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Éviter Le Vicieux Piege Occidental

L’Occident est ambigu, assurément ambigu !

En ces jours de tension politique dans notre pays, mes pensées sont toutes tournées vers un homme qui me fut un père et ami très proche, Aimé Césaire.

Enfant d’un odieux crime contre l’humanité perpétré par l’Occident, il était aussi un pur produit de la prestigieuse École Normale de la rue d’Ulm. Poète et homme politique de renommée, il a laissé à la postérité une œuvre littéraire monumentale dont l‘épine dorsale s’articule autour du Cahier d’un retour au pays natal et du Discours sur le colonialisme. Césaire était le fils d’une Afrique blessée et humiliée, enfant de la cale du bateau négrier, cet indicible génocide perpétré par l’Occident, cette nuit noire au cœur de son « Siècle des Lumières », un Occident également auteur et acteur de la tragédie qui a déraciné et dispersé depuis Élam, depuis Akkad, depuis Sumer… Dans son Discours sur le colonialisme, il nous dit qu’une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Depuis quelques jours, médias, organisations diverses, quelques hommes politiques, intellectuels et artistes n’arrêtent de brandir sous nos yeux les propos d’un Occident donneur de leçons : Quai d’Orsay, Union Européenne, Département d’État américain, le Werderscher Markt et j’en passe…

Ces communiqués, prises de position, injonctions et menaces sont agités continuellement par certains acteurs manifestement partisans. Les réactions du Quai d’Orsay et du Département d’État américain sont scrutées et attendues par certains pour, espèrent-ils, exercer une pression sur l’État du Sénégal. L’Europe et les Etats-Unis, c’est une longue histoire jalonnée de faits louables pour certains et abominables pour d’autres. L’Europe, c’est les grandes équipées océanes des rois catholiques, qui installèrent bien des peuples pacifiques dans les abîmes de la nuit noire du colonialisme. Violences indicibles, viols, vols, pillages, déstabilisation, dépersonnalisation, et bien d’autres maux qu’elle a fait subir plus de quatre siècles durant. Pendant plus d’un demi millénaire, cette Europe s’est enfermée dans son soliloquium. Elle a soliloqué en prenant son nombril pour le centre du monde. Arrogante et suffisante, elle a refusé d’entendre les messages venus d’ailleurs. De l’autre côté de l’océan, c’est le massacre du peuple indien, les autodafés des civilisations précolombiennes, aztèques, mayas et autres. Et plus récemment, pendant près de trois décennies, au nom de la défense d’un projet de société contre un autre, les USA ont déversé des millions de tonnes de napalm sur un petit peuple dont le seul tort était le refus de s’aplatir et de marcher dans la direction indiquée par son bourreau. Ici encore, je cite à nouveau Césaire, qui avertissait dans le Discours : On a cru n’abattre que les Indiens, ou des Hindous, ou des Océaniens, ou des Africains. On a en fait renversé, les uns après les autres, les remparts, en deçà desquels la civilisation européenne pouvait se développer librement. Veut-on encore faire bégayer l’histoire ? Ça en a tout l’air.

Mon propos ici n’est pas d’entrer dans une quelconque polémique. Je constate et analyse avec la distance nécessaire par rapport aux acteurs politiques et à un espace public confus et agité en la circonstance. Mon propos est surtout une réaction face à une immixtion excessive et inacceptable de puissances occidentales dans le processus électoral sénégalais. Ce que tu veux enflammer chez les autres il faut que ça brûle d’abord en toi, parole de Sénèque, un sage de l’Antiquité, qu’il me plairait de voir les Occidentaux méditer avant de vouloir nous donner des leçons.

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De cette «crise institutionnelle sénégalaise», parlons-en

Nous vivons des moments particuliers. L’élection présidentielle est un rendez-vous important d’un peuple avec lui-même. Il s’agit, en effet, parmi plusieurs prétendants, de choisir celui qui, cinq années durant, aura l’exaltante et redoutable charge de présider aux destinées de millions de femmes et d’hommes ayant investi leur confiance sur lui. Ce rendezvous est très important. Son importance requiert une rigueur et une méticulosité pour encadrer le processus en amont comme en aval, c’est-à-dire avant, pendant et après. L’organe chargé essentiellement de veiller à la certification du scrutin et d’en proclamer les résultats à la fin des fins, c’est le Conseil constitutionnel. Pour ce cas d’espèce, nous n’en n’étions qu’au début du processus que cet organe de régulation et de supervision a failli. Comment ? Il a reçu une pléthore de candidatures, en a éliminé beaucoup avant de publier la liste officielle des candidats aptes, au regard et en vertu de notre loi fondamentale, à concourir pour les élections présidentielles du 25 février 2024. Parmi les recalés, un candidat détenteur d’une double nationalité, ce que notre Constitution n’accepte pas. Mais, quelques jours après la proclamation, quelle ne fut notre surprise d’apprendre qu’une personne détentrice de deux nationalités figurait sur la liste officielle des candidats. Cela, et cela seulement, est largement et objectivement suffisant pour tirer la sonnette d’alarme, revoir de fond en comble le processus pour éviter des contestations capables d’ouvrir un cycle de crises électorales et post- électorales porteur de tous les dangers. C’est ce qui a été fait avec les prolongements que l’on connaît et sur lesquels je n’ai pas besoin de revenir ici.

Haro sur les donneurs de leçons

Depuis l’an 1 de nos indépendances, nous n’avons cessé de nous battre pour nous sortir de la nasse dans laquelle des siècles de domination nous avaient méthodiquement et savamment enfermés. Une farouche volonté d’être les maîtres de nos destins dans un monde qui ne cesse de se transformer, avec un centre de gravité qui bouge et se déplace en fonction de nouveaux paradigmes politiques, économiques et géostratégiques. Ces logiques nouvelles ont fini par changer nos rapports avec les anciennes puissances coloniales aujourd’hui incapables d’être les maîtres absolus du jeu. Pendant longtemps sous leur diktat, nous avons marché sur le chemin tracé par eux sur la ligne de leurs seuls intérêts. Aujourd’hui, nous pouvons et osons sortir de la ligne, regarder ailleurs et traiter avec d’autres. Et cela, on ne nous le pardonne pas. On veut nous imposer des choix sociétaux que nous refusons catégoriquement car ils ne correspondent pas à nos codes et valeurs. Cette nouvelle liberté durement conquise et à consolider, on veut nous la faire payer très chèrement au prix de l’asphyxie financière, d’un chantage éhonté qui passe par la désinformation organisée, la déstabilisation calculée, jusqu’au dénigrement systématique de nombre de nos leaders. Les médias occidentaux, depuis quelques années, à feu continu, pilonnent en donnant au moindre éternuement chez nous l’ampleur d’un tsunami planétaire. Mieux encore, savamment, ils nous divisent et nous dressent les uns contre les autres.

L’édition du 10 février 2024 d’un journal parisien est même allée jusqu’à barrer à sa Une : Crise au Sénégal : un coup d’État militaire est-il inéluctable ? En ce qui concerne le Sénégal puisque je suis Sénégalais et que je parle du Sénégal, toutes ces organisations qui nous pondent des papiers révoltants pour exiger l’organisation d’élections à date échue, savent pertinemment que si on organise ces élections nous entrerons dans un cycle de contestations sans précédent. Elles le savent pertinemment. Elles le savent mais nous poussent vers ce scénario comme pour nous jeter dans le précipice afin de venir en saveurs nous tendre la main et nous donner une corde pour une remontée à leurs conditions. Et ces conditions tournent autour d’enjeux économiques et civilisationnels ; faire main basse sur nos ressources et nous imposer des lois sociétales qui ne correspondent pas à notre culture et à notre identité. Mais ces donneurs de leçons, où étaient-ils pendant que des leaders africains se battaient pour obtenir une place plus que légitime de l’Afrique au sein du G20 ? Où sont-ils alors que l’Afrique se bat depuis plus de 30 ans pour siéger comme membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, dont je le rappelle les deux tiers des questions discutées la concernent directement ? Ou sont-ils et que disent-ils devant le l’affreux et innommable drame de Gaza où un peuple risque tout simplement l’effacement devant les yeux du monde ?

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Et mieux, toujours en politique et en matière d’élections à date échue et de transparence et de sincérité du vote, qu’avaient-ils dit ou fait au sujet de ce grand pays d’Afrique centrale où un chef d’État sortant avait organisé une des élections les plus chaotiques de l’histoire, allant jusqu’à se payer le luxe suprême de proclamer vainqueur un candidat arrivé bien loin derrière celui qui avait engrangé plus de 60% des suffrages ? Fait inédit qui s’est passé dans un pays aux richesses inouïes et essentielles au développement d’un Occident, qui, toute honte bue, a fermé les yeux sur cette forfaiture. « Laissons passer, c’est un compromis à l’africaine », avaiton osé dire à la face d’un monde africain stupéfait auquel on donne aujourd’hui des leçons de vertus politiques, de bonne gouvernance et de respect strict de calendrier et de transparence dans le vote. Voilà ce que nous avaient dit les donneurs de leçons ! Et d’ailleurs, je rappelle au passage, que dans ce pays d’Afrique centrale, avant l’organisation de ces élections chaotiques, le président du pays s’était maintenu au pouvoir plus de deux ans après le terme de son mandat. C’est ce qu’on a appelé « le glissement » ! Les mains dans le succulent et apetissant bol du sol et le sous-sol de ce géant aux pieds d’argile, les donneurs de leçons ont mangé en silence.

Que disent enfin ces donneurs de leçons prompts dans la réaction à géométrie variable quand des hordes de gens armés et chauffés par un président défait, ont envahi le Capitole le 6 janvier 2021 pour contester les résultats d’une élection présidentielle aux États-Unis, pays qui se considère comme la plus grande démocratie au monde ? C’est cet Occident, hier soutien et défenseur de l’odieux système de l’Apartheid des décennies durant, qui donne des leçons de morale au reste du monde. Et c’est le même Occident qui célèbre Nelson Mandela, victime d’un système raciste et inégalitaire. On a vu mieux en termes de cohérence… Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. Encore du Césaire. Aujourd’hui nul n’ignore que notre planète est en danger par le fait de la prédation qu’elle subit du fait essentiellement des grandes puissances. Le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles qu’il génère menacent jusqu’à la pérennité de l’espèce humaine sur terre. L’Occident porte une grande responsabilité dans la crise écologique qui rend la planète de jour en jour plus invivable. Mais après avoir bâti son industrialisation sur l’exploitation des énergies fossiles, l’Europe désormais exige de nous une bifurcation systémique et une renonciation au développement par l’usage de nos ressources naturelles.

Or les spécialistes ont calculé que la part de l’Afrique est infime dans la pollution mondiale. Le continent ne contribue que pour 3% aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Mieux, il est possible de bâtir une croissance dynamique par l’exploitation des ressources naturelles tout en ouvrant un chemin vers la transition écologique à moyen et long terme. Il est évident qu’aujourd’hui, au regard de la marche du monde, l’Afrique a fait preuve de résilience. Nolens volens, elle est en train de devenir le nouveau centre de gravité du monde. Pourtant – grand paradoxe – elle a toutes les difficultés à obtenir sa juste place dans concert des nations. La dette continue de plomber ses initiatives, notamment en matière de construction d’infrastructures modernes pour dynamiser les échanges et favoriser la croissance. Les agences de notation continuent à exagérer volontairement le seuil de risque des pays africains, affectant ainsi la confiance des prêteurs et maintenant haut les taux d’intérêts des crédits.

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Face à cette réalité et dans ces circonstances exceptionnelles, une lucidité nous incombe pour trouver des solutions issues de nos anthropologies culturelles africaines, de cet héritage senghorien de « l’accord conciliant », afin de préserver la paix, le calme, la stabilité et l’unité nationale. Toute personne de bonne foi sait que les conditions dès le début n’étaient pas réunies pour envisager une élection sereine, apaisée et inclusive. Aussi, des acteurs ont, dès le 16 janvier 2024, par une lettre publique, sollicité le chef de l’État pour l’arrêt du processus électoral. L’installation d’une commission d’enquête parlementaire est venue imposer une pause afin de tirer toute la situation au clair avant d’envisager d’aller aux urnes. Le chef de l’État a agi conformément à ses attributs de garant du fonctionnement normal des institutions. Si le Conseil constitutionnel le souhaite, à l’issue de la nouvelle date retenue, le président de la République transmettra le relais à son successeur et la marche de la nation dans l’histoire se poursuivra dans la paix civile, la démocratie, la cohésion et la concorde. Dans cette marche, l’élection est un moment important. Le Sénégal nous dépasse toutes et tous et il nous survivra.

Le Président Sall n’est pas à l’initiative de ce report mais face à un processus biaisé, il a le devoir d’écouter sa majorité et son opposition. Devant une crise qui se profile, et dont nous pouvons éviter d’éventuelles conséquences graves, il a appelé à un dialogue national pour ensemble trouver les solutions concertées au lieu de se faire face ou de nourrir des rancœurs stériles. Répondre positivement à cette main tendue, c’est contribuer à pacifier l’espace public et promouvoir l’apaisement et la réconciliation nationale pour des élections inclusives et transparentes. Notre démocratie s’est fortifiée au fil des décennies par le dialogue pour régler nos divergences sans recourir à la violence ou à la division. Le moment est propice pour se retrouver autour d’une table dans la confiance et la sérénité, car il n’y a plus de conflit possible avec un homme qui ne se présente plus à aucun mandat, qui dit haut et fort qu’il a comme unique volonté la transmission du relais dans la paix et la stabilité. Que les occidentaux nous laissent entre nous, nous rassembler le largement possible dans un élan solidaire, imbibés de nos traditions, de notre histoire et de nos valeurs ancestrales pour, épaule contre épaule, faire du Sénégal notre grand dessein :

Voici venue l’heure de Rassembler les poussins à l’abri des milans, Pour en faire, de l’est à l’ouest, du nord au sud, Dressé, un même peuple, un peuple sans couture, Mais un peuple tourné vers tous les vents du monde.

Hamidou Sall

Écrivain







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