs morts, le parti ne laissait pas le choix à l’État du Sénégal, qui était obligé de procéder à sa dissolution pour être en conformité avec la Constitution. Mon ami Massamba Diouf le rappelle de manière éloquente dans une tribune sur Seneweb le 9 août dernier : «Les leçons de l’histoire de notre jeune État sont, à ce propos, les suivantes : dans ce pays on ne prend pas le pouvoir par le coup de force partisan contre l’ordre institutionnel et la séparation des pouvoirs ; on ne force pas le résultat d’une élection par l’assassinat des juges ; on n’accède pas au pouvoir par la stratégie de la défiance et de la terreur. Adhérer aux principes constitutionnels, respecter les lois de la République, accepter de se soumettre à la justice, gagner des élections, voici aujourd’hui encore et, nous l’espérons, pour toujours les seules voies pour parvenir à la tête du Sénégal. Et c’est une bonne nouvelle».

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En France, face à la menace des ligues fascistes, qui ont organisé la marche le 6 février 1934 contre la démocratie et les institutions républicaines ayant provoqué une vingtaine de morts, les autorités avaient réagi. En 1936, le gouvernement de Léon Blum a procédé par décret à la dissolution des ligues fascistes qui constituaient dans ce pays, comme c’était le cas avec le Pastef au Sénégal, une menace pour la démocratie et l’État de droit.

Le dissensus, dans le cadre des lois, est la sève de la démocratie. C’est à la suite de la confrontation des idées que le peuple tranche par les urnes. Un parti qui refuse de se conformer à notre tradition démocratique et à l’organisation de la société politique sénégalaise n’a pas sa place dans notre espace public quel que soit son nombre d’élus ou de militants et quel que soit la longueur de son arc de soutien. Depuis 2021, nous savons désormais sur qui nous ne pouvons compter parmi nos penseurs et leaders publics quand la République est menacée. Cela nous engage, nous républicains, démocrates et patriotes à bâtir des consensus forts autour de la République. Notre prochain grand défi est de ramener ces masses séduites par le discours démagogique dans le giron de la République. Les partis qui se conforment à nos lois, les intellectuels encartés ou non, tous les démocrates et républicains soucieux du Sénégal doivent être au cœur d’un travail de production d’idées et de rêves afin d’inventer un nouvel imaginaire de progrès social qui garantit l’ancrage de cette belle idée qu’est la République au cœur du paysage politique et social.







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