Léon Mba était né le 9 février 1902 à Libreville. Il a dirigé son pays de 1961 à 1967 comme un dictateur, nouant et dénouant les alliances politiques au gré de ses intérêts du moment. Il est décrit come un personnage complexe aux multiples facettes. Issu d’une famille Fang, christianisée et francophile, il est intégré dans l’administration coloniale en 1924 comme chef de canton. En 1931, condamné pour malversation, il est exilé loin du Gabon, en Oubangui-Chari, actuelle République Centrafricaine. De retour au Gabon en 1946, son engagement aux côtés du RDA de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny ne lui vaut guère le soutien de l’administration coloniale française qui lui préfère le député et résistant Jean-Hilaire Aubame. La donne change lorsque, dans les années 1950, le RDA est lavé de tout soupçon d’appartenance au communisme. Il gagne le soutien des puissants forestiers européens et devient en 1956 le premier maire élu de Libreville.
En 1957, le Gabon élit pour la première fois un gouvernement. Les Gabonais ont le choix entre Léon Mba, le tribun local, et le député Jean-Hilaire Aubame, proche du Sénégalais Léopold Sedar Senghor. Aubame l’emporte dans les urnes mais s’incline devant Mba qui, par le biais de débauchages à l’Assemblée, se porte à la tête du gouvernement.
D’ethnie fang, Léon Mba naît le 9 février 1902 à Libreville dans une famille francophile. Son père, Ysidore Minko-Mi-Edang, petit gérant de commerce, aurait été un temps le coiffeur de Pierre Savorgnan de Brazza. Sa mère, Louise Bendome, était couturière
À partir de 1920, il devient tour à tour employé de magasin, exploitant forestier, commerçant, puis entre dans l’administration coloniale française comme commis des douanes. S’il donne entière satisfaction à ses supérieurs, Léon Mba les inquiète cependant par « son militantisme en faveur de l’homme noir ».
Ses remarques dérangent, et il en subit les conséquences en décembre 1922. Ayant commis un délit mineur en fournissant à un collègue des documents falsifiés, il est puni d’une peine de prison au lieu d’une simple amende. Il lui est également reproché sa polygamie
Durant ces années, selon toute vraisemblance, Léon Mba, devient un adepte du Bwiti auquel les Fangs sont tout particulièrement réceptifs. En 1931, des sectateurs du Bwiti sont accusés du meurtre d’une femme dont les restes sont découverts près du marché de Libreville. Accusé de complicité, même si sa participation au crime n’est pas prouvée, Léon Mba est destitué et est condamné à trois ans de prison et dix ans d’interdiction de séjour, pour les détournements d’impôts et les abus commis dans le traitement de la main-d’œuvre locale.
En détention en Oubangui-Chari, tout d’abord à Bambari puis à Bria, il continue d’exercer une influence chez les Fangs de sa région d’origine grâce à une correspondance avec ses compatriotes à Libreville. Inquiété par cette situation, le gouverneur-général Antonetti ordonne en 1934, qu’à la fin de sa peine carcérale, il soit placé sous surveillance en Oubangui-Chari.
À cause de ses relations avec le RDA, affilié au PCF, Léon Mba fait figure de communiste et de propagandiste dans la colonie, d’autant qu’à son retour d’exil, il aurait participé aux travaux du groupe d’études communistes local. En 1949, l’administration coloniale apprécie peu sa participation au congrès du RDA à Abidjan
En 1951, en même temps que le RDA rompt avec les communistes, Léon Mba, tout en gardant chez son électorat une image de « révolté », se rapproche de l’administration française. Cette dernière lui préfère cependant son principal opposant, le député Jean-Hilaire Aubame qui n’est autre que le fils nourricier de son demi-frère et son ancien protégé.
Isolé à l’Assemblée territoriale, Mba s’allie avec les colons qui y sont représentés. En août 1953, le CMG fusionne avec le Parti démocratique gabonais (PDG) de Paul Gondjout pour donner naissance au Bloc démocratique gabonais (BDG) ; Gondjout en devient le secrétaire général, Mba l’adjoint. Aux élections législatives du 2 janvier 1956, Léon Mba obtient 36 % des suffrages contre 47% pour Aubame. Même s’il n’est pas élu, Mba devient une personnalité incontournable du territoire et certaines personnalités de l’UDSG passent de son côté. Lors des élections municipales de 1956, où les listes présentées relèvent du collège unique (Africains et Européens confondus), Léon Mba reçoit le soutien financier des colons, et tout particulièrement celui du forestier Roland Bru. Il remporte la mairie de Libreville avec 65,5% des suffrages, devenant ainsi le 23 novembre, le premier maire élu de la capitale.
Après un « oui »massif au référendum sur la Communauté franco-africaine du 28 septembre 1958, le Gabon accède à l’autonomie. En décembre 1958, l’Assemblée vote sa transformation en Assemblée législative, puis promulgue le 19 février 1959 la constitution de la République du Gabon. Le 27 février, Léon Mba est nommé Premier ministre. En novembre 1959, Mba se prononce ouvertement pour la départementalisation du Gabon. Jacques Foccart, le « Monsieur Afrique de l’Elysée », lui fait comprendre que cette solution est impensable. Mba campe sur cette position jusqu’en février 1960. Il envisage également d’adopter pour la République gabonaise le drapeau tricolore de la puissance coloniale qui se serait différencié du drapeau français par l’apposition du dessin de l’arbre national, l’okoumé. Là encore, Foccart refuse
La situation ne s’arrange guère après que l’indépendance a été proclamée le 17 août. Finalement, le 4 novembre 1960, une constitution de type parlementaire est adoptée. Mis en minorité, le Premier ministre demande l’aide financière de Paris afin d’acheter des députés pour 13 à 15 millions de francs CFA.
L’incident clos, Léon Mba décide alors de satisfaire l’opinion publique gabonaise, en renvoyant, le 10 novembre, les membres européens du gouvernement. Sont concernés les ministres de l’Intérieur, Édouard Duhaut, de la Production forestière, Pierre Mariani, ainsi que celui de la Santé, Maurice Jourdan
Le 4 décembre 1960, Léon Mba est élu au poste de secrétaire général du BDG à la place de Gondjou
Le 21 février 1961, l’adoption d’une nouvelle constitution instaure un régime qualifié d’« hyper présidentiel ».
Souhaitant éloigner de l’arène politique son ancien ministre redevenu son grand rival, il nomme Aubame, le 25 février, président de la Cour suprême. Par la suite, sous le prétexte d’une incompatibilité de cette fonction avec celle de parlementaire, Mba réclame sa démission de l’Assemblée. Aubame résout le problème en démissionnant de son poste de président de la Cour suprême, contrariant ainsi les plans de Mba.
Dans la nuit du 17 au 18 février 1964, aux environs de cinq heures du matin, 150 militaires gabonais dirigés par les lieutenants Jacques Mombo et Valère Essone, arrêtent le président Léon Mba, le président de l’Assemblée nationale Louis Bigman, et plusieurs ministres. Les militaires annoncent à la radio au peuple gabonais le coup d’État et demandent à l’assistance technique française de ne pas s’immiscer. Léon Mba est obligé de prononcer une allocution radiodiffusée où il reconnaît sa défaite :
« Le jour J est arrivé, les injustices ont dépassé la mesure, ce peuple est patient, mais sa patience a des limites… il est arrivé à bout. »
Durant ces évènements, aucun coup de feu n’est tiré. Le peuple ne réagit pas, signe selon les militaires de l’approbation du putsch. Un gouvernement provisoire est constitué, et sa présidence est offerte à son grand rival Jean Hilaire Aubame. Il n’est composé que de personnalités politiques civiles, provenant aussi bien de l’UDSG que du BDG comme Paul Gondjout. Quant aux putschistes, ilsse contentent d’assurer la sécurité civile. D’ailleurs, toute la petite armée gabonaise n’est pas intervenue dans le coup d’État ; encadrée en majorité par des officiers français, elle est restée dans ses casernes.
Des instructions sont données pour que Léon Mba soit transféré à Njolé, fief électoral de Aubame. Mais du fait de violentes pluies, le président déchu est amené à Lambaréné, à 250 kilomètres de Libreville. Le nouveau chef du gouvernement, Aubame, prend rapidement contact avec l’ambassadeur français, Paul Cousseran, afin de lui assurer que les biens des ressortissants étrangers seront protégés et éviter ainsi toute intervention militaire
Mais à Paris, le général de Gaulle et Jacques Foccart en ont décidé autrement. En effet, Mba était un des plus fidèles alliés de la France en Afrique ; en visite en France en 1961, il avait affirmé : « Tout Gabonais a deux patries : la France et le Gabon. »
Les autorités françaises décident donc, en conformité avec des accords franco-gabonais signés, de rétablir le gouvernement légal. Toutefois, l’intervention ne peut être déclenchée sans une requête officielle du chef d’État gabonais. Léon Mba étant constitutionnellement « empêché », les Français font appel au vice-président gabonais, Paul Marie Yembit, qui n’avait pas été arrêté. Mais celui-ci reste introuvable ; il est donc décidé de rédiger une lettre antidatée que Yembit signerait plus tard. Ainsi, dans la nuit du 18 au 19, les troupes françaises de Dakar et Brazzaville débarquent à Libreville et rétablissent Mba au pouvoir. Les combats ont fait un mort du côté français, et 15 à 25 du côté gabonais.
Réinstallé au pouvoir, Léon Mba refuse de considérer que le coup d’État était dirigé contre lui et son régime. Pour lui, il s’agissait d’un complot contre l’État. Rapidement pourtant, des manifestations anti-gouvernementales ont lieu avec des slogans comme « Léon Mba, président des Français! » ou réclamant la fin de la « dictature ». Elles se solidarisent avec Aubame lorsque le 23 mars, il est inculpé. Bien que certainement innocent des préparatifs du coup d’État, ce dernier est condamné à l’issue d’un procès, à 10 ans de travaux forcés et 10 ans d’interdiction de séjour.
Malgré ces évènements, les élections législatives d’avril 1964, prévues avant le putsch, sont maintenues. L’opposition se voit privée de ses grandes figures, empêchées de participer au scrutin du fait de leur compromission dans le putsch. L’UDSG disparaît de la course électorale et l’opposition n’est composée que de partis sans envergure nationale, défendant la démocratie ou des intérêts régionaux. Cette dernière remporte toutefois, dans un scrutin de liste majoritaire à un tour, 46% des suffrages et 16 sièges sur 47,tandis que le BDG reçoit 54 % des suffrages et 31 sièges. Mais les signes de fraude sont nombreux et tout laisse à penser que l’opposition aurait dû remporter l’élection
Les pétroliers, installés dans le pays depuis 1957, avaient renforcé leurs intérêts en 1962 après la découverte et l’exploitation des premiers gisements off-shore. Le Gabon devient une pièce majeure dans l’approvisionnement pétrolier de la France. Leur influence est telle que le PDG de l’Union générale des pétroles (devenu en 1967 ELF Aquitaine), Pierre Guillaumat, prend part à la décision de l’intervention militaire.
Quant aux ambassadeurs français, Paul Cousseran, et américain, Charles Darlington, soupçonnés de sympathie envers Aubame, ils quittent le Gabon peu de temps après les évènements. Le nouvel ambassadeur de France est François Simon de Quirielle, un « diplomate traditionnel », bien décidé à ne pas interférer dans les affaires intérieures gabonaises. Au bout de quelques mois de malentendus, Léon Mba contacte Foccart pour lui dire qu’il ne supporte plus cet ambassadeur :
« Vous vous rendez compte, explose le président gabonais, je reçois de Quirielle pour faire un tour d’horizon avec lui. Je lui demande ce qu’il pense de tel ministre [gabonais], de telle question qui est à l’ordre du jour[de la politique intérieure du Gabon]. Devinez ce qu’il me réplique ! Monsieur le président, je suis désolé, les fonctions que j’occupe m’interdisent d’intervenir comme vous me le demandez dans les affaires de votre pays. »
À la suite de cet incident, Foccart fait nommer en mai 1965 à Libreville, « un colonialiste », Maurice Delauney, qui s’installe tel un véritable haut-commissaire.
Dès 1965, les Français cherchent un successeur à Léon Mba, vieillissant et malade. Ils le trouvent en la personne d’Albert-Bernard Bongo, jeune chef de cabinet du président. Ce dernier est personnellement « testé » parle général de Gaulle en 1965, lors d’une visite à l’Élysée. Confirmé comme successeur, Bongo est nommé le 24 septembre 1965 ministre délégué à la présidence, mais occupe dans les faits les fonctions d’un Premier ministre
En août 1966, Mba est hospitalisé à Paris et ne retourne plus au Gabon. Une réforme constitutionnelle en février 1967 légitime le dauphin. Mba meurt le 28 novembre 1967 à l’hôpital, des suites de son cancer. Albert Bernard Bongo lui succède constitutionnellement à la présidence.