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« Institution Essentielle Cible Facile » Ou « Le Sal Plaisir De Salir Le Conseil Constitutionnel »

Titres empruntés à de grands noms du droit public français1, ils traduisent le mieux la situation actuelle du Conseil constitutionnel sénégalais. La juridiction constitutionnelle est devenue aujourd’hui un élément essentiel pour la régulation de la démocratie. Freiner les dérives du législateur et veiller à  l’équilibre et au fonctionnement harmonieux des institutions justifient amplement la création des juridictions constitutionnelles dans les démocraties modernes. En effet, régulateur des conflits entre organes constitutionnels, juge de la constitutionnalité des lois et des traités et juge des élections majeures qui rythment la vie politique, le Conseil constitutionnel est, dans l’exercice de sa mission,  tenu de veiller scrupuleusement au respect de la Constitution et des droits et libertés fondamentaux.  

Comme toutes les institutions juridictionnelles du même acabit, le juge constitutionnel est souvent critiqué. Ses décisions contestées. Son impartialité mise en doute et parfois son existence menacée. Ce qui en fait une des institutions les plus essentielles mais aussi une cible facile d’autant plus que, soumis à l’obligation de réserve, le juge constitutionnel s’interdit en principe de répondre aux critiques sur le même registre que ses détracteurs. Mais aujourd’hui ce qui est plus dangereux, c’est la mise en cause de l’existence même de l’institution. 

Au Sénégal, des députés du Parti démocratique sénégalais (PDS) soutenus par leurs homologues de Benno Book Yakaar, la coalition de la majorité présidentielle ont initié une résolution ayant pour objet l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour investiguer sur de possible fait de corruption de juges du Conseil constitutionnel. 

Un précédant dangereux dans une République.  Cet acte fait suite à la décision du Conseil constitutionnel rejetant la candidature à l’élection présidentielle du 25 février 2024 du postulant Monsieur  Karim Meïssa Wade.  La décision du Conseil constitutionnel est critiquable à bien des égards. Certaines décisions rendues récemment par le Conseil constitutionnel mettent à rude épreuve cette mission protectrice des droits fondamentaux.  Dans l’exercice de son office, le Conseil constitutionnel s’est souvent exposé.

UN JUGE CONSTITUTIONNEL QUI S’EXPOSE EN PERMANENCE

A l’analyse du système de contrôle du contentieux pré-électoral, le Conseil constitutionnel est doublement exposé et l’autre critique se situe dans la composition sociologique du Conseil. D’une part, le juge constitutionnel s’est exposé dans la mesure où, dans le cadre de son office de contrôleur de la constitutionnalité des lois, il ne s’est pas comporté comme un juge protecteur des droits et libertés fondamentaux des citoyens.

D’abord, dans l’affaire de la réforme de loi pénale en 2022, le Conseil constitutionnel aurait dû s’entourer d’un maximum de garanties avant de déclarer la loi conforme à la Constitution tout en annulant certaines dispositions (Sénégal. CC. Décision 2/C/ 2021. Affaire n°2/C/21 du 20 juillet 2021). Il aurait pu s’attacher les services d’experts en cybercriminalité ou en protection des données personnelles pour ne pas autoriser l’intrusion trop large de la police dans le domaine privé des citoyens. Pour des motifs sécuritaires certaines données personnelles ne sont pas préservées des agissements des enquêteurs. Ensuite, à la vielle des dernières élections législatives, dans l’affaire des listes électorales des coalitions Benno BOKK Yakaar et Yewi Askan Wi (Sénégal. CC. Décision n°8/E/2022. Affaire n°16/E/22, Séance du 2 juin 2022, Déthié Fall), l’inversion des listes de titulaires et l’annulation de la liste des suppléants pour l’une le contraire pour l’autre, les juges constitutionnels ont rendu une décision incompréhensible. Certains n’ont pas hésité qualifier la décision « d’hérésie » sur le plan juridique. Enfin, sur la composition sociologique du Conseil constitutionnel, la loi de 2016 sur le Conseil constitutionnel prévoit la possibilité de nommer un professeur titulaire des facultés de droit parmi les membres du Conseil constitutionnel. L’absence d’un universitaire au sein de la Haute Instance montre qu’il n’y a pas de théoricien des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Et dans certaines décisions du Conseil constitutionnel, on voit cette faille-là dans l’écriture et le contenu.

Dans ce cadre-là, la décision du 12 janvier 2024 concernant Karim Wade et Ousmane Sonko peut-être critiquée. En effet, des enjeux politiques énormes entourent la décision juridictionnelle.

Le fait de rendre une décision sur la liste définitive des candidats qui sont autorisés à prendre part à l’élection présidentielle est une décision qui revêt des enjeux politiques majeurs. Tout simplement parce que lorsqu’on élimine un candidat d’un grand parti ou d’une grande coalition, il est normal et logique que ses partisans manifestent leur courroux et leur désapprobation.

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Les candidatures de messieurs Karim Wade et Ousmane Sonko soulèvent sur le plan juridique un problème de fond. En premier lieu, examinons le cas de Monsieur Ousmane Sonko. Il est dans le cadre d’une procédure judiciaire pour laquelle, il est placé en détention préventive. En même temps, il était en procès sur une autre affaire contre un ministre. Il a déposé sa candidature au Conseil constitutionnel. La date limite de dépôt étant arrivée, donc tous les dossiers étaient clos à cette date du 26 décembre 2023. Mais, on attend jusqu’en début janvier 2024, le Conseil constitutionnel informe qu’il a usé de ses pouvoirs d’investigation pour aller vers la Cour suprême chercher un arrêt, revenir ouvrir le dossier, mettre cet arrêt à l’intérieur, statuer et écarté sa candidature sur la base d’une décision de justice. Il y’a une violation du principe d’égalité des candidats et plus précisément d’égalité du traitement des candidats. Si, on ouvre un dossier pour mettre un document qui permet d’écarter quelqu’un, c’est extrêmement dangereux parce que le Conseil constitutionnel devrait veiller à l’égalité des candidats et au respect des formalités parce que les dossiers sont clos depuis le 26 décembre 2023.

Il y a lieu de rappeler que c’est la deuxième fois que le Conseil constitutionnel procède ainsi parce qu’en 2019, il avait fait la même chose avec la candidature de Monsieur Khalifa Ababacar Sall. Dès l’instant que les droits fondamentaux et les libertés des citoyens sont en cause, il faut veiller au respect de ses droits et libertés.

En second lieu, le cas de Monsieur Karim Wade soulève des controverses. Il a déposé son dossier au mois de décembre, mais par la suite, un des candidats a contesté la recevabilité de cette candidature du fait de sa double nationalité. Mais, il faut savoir que Karim Wade n’a pas demandé à naitre d’un père sénégalais et d’une mère française. Il n’est pas quelqu’un qui, par une démarche volontariste est allé chercher la nationalité française. Donc, on ne peut lui reprocher sa nationalité de naissance. Ce sera un jeu extrêmement dangereux de jouer avec la nationalité des candidats à l’élection présidentielle.

Maintenant, quand en octobre, il avait déposé auprès des services consulaires français une demande de renonciation à sa nationalité et à partir du mois de décembre, il candidate à l’élection présidentielle, au mois de janvier, il a produit un justificatif autrement dit, le décret et l’attestation prouvant qu’il n’est plus français. Dans ce cadrelà, le Conseil constitutionnel pouvait en prendre acte parce qu’on ne pouvait pas douter de sa bonne fois parce qu’il avait déposé sa demande de renonciation depuis le mois d’octobre. Maintenant, l’exclure sur la base de la nationalité, cela pose problème. Car, si on suit le Conseil constitutionnel dans sa logique, il estime avoir écarté la candidature de Karim Wade parce que ce dernier a fait une fausse déclaration. Mais si telle est le cas, il a donc fait du faux et usage du faux, il y’a parjure. Maintenant, pourquoi dans ce cas, le constitutionnel n’a pas saisi le juge pénal ou le procureur de la République s’autosaisit pour le poursuivre au pénal ?

DE L’APOLOGIE DE LA JUSTICE CONSTITUTIONNELLE

Ces failles et défaillances relevées dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité comme dans celui de la recevabilité des candidatures et des listes électorales, exercé par le Conseil constitutionnel, constituent des limites de notre système de justice constitutionnelle. Elles devraient donner lieu plus tard à une réflexion et à réforme approfondie afin d’améliorer qualitativement la démocratie sénégalaise.

Mais se servir de cette situation comme prétexte pour demander la démission des juges constitutionnels et le report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 est excessif. Cette entreprise vise à jeter le discrédit sur le Conseil constitutionnel, sur le processus électoral et au final à mettre en cause la légitimité du futur Président de la République élu. Une telle perspective démentielle vise d’une part à reporter les élections et d’autre part à    décrédibiliser la démocratie sénégalaise.  

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Les postulants évincés qui contestent leur élimination à l’étape de contrôle du parrainage ont largement des arguments sur la table. Mais, nous sommes des républicains qui doivons respecter toutes les décisions et mesures édictées par les institutions de la République. Dans ce cadre, il faut s’incliner devant les décisions de justice et non mettre en cause l’intégrité et la dignité des juges constitutionnels d’une manière aussi légère. Les membres du Conseil constitutionnel sont des sénégalais qui ont fait un parcours universitaire remarquable. Ils ont réussi le concours très sélectif de l’Ecole Nationale de la Magistrature devenue Centre de formation judiciaire. Ils ont exercé leurs offices pendant vingt à trente ans. Donc, mettre en cause leur intégrité morale, leur probité…n’est digne de responsables qui ambitionnent ou qui dirigent ce pays. Les attaques gratuites sur les juges constitutionnels montrent à quel point toutes les limites sont franchies par la classe politique. Elle n’hésite plus à se jouer des institutions pour la sauvegarde de postes politiques.

Au demeurant, une telle posture de défense l’institution juridictionnelle n’empêche pas la d’émettre des critiques pour une amélioration du système.

Dans la même veine, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 92 alinéa 4 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Cette disposition proclame ainsi l’autorité absolue de chose jugée.

Aujourd’hui, il faut se rendre compte de l’évidence, les hommes politiques ont réussi leur entreprise funeste de discréditer le juge constitutionnel.  En effet, la mort programmé du Conseil Constitutionnel est inéluctable.  Si les choses restent en l’état et que le calendrier républicain n’est pas respecté, le Conseil constitutionnel dans sa configuration actuelle ne peut plus arbitrer le jeu électoral.  Sa crédibilité est largement entamée. Il ne jouit plus de la confiance des acteurs politiques.  Les partis politiques et coalition Yewi Askan Wi, Wallu, le PASTEF, le PDS et aujourd’hui Benno bokk Yakaar n’ont aucune confiance à cette institution. Ils ont toujours exprimé leur méfiance à l’égard du Conseil Constitutionnel. Quand les acteurs du jeu politique n’ont plus confiance en l’arbitre et ils développent des stratégies politiciennes pour jeter le juge constitutionnel en pâture et le vouer aux gémonies, ils  organisaient lentement sa mise à mort. Ils poussent les juges constitutionnels à la démission s’impose.  Ce qui permet à un Conseil constitutionnel autrement composé de veiller à la régularité du processus électoral.  De même les membres mis en cause pourront se défendre et laver leur honneur. N’est-on pas entrain de vivre l’ère du “ sale plaisir de salir le Conseil constitutionnel “ (Georges Vedel).

DES PERSPECTIVES DE RÉFORME DU RÉGIME DE MANAGEMENT DES ÉLECTIONS

L’occasion devra être saisie pour une réforme en profondeur de la justice constitutionnelle.  Elle devrait commencer par la transformation terminologique de l’institution qui s’appellera désormais Cour constitutionnelle ou Tribunal correctionnel.  Dans la même veine, il faudrait ouvrir la saisine du juge constitutionnel en permettant aux citoyens qui s’estiment léser dans l’exercice de leurs droits fondamentaux de saisir directement la juridique. De même, le juge constitutionnel sera compétent pour vérifier tout projet de loi constitutionnelle avant sa soumission au peuple par référendum ou son adoption définitive par le Parlement.

En guise de perspective, il serait souhaitable que toutes les compétences conférées au Conseil constitutionnel en matière de contrôle des parrainages soient réattribuées à la Commission électorale nationale autonome (CENA). En tant que structure de contrôle et de supervision du processus électoral, la CENA peut recevoir les dossiers de candidatures et contrôler tous les parrainages. Elle effectuera ce travail avec son logiciel de contrôle et de validation. Une fois ce travail effectué, toutes les contestations relatives à la recevabilité des dossiers ainsi que le contentieux du parrainage seront réglés par le juge constitutionnel-électoral.

Il faut protéger le juge constitutionnel et non de le décrédibilise comme on le voit actuellement. La preuve, dès que les mandataires sont sortis après l’invalidation de leur parrainage, ils ont mis en cause le juge. Il faut donc qu’on revoit ce système pour assurer au juge constitutionnel-électoral les conditions sereines d’exercice de son office. Il me semble qu’une réforme qui mettra la CENA au cœur du processus de contrôle des parrainages est nécessaire pour ne pas continuer à trop exposé le juge constitutionnel.

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DE L’INCONSTITUTIONNALITÉ AVÉRÉE DE LA LOI CONSTITUTIONNELLE PORTANT DÉROGATION À L’ARTICLE 31 DE LA CONSTITUTION

Saisi par plusieurs députés de l’opposition pout se prononcer sur la conformité à la Constitution de la loi portant dérogation à l’article 31 de la Constitution, le juge constitutionnel sénégalais est dans une situation inconfortable. Ayant l’habitude de se déclarer incompétent la plupart du temps quand il est saisi d’une loi de révision, le Conseil constitutionnel joue sa survie. Il semble jouer son destin et celui de la République ainsi que de la démocratie entre ses mains. Une décision d’annulation de loi constitutionnelle en cause entrainerait la poursuite du processus électoral. Ça sera un camouflet pour le chef de l’Etat et sa majorité. Si le Conseil constitutionnel se déclare incompétent, il valide de facto le report de l’élection présidentielle avec toutes les conséquences en termes de risque de basculement de pays. Le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence du 12 février 2016 avait affirmé l’impossibilité de toucher aux dispositions constitutionnelles intangibles pour des raisons de « sécurité juridique » et de « stabilité des institutions » (CC. Avis du 12 février 2016). Si le juge constitutionnel se dédit, la démocratie sera sabordée. La République secouée. L’avenir incertain.

Ce recours à une loi constitutionnelle portant dérogation pour contourner le verrou du mandat présidentiel soulève des questions sur le plan juridique.  En effet, une loi constitutionnelle est une loi qui a pour objet la Constitution.  Elle porte sur des matières constitutionnelles.  La loi constitutionnelle qui révise la Constitution modifie le contenu des matières visées.  Elle y ajoute ou y retranche ou supprime quelques choses.  

La loi constitutionnelle portant dérogation à l’article 31 de la Constitution affecte une matière insusceptible de révision. Elle viole les clauses d’intangibilité énoncées à l’article 103 de la Constitution ainsi libellé : « La forme républicaine de l’Etat, le mode d’élection, la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision ».

Le Constituant originaire a placé cette matière hors d’atteinte du pouvoir de révision.  Ces clauses sont dites intangibles parce qu’elles tendent à protéger les valeurs d’une société. Il s’agit d’éviter que des points importants du régime constitutionnel soient à la merci du pouvoir de révision qui, selon ses intérêts du moment pourrait le modifier à sa guise.  Dans ces conditions, la loi constitutionnelle ne peut avoir pour objet de modifier le contenu ou les effets des dispositions intangibles. Qu’elles soient dérogatoires ou pas, la loi constitutionnelle ne peut porter ou toucher le nombre et la durée du mandat présidentiel. Elle ne peut proroger d’un seul jour le mandat qui est arrivé à expiration sans violer le texte constitutionnel.

Dans le domaine qui nous occupe, l’article 103 in fine dispose que la durée et le nombre de mandats du Président de la République ne peuvent faire l’objet de révision constitutionnelle.  Dès lors, ce sont des dispositions intangibles c’est-à-dire qu’elles ne peuvent faire l’objet de modification d’ici 20 ans ou aussi longtemps que la Constitution est vigueur. Si tel est le sens de l’article 103 in fine, la loi constitutionnelle portant dérogation ne peut affecter l’article 103 de la Constitution sans violer le texte constitutionnel.  Les matières visées à l’article 103 sont hors d’atteinte du pouvoir constituant dérivé par l’exercice de la révision constitutionnelle.  Dans ces conditions, la loi constitutionnelle portant dérogation ne peut déroger à des dispositions intangibles ni modifier leurs effets. Par conséquence, la loi constitutionnelle portant dérogation est contraire à la Constitution en ce qu’elle viole l’article 103 de la Constitution. 

Au total, en dépit de ces imperfections et de ces limites, nous devons œuvrer en permanence à la préservation et à la consolidation l’institution de la justice constitutionnelle au lieu d’en faire une « cible facile » à « salir » selon les intérêts politiques conjoncturels.

Par Docteur El hadji Omar Diop

Enseignant-chercheur a la faculté des sciences juridiques et politiques de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar







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