Site icon Senexalaat

Quand Amnistie Générale Rime Avec Amnésie Collective (par Khady Gadiaga)

Quand Amnistie Générale Rime Avec Amnésie Collective (par Khady Gadiaga)

 Nous attendions fiévreusement une date. Une date qui relance la poursuite d’un processus démocratique fortement ancré dans l’imaginaire collectif des Sénégalais qui votent depuis plus d’un siècle (1847).

 

A la place, on nous sert sur la table garnie du cénacle, le banquet sulfureux d’une amnistie. Ainsi donc, la politique c’est faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était produit. Ni le conflit, ni les meurtres,  ni les préjudices, ni la rancune (ou la rancœur), ni le deuil, ni les victimes…

 

Dans les républiques démocratiques, le droit d’Amnistie est naturellement un attribut de la souveraineté populaire. Au Sénégal, le prince et ses acolytes, à la force de leur loi, voulaient être blanchis. En ce sens, nous pouvons conclure que l’Amnistie comme loi est un arrangement politique. 

 

Le raisonnement s’appuie sur l’idée chère à la morale utilitariste : « ce qui est utile à une minorité, à savoir les décideurs et leurs bras armés, milices et FDS, peut servir au bien de tous ». Notons que les religieux, à l’exception du clergé catholique, ne se sont pas opposés à cette loi qui les conforte si bien dans leur refus de sortir du confessionnalisme.

 

Ainsi les violations commises pendant les différentes insurrections survenues entre février 2021 et février 2024 ne sont pas reconnues, ce qui ferme aux victimes et aux familles de victimes l’accès de droit à la justice. 

 

L’amnistie, une innovation conceptuelle contestable dans le domaine de la justice transitionnelle

 

Certaines mesures sont certes destinées, périodiquement, à aplanir les reliefs de la vie politique des Etats et surtout à apaiser, voire à pacifier le climat de tension qui a prévalu dans les rapports entre Etats et individus ou entre individus eux-mêmes. Une appréhension critique du projet (complexe), du processus, des conséquences (involontaires ou non) de la Vérité, de la réconciliation et ses développements ultérieurs doit commencer par l’identification d’un certain nombre de contextes pertinents, mais distincts, dans le cadre desquels une évaluation est possible, parmi lesquels :

 

– l’environnement conceptuel : l’idée même d’une commission Vérité, soit un processus orienté vers la révélation au bénéfice des victimes et l’aveu d’une vérité conçus comme solution au dilemme entre poursuites pénales des responsables d’atrocités à finalité politique ou amnistie générale, est une innovation conceptuelle contestable dans le domaine de la justice transitionnelle. Mais si l’amnistie porte sur l’action judiciaire, elle est aussi un rapport politique à la mémoire de ces actes. 

 

La notion d’amnistie, quand elle leur est appliquée, fait de ces actes des crimes. Mais outre le fait qu’il est parfois difficile de reconnaître, quand on est concerné, cette valence de l’action anticonstitutionnelle violente, peut-on ainsi mettre sur le même plan et englober dans le même opprobre crime contre l’humanité et résistance à l’oppression ? 

 

Il y a là un jeu d’équivalences qui, à bien y réfléchir, laisse perplexe quant à l’analyse de la violence dans cette crise politique qui perdure depuis les évènements sanglants de mars 2021.

 

L’amnistie des uns et des autres est-elle toujours simplement une remise à zéro des compteurs de l’histoire, laquelle, pour pouvoir redémarrer du côté de la vie au lieu de s’enfermer dans le ballet mortifère de la rancœur et de la vengeance, aurait besoin de cette sagesse politique de l’amnistie ?

 

La vérité et la justice précèdent le pardon et la réconciliation 

 

Si amnistie, il doit y avoir, qu’elle se fasse dans les règles de l’art car la vérité des faits et la justice précédent tout pardon. C’est pourquoi, la Justice libérée des enjeux machiavéliques de la politique ne peut qu’exiger la vérité. Et ce, afin de pouvoir reconstruire le Sénégal au-delà du communautarisme socioculturel, en donner la parole aux sénégalais sur ce qu’ils ont vécu et sur ce qu’ils espèrent vivre. La logique de réconciliation est inséparable d’une logique de transition démocratique.

 

Même si on peut admettre que les attentes de justice des victimes ne se retrouvent pas toujours dans les réponses d’une justice punitive des coupables ou d’une justice réparatrice du lien social, il faut hélas constater que les politiques démocratiques qui visent à faire la vérité ne sont toujours pas au rendez-vous de l’histoire.

 

Quel que soit le résultat du vote des députés, à cette date charnière de ce mercredi 6 mars 2024, rappelons que l’amnistie n’est pas une affaire morale de magnanimité, mais un combat politique à mener et à gagner dans l’ouverture de nouveaux possibles politiques. 

 

L’amnistie n’est pas, dans ces cas-là, une manière de remettre les compteurs de l’histoire à zéro, mais une manière de reconquérir pour le peuple, le «  kratos » et la dignité de son combat. Et pour cela, il faut situer les responsabilités des uns et des autres, rendre justice et réparer les torts.

 

Et en ce sens, pour paraphraser Hannah Arendt, considérer le politique dans la perspective de la vérité veut dire prendre pied hors du domaine du politique. Le politique n’est plus alors lié à la Vérité, mais, me semble-t-il, à quelque chose comme « assez de vérité pour », à un « vrai » qui est un « plus vrai » parce que c’est un « meilleur », un « meilleur pour ». 

Non plus la vérité, mais de la vérité, comparative, partielle, construite et finalisée.

 

D’autres dangers s’annoncent : qui décide du « meilleur pour » et comment ? Mais l’un des grands attraits de cette autre lignée est le type d’attention performative portée au langage, à ce que Lyotard appelait « la force du faible », comme moyen d’ôter à la haine son éternité.

 

En d’autres termes, il s’agit de proposer une sorte de fiction du politique qui profilerait le visage démocratique du Sénégal de demain. Mais n’oublions pas que cette démarche est à la fois juridique, éthique et politique. On peut dire qu’elle ouvre un champ de passage qui opère la rupture d’avec le passé mortifère et engage un processus de changement invisible: la justice transitionnelle tient lieu de « Holding» et l’Amnistie, d’objet transitionnel.

 

Le Sénégal réussira-t-il à faire le deuil et à se relever de toutes épreuves affaiblissant son rayonnement ?

Khady Gadiaga, 06 mars 2024

 


Quitter la version mobile