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SÉnÉgal, Une Pirogue En Eaux Troubles

Il ne sera plus président de la République au soir du 2 avril. Macky Sall succombe à la pression planétaire mais tente de tordre le cou à une Assemblée nationale serpillière pour se faire voter une loi d’amnistie sur ses graves crimes, en se servant d’opposants immoraux. Son échec est patent. Il laissera un pays exsangue.

C’est l’épisode improbable d’un paradis africain en…feu.

Enrobé d’une culture irénique au point d’être considéré comme un cas à part dans une Afrique, terre de violences, le Sénégal se posait comme l’espoir solitaire mais persistant dans une géographie qui avait fini par désespérer les plus optimistes.

Il voguait telle une douce nacelle jusqu’à se croire inoxydable face aux nombreux et divers chocs subis par le continent. Tout a soudain changé, suite à une série de mauvaises manœuvres de son capitaine.

Piqué par on ne sait quelle envie suicidaire, c’est lui qui l’a imprudemment plongé dans des eaux incertaines, gorgées de récifs invisibles, alors que le pays a depuis toujours navigué dans un milieu stable, baigné par un écosystème démocratique qui, longtemps, en a fait une référence africaine.

Dans la langue locale, le Wolof, le Sénégal signifie «notre pirogue» et il se distinguait par le dynamisme de sa vie publique alors que partout ailleurs sur le continent le déchaînement des éléments, entre coups d’Etats militaires et malédiction des ressources, mal gouvernance, s’imposait comme la norme.

C’était avant. Avant ces dernières années où il trône sur le hit-parade des chroniques de la honte. Quand, pris ou projeté dans une folle tourmente politique, il ne cesse de s’affirmer comme le dernier ersatz des États faillis qu’on ne compte plus en Afrique.

Soixante quatre ans après une indépendance nationale qu’il célébrera le 4 avril, gorge nouée et tête surplombée par des nuages dans son ciel de plus en plus sombre, ce pays, situé à la pointe occidentale de l’Afrique, n’en finit plus de donner l’air d’être un navire ivre, à la dérive. Au milieu des tensions politiques, du recul, voire de l’agonie, de sa démocratie, des trafics en tous genres, dont celui devenu exorbitant de la drogue et de l’argent sale, pendant qu’un climat de terreur grippe le débat pluriel qui a toujours été le facteur discriminant d’un peuple joyeux et bavard, dont on a pu dire qu’il croyait avoir agi dès lors que sa faconde s’était libérée.

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Désigné en terre de la Téranga, l’hospitalité selon son autre nom local, le Sénégal est désormais méconnaissable. On y a même vu des escadrons de la mort, lourdement armés, tirer à balles réelles, aux côtés des forces de défense et sécurité, ayant elles aussi perdu le Nord, sur des foules, surtout jeunes, qui cherchent à se sauver d’un quotidien repoussant tout en rêvant de redonner des couleurs à la démocratie nationale. Des tueries extra-judiciaires y sont devenues banales sous l’action débridée des forces de sécurité. Les arrestations ne sont plus encadrées par la loi. Les marchés politiques, constitutionnellement protégées, ne sont plus permises qu’aux proches d’un pouvoir ayant fini de vider une démocratie de façade de ce qui en était la substantifique moelle. Les institutions n’en sont pas sorties indemnes. La Constitution, plusieurs fois violée, n’est, elle, plus qu’un torchon.

Si le Sénégal intéresse encore hors de ses frontières, c’est qu’il y est encore vu comme une…bouée de sauvetage dans une Afrique loin de réaliser ses promesses se décollage. Sinistrée !

Seul pays, en dehors de l’insulaire Cap Vert, sur une bande qui s’étend de la Côte Atlantique à l’Océan Indien, à avoir jusqu’ici échappé aux cliquetis des armes des grandes guerres civiles, en excluant les menées séparatistes dans sa partie méridionale de Casamance, et n’ayant pas encore entendu les bruits de bottes des auteurs de ‘pronunciamentos’, le Sénégal pouvait encore se gausser, voici peu, d’être une exception africaine.

Qui ose encore douter qu’il ne l’est plus depuis que, le 3 février dernier, son capitaine de bord, qui n’est autre que son Chef de l’Etat sortant, Macky Sall, y a fait ce qui s’apparente à un coup d’Etat institutionnel en arrêtant brutalement le processus électoral dont le point culminant devait être la tenue d’un scrutin présidentiel le 25 février pour lui trouver un successeur parmi une vingtaine de candidatures que le Conseil constitutionnel du pays avait validées.

Ce coup de barre n’a pas que fracassé le mat de la pirogue sur des récifs qui l’ont profondément voire définitivement endommagé mais la laisse navigant vers nul ne sait où…

Le Sénégal vit les heures les plus sombres de son histoire. Si la classe politique, pouvoir comme opposition, mue par des intérêts grégaires et entretenant des relations adultérines qui la rendent difficile à déchiffrer, ou départager sur des lignes ou valeurs claires, personne ne saurait cependant se tromper sur le vrai coupable de cet imbroglio : Macky Sall !

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En prenant le pouvoir en 2012, avec l’aide tacite de son mentor et prédécesseur, Maître Abdoulaye Wade, dans une alliance impie, que peu avaient flairée, Macky Sall incarnait, à tort, l’espoir d’un renouvellement du jeu politique sénégalais. Que nenni ! Dès qu’il s’est installé sur un fauteuil présidentiel aux pouvoirs excessifs, celui dont la douteuse et débordante fortune financière suscitait des moues dubitatives n’a eu de cesse de vouloir gouverner de façon autocratique un peuple frappé au coin de la liberté dans son ADN.

Peu à peu les prisons du pays, où l’on ne relevait plus de traces de détenus politiques, commencèrent à s’en remplir jusqu’à en compter plus d’un millier. Les libertés publiques s’étiolèrent au fil de la gouvernance d’un régime progressivement intolérant. Les voix dissidentes furent contraintes au silence et à l’exil. Et, au même moment, des forces sociales ténébreuses prirent en otage le pays. Ses ressources naturelles, y compris ses découvertes d’hydrocarbures, capturées par la fratrie et le parti d’un homme qui s’était pourtant fait élire avec la promesse ferme d’une gestion sobre et vertueuse du pays. Des trafiquants plus audacieux que jamais comprendront vite que ce n’était là que propos de campagne électorale. Qui s’étonne qu’ils aient transformé le Sénégal, sous l’œil tendre et compréhensif autant de son dirigeant numéro un que de ses instances de veille ou régulation, en passoire de la drogue et de l’argent sale ?

Tant que l’illusion démocratique perdurait, le reste du monde pouvait être bluffé. Jusqu’à faire de Macky Sall un…chouchou de la communauté internationale. À tel point que du groupe le plus industrialisé au monde, le G7, à celui le plus représentatif, le G20, il n’y avait presque plus de grandes rencontres sans que sa voix y soit convoquée. Au nom de l’Afrique !

Que des dirigeants autoritaires, notamment ceux de la Chine, de la Turquie ou de la Russie, lui aient trouvé des accointances, toutes douteuses qu’elles soient, passe encore. Mais la cécité de ce qui reste de l’Occident et de ses valeurs droits-de-l’hommistes, démocratiques, est une énigme proche de la quadrature du cercle. Entre une complicité injustifiable dans ses relations avec le locataire de l’Elysée, Emmanuel Macron, sa place primordiale à un Sommet Europe-Afrique, voici deux ans jour pour jour, et lors d’une réunion similaire à la Maison Blanche, en décembre 2022, quel observateur attentif n’a pas pu penser que les pays qui portaient le flambeau de la liberté et de la démocratie y ont perdu leur âme ?

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Est-ce pour se rattraper qu’ils ont, autant que les organisations régionales africaines, dont l’Union africaine et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), réagi avec une vigueur inespérée pour flétrir ce qu’ils découvrent sur le tard ? Par une stratégie de l’appeasement, hélas suffisamment testée depuis l’année d’avant le déclenchement de la 2ème guerre mondiale pour cajoler Adolf Hitler, ils ont conforté un monstre. Le peuple sénégalais en paie les dérives. Pendant qu’une vieille démocratie, à bout de souffle, agonise. Sous les genoux d’un homme dont l’odieux visage n’échappe plus à qui que ce soit…

La question est de savoir si la communauté dite internationale se contentera de pétitions de principes concernant son coup de Jarnac. Autrement dit, s’il le laissera s’échapper, au-delà de récriminations usuelles du bout des lèvres, avec ce qui est, de toute évidence, la version civile de ces intrusions militaires dans la gouvernance des États qui font l’unanimité contre elles.

Une lueur d’espoir pointe à l’horizon avec la prise de conscience, exprimée en réprimandes verbales de Paris à Bruxelles, Washington et dans les milieux africains de tous bords, des balafres que Sall a posées sur la désormais dégradée vitrine démocratique la plus ancienne du continent.

Le peuple sénégalais, sans illusion, attend d’y voir plus clair. Il reste l’arme au pied, prêt à restaurer son narratif national aujourd’hui écorné par celui qui disait vouloir l’embellir — c’était avant qu’il ne transforme la pirogue Sénégal en Titanic en puissance.

Adama Gaye, ex-détenu politique au Sénégal, en exil, est auteur d’Otage d’un État et de Demain, la nouvelle Afrique (Éditions l’Harmattan, Paris).







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