Alors que les résultats de la lutte contre leterrorisme se font attendre, le capitaine Ibrahim Traoré, président de la transition, met en scène sa propre personne et déploie un agenda de confiscation durable du pouvoir d’Etat. Entre répression méthodique des oppositions et tentation despotique, un système qui change le visage du Burkina Faso…
Début novembre, le capitaine Ibrahim Traoré, homme fort du coup d’Etat du 30 septembre 2022, a énoncédans un communiqué ce qui peut être considéré comme la ligne directrice de son régime. Selon le président de la junte dénommée « Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) », « les libertés individuelles ne priment pas sur celles de la nation, car une nation ne se construit pas dans l’indiscipline et le désordre ».Des propos qui interviennent dans un contexte marqué par une charge décomplexée du pouvoir militaire contre les droits humains dans un pays où la société civile avait, en 2014, engagé une fière reconquête des espaces de liberté et de démocratie. Le jeune capitaine âgé de 35 ans semble bien décidé à faire table rase de tout ce qui, il y a peu encore, participait de la construction d’un Etat de droit, garant de l’expression des libertés collectives et individuelles. Au fil des mois, depuis le coup d’Etatde septembre 2022 qui intervenait, tel un « putsch dans le putsch », après celui dirigé huit mois plus tôt par le lieutenant-colonel Paul-Henri Damiba, les burkinabè assistent à l’irrésistible ascension d’un homme, bien plus soucieux de construire sa propre légende que de restaurer l’intégrité du territoire national largement investi par une kyrielle d’entités armées non étatiques.
N’hésitant pas à convoquer grossièrement Thomas Sankara dans ses discours, le capitaine putschiste Ibrahim Traoré familièrement appelé « IB », stimule un véritable culte de sa personnalité. En cela, il peut compter sur des thuriféraires exaltés qui ont privatisé la rue pour exprimer leur fanatique adhésion à une suspecte promesse de « révolution ». Adepte d’un pouvoir autoritaire et exclusif, l’inénarrable « Che Guevara » de Ouaga déploie une politique de répression systématique à l’encontre de tout citoyen soupçonné de remettre en cause la volonté présidentielle. Et, considérant que tous les burkinabè sont devenus indistinctement et uniformément desindividus au service de son projet, il précise dans un communiqué que « celles et ceux qui ont des propositions peuvent les reverser à mon cabinet. »On notera qu’il s’agit de s’adresser, non pas au gouvernement ou toute autre autorité, mais à « son » cabinet. Et tout cela, au nom, dit-il, d’une « guerre imposée à notre génération ». Au nom d’une lutte contre le terrorisme dont les résultats semblent s’éloigner, à mesure que le nouveau Conducator de Ouaga s’extasie dans la contemplation de sa propre personne…
Un régime ayant vocation à durer
L’homme qui se veut providentiel s’est auto-investi d’une mission : celle de faire émerger un être nouveau, un burkinabé soumis au système qu’il dirige, exigeant « ordre et discipline ». On pourrait en conclure à la simple caricature, si cela ne mettait pas en danger les fondements d’un pays dramatiquement meurtri par l’insécurité et les offensives de groupes armés qui ont réussi à faire reculer l’autorité de l’Etat sur près de la moitié du territoire. On pourrait aussi en sourire si tout le théâtre auquel se livre le capitaine IB ne servait, ni plus ni moins qu’à créer les conditions d’une transition à durée indéterminée. Ce qui conduirait à imposer un pouvoir de fait, tirant un succédané de légitimité d’une indéfinissable « voix du peuple » qui se défie de la vertu des élections et des choix démocratiques. Fort de ses raisons populistes, un tel régime aurait vocation à durer. C’est en tout cas le projet du capitaine putschistedevenu un dispensateur de leçons de bonnes pratiques et de conduite citoyenne. Ibrahim Traoré s’était même fendu d’une leçon de « souveraineté » à l’adresse de ses homologues africains présents au Sommet Russie-Afrique qui s’est tenu à Saint Pétersbourg du 27 au 28 juillet 2023, sous le regard amusé de Vladimir Poutine. Plusieurs dirigeants africains s’étaient alors offusqués de cette incongruité et d’un « manque de respect » de la part de ce « jeuneputschiste » qui s’évertuait par ailleurs à jouer en ces lieux au favori zélé du maître du Kremlin.
Tout en usant sans modération du prêt-à-récitersouverainiste et anti-impérialiste propre aux néo-putschistes, le capitaine Traoré sème méthodiquement les graines d’une présidence sans opposition. Déjà, des groupes de soutien ont vu le jour, réclamant « IB pour toujours ». Les officines de propagande déversent les louanges sur les réseaux sociaux. L’homme s’en flatte et s’en délecte. Les trolls délégués activent au profit du pouvoir militaire une guerre informationnelle et des campagnes de désinformation qui ont trouvé depuis 2020, un terreau fertile au Burkina Faso, grâce notamment au concours des agents du groupe Wagner. Dans la mise en scène du spectacle IB, se mêlent indifféremment le narcissisme débonnaire, la ruse, une dose conséquente de mégalomanie, une défiance fébrile à l’égard des intellectuels, la tentation despotique et une évidente jouissance du pouvoir.
Une arme de destruction massive des oppositions
Dans ce contexte, les manifestations des organisations syndicales et de la société civile sont « suspendues », alors même que, dans le même temps, celles des partisans de la junte sont, sans vergogne, autorisées. La politique de « réquisition »consistant à envoyer au front « tout citoyen en âge de combattre » est en passe de devenir une arme de destruction massive des oppositions. Se référant à une rhétorique prétendument « révolutionnaire »,aussi archaïque que périmée selon laquelle « tout citoyen est un soldat au front », et sous le prétexte de combattre les groupes djihadistes, le pouvoir déporte littéralement des acteurs politiques et de la société civile, syndicalistes, et autres journalistes vers les théâtres du conflit. Une manière nouvelle d’envoyer les indésirables aux galères, et une instrumentalisation éhontée de la question sécuritaire, afin de consolider un régime autoritaire et de terreur.
En juillet dernier, Ablassé Ouédraodogo, ex-ministre des Affaires étrangères et président du parti Le Faso Autrement, qui n’a cessé de mettre en garde contre les dérives de ce régime, avait déclaré : « Ce qui est le plus grave, c’est la violation des droits de l’homme, la répression des libertés individuelles et collectives, la suspension des activités des partis politiques, les enlèvements et les rapts de citoyens (…) Les associations de défense des droits humains, les autorités religieuses et coutumières, tout le monde est muet. C’est vrai que tout le monde a peur. »Dénonçant « les tenants du pouvoir qui se fâchent lorsqu’on parle de l’organisation d’élections »,Ablassé Ouédraogo a été menacé de « réquisition » début novembre. Si cet ennemi désigné du régimepeut éviter la sentence du fait de son âge – soixante-dix ans -, son parti a tenu, en guise de précaution, à alerter l’opinion sur « toutes les réquisitions qui visent les hommes politiques, les syndicalistes, les journalistes, les acteurs de la société civile et autres,dans le but d’éteindre leurs voix »…
Autre nouvel outil de répression, « l’expatriation »des voix dissidentes. Ainsi a-t-on appris le 14 novembre dernier la décision prise par le pouvoir d’envoyer « en stage » en Russie une dizaine d’officiers – commandants, capitaines, lieutenants-colonels… – connus pour avoir exprimé leur désaccord avec certaines orientations du président Ibrahim Traoré. Ces officiers qui n’ont jamais sollicité le moindre stage de formation à l’étranger iront donc en Russie méditer sur la meilleure façonde marcher aujourd’hui au Burkina Faso. Cette disposition intervient au moment où le régime assume au grand jour le « resserrement » de ses liens avec la Russie, marqué par l’arrivée, à la mi-novembre, d’un premier groupe de soldats russes dans la capitale burkinabè.
Irrésistiblement, le visage du Burkina Faso se transforme, et nombre de celles et ceux qui incarnaient favorablement la réputation du pays sont contraints de se terrer ou se taire. Face aux assauts d’un autoritarisme que rien pour l’heure ne semble pouvoir infléchir, Ablassé Ouédraogo avait averti il y a quelques mois : « Si tout le monde baisse les bras, nous allons sombrer tous ensemble. Ce serait dommage pour un pays comme le Burkina Faso. Il n’y a pas de titre foncier du Burkina Faso qui appartient à un individu. Le Burkina Faso est un bien commun et nous devons le défendre ensemble. » A bon entendeur…