Gouverner c’est «l’art, à chaque instant, d’avoir l’âge et les désirs de la génération qui change et ne vieillit pas». Le chef des Diallobé nous l’enseigne dans L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Un livre qui pourrait servir de bréviaire pour la présidentielle. Aussi le chef nous explique les mutations en cours qui ébranlent et qui inquiètent les populations. Personne ne connaît son pays mieux que lui. De ses concitoyens, il dit : «(Leurs) désirs naissaient en moi avant même qu’il les pressentît. J’étais l’éminence qui accueille et réfléchit les premiers rayons venus des profondeurs du monde. Toujours je précédais et n’en éprouvais ni inquiétude ni fatuité. En même temps, j’étais l’arrière-garde. Je n’étais jamais rassasié, que les désirs du dernier des Diallobé n’eussent été comblés. Les temps ont bien vécu, où je contenais ce pays, sans que nul de nous débordât l’autre.»
Ne sommes-nous pas face à ce tableau peint par le chef dans sa lettre à Samba Diallo : «Aujourd’hui, tout fuit et s’écroule autour de mon immobilité, comme la mer le long du récif. Je ne suis plus le repère, mais l’obstacle que les hommes contournent pour ne pas l’abattre. Si tu pouvais voir de quels regards ils m’épient ! Ils sont pleins de sollicitude et de pitié ; de brutale détermination aussi.» Alors, face aux nouvelles valeurs qui assaillent et qui inquiètent, quel homme pour accueillir un monde nouveau ? Quel président en 2024 et pourquoi ? Saura-t-il être téméraire, pour que les populations vivent dans cette quiétude où tout ne les remord sans cesse. Comme avec Samba Diallo.
Lisant la lettre du chef, Samba Diallo ne pensait-il pas : «(…) Il était le pays, et cette unité n’était fissurée d’aucune division… Ô mon pays, dans le cercle de tes frontières, l’un et le multiple s’accouplaient hier encore, (…). Le chef et la multitude, le pouvoir et l’obéissance étaient du même bord et cousins issus de germains. Le savoir et la foi coulaient de source commune et grossissaient la même mer. À l’intérieur de tes frontières, il était donné encore de pénétrer le monde par le grand portail. J’ai été le souverain qui, d’un pas de maître, pouvait franchir le seuil de toute unité, pénétrer au cœur intime de l’être, l’envahir et faire un avec lui, sans que nul de nous débordât l’autre…»
Obtenir son bonheur sans perdre sa conscience
De ces centaines de candidats à la candidature, qui aime le Sénégal et les Sénégalais ? Les populations sentent-elles lequel de ces futurs «présidentiables» les aiment ? Dans un contexte de menaces de déstabilisation et de désintégration, alors que les perceptions sont autres, n’importe-t-il pas de restaurer la confiance et de réconcilier des désirs ? Comme disait la Grande Royale, le pays a sans doute besoin d’un «cuistre». Quelqu’un qui sache contenir «le mouvement des (Sénégalais) sur la voie étroite qui serpente entre leur passé et… ces champs nouveaux, où ils veulent paître et s’ébattre et se perdre». En attendant que les exigences du moment coulent de source commune, un jeu se poursuit entre caprices et zigzags vers l’infini de la politique politicienne.
Que faire pour que ces mots du maître des Diallobé, décidant de remettre son turban à Demba, imprègnent et influencent des comportements ? «- Avez-vous perçu comme je suis bête ? s’enquit (le maître). J’ai, depuis longtemps, senti que j’étais le seul obstacle au bonheur de ce pays. J’ai feint de n’être pas cet obstacle. J’espérais – mais cela, je le sais maintenant seulement – que le pays me passerait dessus, de sorte qu’il obtînt son bonheur sans que je perdisse ma bonne conscience». Seulement, la réalité ne se serait-elle retirée de certaines consciences ? Shakespeare n’avait-il pas écrit que «le monde entier est un théâtre» ? Même si tous ne jouent pas bien la comédie. D’ailleurs, à l’ère du buzz, quel politicien ne chercherait il pas à faire éclat pour continuer à paraître, être et prétendre ?
Aujourd’hui, le bruit vaut mieux que le talent, selon François de Groiseilliez. Cet auteur d’essais politiques conseille-t-il, pour se faire élire, de «se construire un personnage, se fabriquer des postures, faire preuve d’ingéniosité…» Suggère-t-il d’opter pour ces choses qui «feront de vous une victime, un martyr politique, et vous mettront en évidence. Vous finiriez même par devenir un grand citoyen, si vous étiez assez heureux pour obtenir pendant quelques années les honneurs de l’ostracisme…». Au demeurant, faisant de la com’ la seule impulsion pour vaincre, des politiciens ne ressuscitent-ils pas l’humoriste Coluche nous disant : «Il y a deux sortes de justice : vous avez l’avocat qui connaît bien la loi, et l’avocat qui connaît bien le juge ! Il n’y a que deux sortes d’hommes : les uns justes, qui se croient pécheurs : les autres pécheurs, qui se croient justes.»