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Exacerber Les Tensions Alors Qu’une Élection Est CensÉe Apaiser Celles-ci

(EXCLUSIF SENEPLUS) – Un autre sujet de désaccords entre les parties prenantes dans le processus électoral est celui lié aux prérogatives des divers acteurs du processus électoral et la question de leur chevauchement. Cette question s’est posée avec une acuité particulière et une intensité presque dramatique dans la mesure où elle recélait deux enjeux majeurs : la possibilité juridique et factuelle d’une participation de l’opposant Sonko à la présidentielle et, d’un point de vue plus institutionnel, le rôle et les pouvoirs de la CENA dans le processus électoral.

A la suite du jugement rendu par le Tribunal de Ziguinchor annulant la radiation de Ousmane Sonko des listes électorales et ordonnant sa réinscription (jugement du 12 octobre 2023), les « mandataires » de celui-ci se sont présentés à la Direction des élections afin de récupérer les fiches nécessaires au « parrainage » de leur candidat, toujours emprisonné. La direction des élections – qui est un démembrement du ministère de l’Intérieur – a opposé un refus au motif que ledit jugement faisait l’objet d’un recours et que celui-ci en « suspendait » l’exécution.

De leur côté, les avocats de l’opposant ont fait valoir qu’un tel caractère suspensif ne figurait nulle part dans la loi. Ils ont alors saisi la CENA, laquelle a demandé à la Direction des élections de remettre les fiches de parrainage au candidat. Cette dernière a derechef opposé un refus et les conseils de M. Sonko ont alors demandé à la CENA de se substituer à l’Administration en vertu de son pouvoir général de supervision du processus électoral (art L5 et L11 du Code électoral) et de son pouvoir « de dessaisissement et de substitution » de toute défaillance (art L13).

Entretemps, sans doute indisposé par la décision de la CENA, le président de la République a pris un décret renouvelant entièrement la composition de l’institution, le mandat de l’équipe sortante étant au demeurant épuisé depuis des années. Ce décret lui-même n’a pas tardé à être contesté devant la Cour suprême, certains des nouveaux membres s’étant illustrés dans le passé par des prises de positions partisanes, au mépris donc de l’exigence d’impartialité attendue d’eux. 

En l’occurrence, la Direction Générale des Elections (DGE) a refusé, en dépit des dispositions pertinentes du code électoral, de respecter la décision du Tribunal d’Instance de Ziguinchor en invoquant le caractère non définitif de cette décision. Les dispositions du code électoral sont pourtant très claires. Elles prévoient que tout citoyen omis sur la liste électorale ou victime d’une erreur purement matérielle portant sur l’un de ses éléments d’identification et détenant son récépissé peut exercer un recours devant le président du Tribunal d’Instance dans les vingt (20) jours qui suivent la publication de la liste électorale, soit directement, soit par l’intermédiaire de la CENA. C’est cette disposition que les avocats du candidat Sonko ont mis en œuvre en saisissant le Président du Tribunal d’Instance de Ziguinchor, lieu de son inscription. Ce dernier, conformément à la loi, a statué dans les délais fixés puis a notifié sa décision dans les deux (2) jours à l’intéressé et à l’administration locale.

La décision du président du Tribunal est rendue en dernier ressort, autrement dit, elle ne peut faire l’objet d’appel. La seule possibilité offerte à la partie non satisfaite, c’est un recours en cassation devant la Cour Suprême, conformément aux dispositions de la loi organique sur ladite Cour. Or, celle-ci ne prévoit d’effet suspensif d’un recours que dans certaines hypothèses, qui ne concernent absolument pas le contentieux électoral.

C’est dire que la DGE n’est absolument pas fondée à refuser d’appliquer la décision de réintégration du candidat SONKO conformément à l’ordonnance n°01/2023 en date du 12 octobre 2023 du Président du Tribunal d’Instance de Ziguinchor qui a annulé la mesure de radiation de ce dernier des listes électorales et ordonné sa réintégration par les services centraux du ministère de l’intérieur sur la liste électorale de la commune de Ziguinchor ainsi que sur le fichier général des électeurs.

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La DGE a également refusé de respecter une injonction de la Commission électorale nationale autonome (C.E.N.A). En effet, suivant requête en date du 30 octobre, la C.E.N.A a invité la DGE à prendre, en relation avec tout concerné du ministère chargé des élections, les mesures nécessaires pour faire tenir à la disposition du mandataire de Monsieur Ousmane Sonko et ce dans les meilleurs délais, la fiche de parrainage, la clé USB ainsi que tout autre outil de collecte prévu par la loi. La DGE a opposé une fin de non-recevoir à cette demande avec comme explication qu’elle s’en tenait à son précédent communiqué[1].

Dans le même temps, les développements récents de la situation politique nationale ont mis en évidence des limites de l’organe de supervision des élections qu’est la CENA, certaines lui étant imputables, d’autres étant le fait des autorités politiques elles-mêmes, et notamment du président de la République.

C’est à la C.E.N.A que le législateur sénégalais a reconnu le pouvoir de contrôler et de superviser l’ensemble des opérations électorales et référendaires. Elle veille, en particulier, à leur bonne organisation matérielle et apporte les correctifs nécessaires à tout dysfonctionnement constaté. La C.E.N.A fait respecter la loi électorale de manière à assurer la régularité, la transparence, la sincérité des scrutins en garantissant aux électeurs, ainsi qu’aux candidats en présence, le libre exercice de leurs droits. La C.E.N.A a le pouvoir d’intervenir à tous les niveaux du processus électoral depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats.

Alors que toute l’opinion se demandait comment la C.E.N.A comptait donner suite à la position de la DGE, quelle attitude, elle allait adopter, allait-elle mettre en œuvre les pouvoirs que lui reconnait la loi à savoir prendre des décisions immédiatement exécutoires d’injonction, de rectification, de dessaisissement, de substitution d’action, nonobstant son pouvoir de saisine des juridictions compétentes.

La réponse à toutes ces interrogations a été donnée par le Président de la République qui, à travers le décret n°2023-2152 du 03 novembre 2023, a nommé une nouvelle équipe de la CENA. Le mandat de presque la totalité des membres de l’équipe qui venait d’être renouvelée avait expiré depuis, pour certains, deux ans et demi. C’est une anomalie que le chef de l’Etat a tenté de réparer avec beaucoup d’irrégularités dans le décret et à un moment où, tout laisse croire, qu’il s’agit d’une punition de l’ancienne équipe.

C’est le code électoral qui dispose que la C.E.N.A comprend douze (12) membres nommés par décret. Ils sont choisis parmi les personnalités indépendantes exclusivement de nationalité sénégalaise, connues pour leur intégrité morale, leur honnêteté intellectuelle, leur neutralité et leur impartialité, après consultation d’institutions, d’associations et d’organismes tels que ceux qui regroupent Avocats, Universitaires, Défenseurs des Droits de l’Homme, Professionnels de la communication ou toute autre structure.

  • Deux membres parmi les douze nommés ne sont ni neutres ni impartiaux. Il s’agit de militants du parti au pouvoir. Il s’agit de Monsieur Cheikh Awa Balla Fall, Inspecteur général d’Etat à la retraite et de Monsieur Serigne Amadou Ndiaye, Professeur d’Université à la retraite. Leur militantisme (le premier l’assume ouvertement à travers une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux[2]) est connu de tous. L’on aura, apparemment pas pris en compte la « jurisprudence » Amadou Abdoulaye DIeng nommé, en 1993, Président de l’Observatoire national des élections (O.N.E.L) à la veille de l’élection présidentielle alors qu’il était impliqué dans le mouvement de soutien Horizon 2000 pour la réélection du président Abdou Diouf. La contestation fut vive et le Conseil d’Etat saisi à travers un recours pour excès de pouvoir. Le juge n’aura pas à trancher car le Président de l’O.N.E.L démissionna quelques jours après.
  • En nommant douze membres de la CENA, le président a implicitement mis fin aux fonctions de M. Seydou Nourou BA dont le mandat ne doit expirer qu’au mois d’octobre 2024. Il a été nommé membre de la CENA par le décret n°2018-1930 du 9 octobre 2018. Le législateur dispose pourtant qu’il ne peut être mis fin, avant l’expiration de son mandat, aux fonctions d’un membre de la CENA que sur sa demande ou pour incapacité physique ou mentale, dûment constatée par un médecin désigné par le Conseil de l’Ordre, après avis conforme de la CENA.
  • M. Abdoulaye Sylla, Inspecteur général d’Etat à la retraite a été nommé par décret n°2023-2153, Président de la C.E.N.A alors qu’il est membre du Conseil constitutionnel (il a été nommé par décret n°2018-2126 du 6 décembre 2018 pour un mandat de 6 ans). Nous présumons qu’il a démissionné du Conseil constitutionnel après avoir suivi la procédure prévue à l’article 5 de la loi n° 2016- 23 du 14 juillet 2016 qui dispose : il ne peut être mis fin, avant l’expiration de leur mandat, aux fonctions des membres du Conseil constitutionnel que sur leur demande ou pour incapacité physique, et sur l’avis conforme du Conseil.

Incontestablement, des leçons doivent être tirées de ces événements très récents. Elles font apparaître la nécessité de répondre aux questions suivantes : 

  • Quelle est la portée du pouvoir de supervision de la CENA ? Une Administration peut-elle s’y opposer ? Une décision de justice faisant l’objet d’un recours peut-elle l’entraver ?
  • Le mandat des membres de la CENA peut-il subsister dans les faits alors qu’’il est théoriquement épuisé ? Quel doit alors être le comportement des membres de l’institution eux-mêmes et celui de l’autorité qui nomme ? Au-delà des discussions juridiques, cet épisode, ne met-il pas en évidence une forme de désinvolture à l’égard des institutions, de divers côtés ? Quelle doit être la « dignité » d’un organe de ce type ?

Les crispations nées de cet événement – qui ne sont pas terminées au moment où ces lignes sont écrites – nécessitent sans doute une précision du rapport de la CENA, organe indépendant, avec les autorités en place, quelles que soient celles-ci. 

  • Les scénarios possibles –

A la lecture du contexte politique et social sénégalais actuel, trois (3) grands scénarios nous paraissent concevables, chacun d’eux appelant quelques recommandations.

  1. Scénario 1 :

Il est le plus « optimiste » et suppose réunies les conditions suivantes :

  • Toutes les personnes emprisonnées à la suite des événements politiques qui ont secoué le pays sont libérées avant les élections ;
  • Ces élections sont parfaitement inclusives, le parti « Pastef » notamment, dissous, est réellement – et non, bien sûr, juridiquement, formellement – « représenté » dans la compétition ;
  • Les décisions rendues par les juridictions appelées à intervenir d’ici février 2024 ne sont pas sérieusement contestées ;
  • L’élection elle-même se déroule sans accroc majeur et un vainqueur est désigné sans que sa victoire ne souffre de contestation importante.

Dans un tel cas de figure, des initiatives pour le renforcement du système démocratique sénégalais pourraient néanmoins être imaginées après les élections. Il prendrait la forme d’une éradication de quelques problèmes de fond révélés ces deux ou trois dernières années : la question du mandat et des pouvoirs du président de la République, le rôle et la place de l’organe chargé d’arbitrer les élections (la CENA), la problématique de l’indépendance de la justice…

  1. Scénario 2 :

Il est le plus « pessimiste » et recouvrirait les réalités suivantes :

  • Les personnes emprisonnées n’auraient aucune chance d’être libérées et ne participeraient donc pas à l’élection ;
  • Celle-ci ne serait pas inclusive, des candidats majeurs seraient écartés de la compétition ;
  • Le soupçon de « partialité » de la CENA et des tribunaux, fondé ou non, est largement partagé ;
  • L’élection elle-même pourrait être entachée de fortes contestations parce qu’il existe un contentieux préélectoral substantiel.

  1. Scénario 3 :

C’est un scénario « intermédiaire ». Il serait constitué des éléments suivants :

  • Les personnes actuellement emprisonnées le resteraient ;
  • L’opposant Ousmane Sonko resterait également emprisonné et ne pourrait se présenter au scrutin ;
  • Néanmoins, cette frange radicale de l’opposition s’identifie à une personne dont la candidature est déclarée recevable ;
  • La campagne électorale elle-même se déroule de façon correcte et, rien ne laisse envisager la possibilité d’une contestation de la sincérité du scrutin.

Les Scénarios 2 et 3, de notre point de vue, ne se distingueraient pas sur le plan des recommandations qu’ils appellent. Celles-ci pourraient être les suivantes :

  • les arbitres du jeu électoral seraient solennellement rappelés à leurs devoirs : la CENA et le pouvoir judiciaire, mais aussi l’Autorité de régulation des médias (CNRA). Compte tenu de la particularité du contexte, ils veilleront à très scrupuleusement exécuter leur mission. La société civile pourrait même, dans cette perspective, mettre en place des formes de dispositif de veille qu’elle pourra déterminer ;
  • les partis politiques seront encouragés ou appuyés dans leur volonté d’être présents à toutes les étapes du processus de l’élection ; seule leur présence étant, en dernière analyse, le moyen d’éviter des fraudes ou des contestations ;
  • les candidats aux élections, notamment présidentielles, devront publiquement prendre l’engagement d’accepter les résultats définitifs du scrutin. Il convient de rappeler que dans l’histoire politique sénégalaise depuis 2000, un tel engagement a eu un effet cathartique sur l’élection. Et de fait, les tensions post- électorales ont toujours été instantanément résorbées par des déclarations de reconnaissance de la victoire de l’autre camp. Il en a été ainsi en 2000 et en 2012. Il est incontestable qu’il a eu un effet dans le dénouement pacifique de l’élection et il a bien été obtenu, de la part des candidats, entre les deux tours.

Deux réserves doivent être faites en conclusion :

  1. Il est évident que le climat préélectoral n’est pas serein. Si l’élection de février 2024 se déroulait mal au surplus, il est certain que la tension socio-politique s’aggraverait dangereusement. Au débat sur la légitimité de l’élection – qui tourne autour de son caractère inclusif ou « fermé » – ne doivent pas s’ajouter des soupçons de mauvaise organisation matérielle ou de fraudes.
  2. Si des mesures de « désescalade » ne sont pas prises d’ici février 2024, et si notamment le scénario 2 décrit ci-dessus se produisait, les lendemains électoraux pourraient également exacerber les tensions alors qu’une élection est censée apaiser celles-ci.

À suivre le premier rapport de 2024 à partir du 1er janvier.

LES QUESTIONS ÉLECTORALES RÉSOLUES À COURT TERME (1/3)

LIBERTÉ D’EXPRESSION BOUSCULÉE, INSTRUMENTALISATION DE LA JUSTICE 2/3

[1] Communiqué ainsi libellé « …Sur celle question, il y a lieu de préciser qu’il n’y a pas encore de décision définitive, l’Etat du Sénégal ayant décidé d’exercer les voies de recours qui s’offrent à lui.

Par conséquent, le dossier suit son cours judiciaire… »

[2] En 2019, il a mis en place le mouvement de soutien TGV à Guédiawaye pour la réélection de Macky







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