Senexalaat - Opinions, Idées et Débats des Sénégalais
Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

Fatou Sow Sarr A Tout Whippin

« La polygamie, la monogamie, la polyandrie sont des modèles matrimoniaux déterminés par l’histoire et la culture de chaque peuple. Ces modèles sont aujourd’hui concurrencés par les mariages homosexuels. » 1.

Voilà le tweet de Professeure Fatou Sow Sarr, en réponse à une journaliste qui voulait entrer en contact avec elle pour un article au sujet de la polygamie au Sénégal.

La TL221 n’y a vu que du feu, l’acclamation à base de « réponse clinique », « citation de sociologie » entre autres expressions pour dire qu’elle a cloué le clapet à l’Occident par le truchement de la journaliste.

D’autres en revanche, plus prompts à s‘exercer à la réflexion – quoique le tweet n’en nécessitait pas tant par son absurdité à peine dissimulée – ont soulevé, heureusement pour le salut de la civilisation humaine l’ineptie que la sociologue a réussi à concentrer dans si peu de mots.

D’ailleurs, elle fait la prouesse de comparer régime matrimonial et sexualité comme si elle n’était pas au courant des homosexuels monogames, polygames… Elle est décevante à bien des égards mais l’on ne saurait guère lui reprocher son ignorance. En revanche, son génie manipulateur a été de susciter les fibres de tous les gardiens de « nos fameuses valeurs » par la mention des mariages homosexuels. Elle sait ce qu’elle fait, elle les convoque par une haine fédératrice pour esquiver les questions sur la polygamie ou devrait-on dire les problèmes de la polygamie.

Cette professeure qui ne s’embarrasse d’aucune rigueur intellectuelle ne nous donne point beaucoup de matière à débat mais on ne s’abaisserait à son niveau de laxisme, de légèreté et de vacuité intellectuelle. Elle brosse fièrement le sujet de ces régimes matrimoniaux, en fait des constructions historiques et culturelles figées, en négligeant honteusement les rapports d’inégalités, d’oppressions que peuvent charrier ces cultures qu’elle semble défendre devant l’élargissement des libertés homosexuelles.

La polygamie a été utilisée dans la société patriarcale comme moyen de domination des femmes, et pour maintenir aussi leur statut de propriété privée des hommes et d’objets interchangeables.

Venons-en au mariage traditionnel qui historiquement, était aussi un moyen de contrôler les femmes en les rendant dépendantes financièrement et affectivement de leurs maris, limitant leur autonomie, et contribuant aussi à cette perpétuation des rôles genrés, renforçant les attentes selon lesquelles les femmes doivent se consacrer exclusivement à leur mari et à leur famille. Ce qui nie toute aspiration personnelle à se définir autrement qu’à travers ces rôles préétablis par la société.

J’axe l’argumentaire sur le Sénégal, la polyandrie ? Êtes-vous sérieuse en faisant de tels raccourcis ? L’honnêteté intellectuelle aurait dû vous interdire de la mentionner à cause de sa rareté actuelle, et même à supposer que ce système soit répandu, vous ne pouvez ignorer les inégalités de pouvoir dans un monde capitaliste où les hommes exerceraient un contrôle autant sur les ressources du ménage que sur la femme.

Qu’entendez-vous par le fait qu’il y aurait une concurrence entre le mariage homosexuel et ces régimes matrimoniaux ? La question étant située au Sénégal, en quoi dans un pays où l’homosexualité est criminalisée, des cadavres déterrés, trainés en dehors des cimetières et brûlés dans un feu de joie, car uniquement soupçonnés d’homosexualité, cette sexualité concurrence-t-elle ces régimes matrimoniaux ? Comment dans un pays où des personnes sont lynchées et menacées de viol punitif car soupçonnées d’être homosexuelles, osez-vous tenir ce discours fallacieux avec ce mépris et cette condescendance ?

Mais encore, le mariage homosexuel étant criminalisé au Sénégal, devons-nous comprendre que vous faites une comparaison entre l’Afrique (ici le Sénégal) et l’Occident ? Car la suite de vos tweets le suggère « Ma pensée profondément est que l’occident n’a aucune légitimité pour juger nos cultures. » 2 Il est très déstabilisant de vous voir tenir ce discours aliéné quand dans vos propres écrits vous soutenez mordicus que le système patriarcal, dont la polygamie est importée par les religions chrétiennes et musulmanes. Dissimuler l’homosexualité en Afrique a été une posture adoptée par les anthropologues occidentaux : « Dans la préface de leur livre « Boy – Wives and Female Husbands. Studies of African Homosexualities », Murray et Roscoe rappellent ainsi que les historiens et anthropologues occidentaux occultèrent longtemps la présence de pratiques homosexuelles en Afrique, nourrissant ainsi, explicitement ou implicitement, l’idée que ces dernières furent importées dans ces régions par des non-Africains (Arabes, Européens). »3

Peut-être qu’il est temps de décoloniser vos recherches, non ? Ok. Comme vous voulez glisser sur le terrain populiste, la rigueur intellectuelle qui vous sied voudrait que vous incluiez aussi dans « nos cultures » l’homosexualité, qu’importe la lecture binaire (qui encore une fois est une influence occidentale que vous fustigez) ou non binaire que l’on pourrait en faire (l’historicité du terme « goor-djigenn » homme-femme dans la langue wolof pratiquement non genrée mérite une prise de connaissance de votre part).

Et encore une fois, quel est le lien entre la question posée par cette journaliste et votre réponse qui emmène l’homosexualité sur la table ? La paresse voudrait que l’on vous étiquette homophobe sans plus. Mais nous n’en restons pas là. Cette démarche de ramener l’homosexualité toujours dans le débat pour alimenter l’actualité 4, dans ce contexte est une panique, servant de prétexte pour taire une autre panique. L’ironie (très amère) est que cela vienne d’une féministe.

Ici vous trouvez un bouc émissaire sexuel pour faire diversion sur un autre sujet qui va venir sur la scène internationale, à savoir le statut polygame de notre nouveau président. Vous ne pouvez esquiver ce phénomène. Pour citer vos propres mots : « Aujourd’hui, il y a un contexte où toucher à l’homosexualité prend une tournure particulière dans ce pays », des propos tenus après le sacre de l’écrivain Mouhamed Mbougar Sarr au Goncourt, où nous avons tous assisté à une vague d’homophobie. Dois-je continuer ?

En effet, c’est une posture adoptée dans les différentes vagues homophobes au Sénégal : « Une différence frappante (en comparaison avec le Cameroun par exemple) est qu’en dépit de la criminalisation de l’homosexualité dans la loi sénégalaise, le gouvernement du pays est intervenu contre des violences homophobes [38]. La notion de cultural anger (colère culturelle) développée par Gilbert Herdt [39] permet de mieux comprendre le cas sénégalais.

Dans l’introduction de son livre sur les « paniques sexuelles », l’auteur identifie le mécanisme par lequel une panique en engendre une autre : « C’est ce processus général que je désigne par le terme de colère culturelle la coalition de différentes émotions, relevant de domaines et arènes d’action dispersés, dans le but d’unir des individus et des groupes dans la poursuite politique d’un ennemi commun ou d’un bouc émissaire sexuel [40] » ».5

Je vous renvoie à cet article susmentionné qui expose aussi « une opposition radicale entre une Afrique homophobe et un occident tolérant »6, une posture qui à ma grande surprise n’est pas nouvelle dans vos prises de paroles, alors que l’homophobie est loin d’être spécifique à l’Afrique, de même que l’homosexualité ne l’est à l’Occident. Rien de mieux que les ressentiments post-coloniaux.

Cette question de la polygamie arrive à point nommé au Sénégal, notre nouveau président est polygame. Rien que par son existence et son statut actuel, il est un symbole d’encouragement pour tous les hommes musulmans et les hommes chrétiens qui souhaitent même dans la plaisanterie qu’on élargisse les droits de disposer de plusieurs femmes. Le droit et le décret divin de trahir une compagne sous des prétextes perfides. Encore une fois, la religion reste brandie, c’est le totem d’immunité contre toutes critiques (blasphèmes diraient-ils) pour encourager les femmes dans l’obéissance servile parce que le paradis (l’ultime blague) est entre les mains de leur mari… La polygamie rappelons-le n’est en aucun cas une obligation ni un devoir dans le coran.

La polygamie demeure la menace au fond de la gorge de tous les hommes sénégalais. Ils n’ont guère besoin de la prononcer. Les femmes, elles savent tout de même qu’elle est là, omniprésente prête à bondir de son trou pour construire à jamais un monstre entre elles et leur estime de soi, entre elles et leur quiétude intérieure que donne l’assurance de savoir l’être aimé à soi uniquement.

L’actualité aujourd’hui devrait être l’impact d’avoir un homme polygame au pouvoir sur la société. Le débat est en train d’être évité. Faites mieux, madame.

Sokhna Maguette Sidibé est féministe radicale.

Amina Grace est féministe radicale.

Notes :

*Définition du terme « Whippin » : On dit que quelqu’un a tout Whippin signifie qu’il mélange tout

1 « La polygamie, la monogamie, la polyandrie sont des modèles matrimoniaux déterminés par l’histoire et la culture de chaque peuple. Ces modèles sont aujourd’hui concurrencés par les mariages homosexuels. » @FatouSowSarr1, Twitter (nouvellement X), 26/03/2024

Le tweet auquel elle répond : « @FatouSowSarr1 Bonjour Madame, je suis journaliste pour @CausetteLeMag et souhaiterais vous joindre pour un article au sujet de la polygamie au Sénégal. Vous serait-il possible de me suivre afin que je puisse vous écrire en MP ? Un grand merci par avance » @AnnaCuxac, Twitter (nouvellement X), 26/03/2024

2 « Ma pensée profondément est que l’occident n’a aucune légitimité pour juger de nos cultures. » @FatouSowSarr1, Twitter (nouvellement X), 26/03/2024

3 Aminata Cécile Mbaye « Les discours sur l’homosexualité au Sénégal. L’analyse d’une lutte représentationnelle », Thèse de doctorat, sous la direction de Dr. Ute FENDLER, Université de Bayreuth, 2016, P.16.

4 Aminata Cécile Mbaye « Les discours sur l’homosexualité au Sénégal. L’analyse d’une lutte représentationnelle », Thèse de doctorat, sous la direction de Dr. Ute FENDLER, Université de Bayreuth, 2016, Chapitre 3 : « L’homosexualité au Sénégal : la création d’une actualité »

5 Awondo, P., Geschiere, P. & Reid, G. (2013). Une Afrique homophobe : Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud. Raisons politiques, 49, 95-118. https://doi.org/10.3917/rai.049.0095

6 Awondo, P., Geschiere, P. & Reid, G. (2013). Une Afrique homophobe : Sur quelques trajectoires de politisation de l’homosexualité : Cameroun, Ouganda, Sénégal et Afrique du Sud. Raisons politiques, 49, 95-118. https://doi.org/10.3917/rai.049.0095







Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *