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Monsieur Le PrÉsident, Et Si Nous DÉtruisions La MisÈre ?

Dans son adresse à la nation, le président ne prit pas le temps de domicilier sa voix. Il démarra tambour battant par un cinglant « Mes chers compatriotes d’ici et de la diaspora », oubliant le fameux « chers hôtes qui vivez parmi nous », marque de la téranga sénégalaise si chère à ses prédécesseurs. Cette approche plutôt anglo-saxonne installa d’emblée une atmosphère peu propice à la conversation. On l’oublie souvent, en matière de communication, même dans les exercices solitaires d’adresse à la nation, c’est la conversation qui prévaut toujours sur le monologue et elle a ses exigences.  

S’en suivirent des références à des peurs, à des attaques, à de la violence, autant d’éléments contraires à la paix qu’il appelait des tous ses voeux. Tellement difficile de croire à son message pacifique, tant son lexique abonde de mots va-t-en-guerre.

Ce dernier discours fut, une fois de plus, un discours convenu, comme tous les autres qu’il nous a servis jusque là, empreint de la banalité classique qui sied dans ces figures imposées.

« Mesurer un bilan par rapport à une promesse initiale »

Contrairement à Senghor qui, en littéraire pur, cherchait à exalter l’âme du Sénégal, Macky reste un ingénieur besogneux dont la ligne de vision demeure rivée sur des chiffres dont on ne sait trop ce qu’ils prouvent. Le président semble oublier une chose pourtant élémentaire : un héritage ne se juge pas à partir de ce que l’on réalise, mais sur ce qu’on aurait dû réaliser avec le talent et les moyens qu’on à sa disposition. Par exemple, s’agissant du TER, il faut le juger sur ce qu’on aurait pu faire à la place, avec tout cet argent investi, notamment un réseau de chemin de fer dans tout le Sénégal. Nulle trace de l’efficacité de la dépense dans le discours du président. C’est à cette aune qu’un legs s’apprécie, pas dans une litanie de « je l’ai trouvé à X en 2012, je l’ai amené à Y en 2023 ». Formule dont il a abondamment abusé. Incroyable qu’il n’y ait eu personne pour le lui dire.

Le président est resté encalminé dans le clinquant : « des bus climatisés avec Wi-Fi de dernière génération qui fonctionnent au solaire », nous annonce-t-il fièrement. On retrouve l’atavisme d’une enfance de peu omniprésent dans ses propos. L’adulte qui peut enfin s’offrir les jouets sophistiqués dont il a rêvé enfant. En dehors de cette efficacité économique, l’appréciation du bilan devrait se mesurer par rapport à la promesse initiale. « Désengorger Dakar » était la promesse. La création de Diamniadio, la mise en circulation des joyaux coûteux, le TER et le prochain BRT ont-ils atteint l’objectif et fait de Dakar une ville « monde » ? Avec ses interminables bouchons, ses pics de pollution réguliers, la ville ne verserait-elle pas plutôt dans « l’immonde » ?

Vint le moment où on pensa à l’envolée lyrique quand il partit sur le syntagme « Je pense » répété dans l’anaphore : « Je pense au Sénégal qui se réveille tôt et se couche tard » ; « Je pense au Sénégal des mains laborieuses qui vit à la sueur de son front » ; « Je pense au Sénégal des petits revenus et des familles démunies ». Patatras ! La chute fut inattendue et décevante. Cet élan n’était que pour mieux repartir dans son énumération des instruments qu’il avait mis en place : PUDC, PUMA et consorts.

Il s’engonça davantage dans son plaidoyer pro domo de son bilan 2012 – 2023, rêvant de s’inscrire au-dessus du quatuor de présidents qui nous ont jusque-là dirigés : il dira en substance que « de 1960 à 2012, soit en 52 ans, il n’y avait que deux universités, Dakar et Saint-Louis ». Il poursuivra : « De 2012 à 2023, soit en 11 ans, j’en ai construit 3 et j’ai converti les 3 CUR [1] en universités ». En vérité, les 3 CUR avaient déjà le rang d’universités avant 2012.

Pour la jeunesse en péril, il demeura étrangement froid et n’eut aucun mot de réconfort envers les drames vécus par les familles de ceux qui ont péri en mer, ou ont trouvé la mort dans les déserts, sur les chemins de l’émigration. Il se contenta de lâcher : « L’avenir de notre jeunesse c’est ici qu’il se réalise ».

« Aucune fleur pour le Premier ministre candidat »

Il n‘eut aucun mot pour ses ministres, ni même pour le premier d’entre eux. Voulait-il tout ramener à lui ou se sacrifier à l’exercice républicain ? La question se pose. Il ne décerna aucune fleur à son Premier ministre par lui choisi comme candidat de son camp à l’élection présidentielle en vue. Cette équidistance républicaine par rapport aux candidats, bien que fort louable intrigua, car elle ne figure pas dans sa marque de fabrique.

C’est au moment de conclure qu’il s’engagea enfin dans la touche personnelle qu’on attendait d’un dernier discours à la nation. Il exprima sa gratitude envers ceux qui l’ont élu et lui ont permis de servir le Sénégal. Il déclara sa flamme au Sénégal qu’il a au coeur et chevillé au corps. Ce fut tout.

Cette touche fut éphémère, brisée qu’elle fut par la révélation d’une ambition personnelle qui aurait pu attendre d’être révélée à un autre moment : ériger une Fondation pour la paix en Afrique. On aura bien le temps d’en parler.

« Vaincre la misère »

Il m’apparut que pendant 12 ans, le président n’a pas compris les enjeux du pays. Il pense « infrastructure » quand il parle « mieux-être ». Ne voit-il pas qu’à quelques encablures de chez lui, les gens ne mangent pas à leur faim, ne peuvent pas payer leur facture d’électricité, vivent à plusieurs dans une pièce ? Ne voit-il pas la misère de son peuple augmenter en même temps que les taux de croissance dont ils se gargarisent lui et les siens ? Ne voit-il pas tout cela ?

Cela me rappela alors un discours de Victor Hugo et j’eus envie de le lui servir sous forme métaphorique :

« Certes vous avez créé des TER, vous avez bâti des routes, vous avez érigé des ponts, vous avez construit des BRT, dites-vous ?

Eh ben, vous n’avez rien fait,

Vous n’avez rien fait et j’insiste sur ce point TANT QUE L’ORDRE MATÉRIEL RAFFERMI N’A POINT POUR BASE L’ORDRE MORAL CONSOLIDÉ [2].

Vous n’avez rien fait tant que le peuple souffre.

Et le peuple souffre !

Vous n’avez rien fait tant qu’il y a en dessous de vous une partie du peuple, votre jeunesse, qui désespère et qui prend des pirogues pour chercher un avenir meilleur ailleurs, car ils n’ont plus espoir chez eux.

Vous n’avez rien fait tant que ceux qui sont dans la force de l’âge et qui travaillent peuvent manquer de nourriture car tout coûte plus cher et qu’il y a plus de bouches à nourrir.

Vous n‘avez rien fait tant que ceux qui sont vieux et ont travaillé toute leur vie ne savent plus à quel saint se vouer tant que leurs pensions sont miséreuses et ne leur permettent pas de vivre.

Voilà notre enjeu « vaincre la misère » et cela, M. le président, vous ne l’avez toujours pas compris.

Dr C. Tidiane Sow est Coach en communication politique.

Notes :

[1] CUR : Centre Universitaire Régional : Bambey, Thiès, Ziguinchor.

[2] Discours de Victor Hugo « détruire la misère »,

9 juillet 1849







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