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Lettre À Mahammed Boun Abdallah Dionne

Mon cher frère et ami,

Je m’adresse à toi avec une émotion si profonde que mes mots peinent à exprimer. Je suis là, face à ma feuille blanche, prête à te livrer ces lignes, pour te rendre hommage, pour témoigner de l’homme exceptionnel que tu étais.

Aujourd’hui, les larmes brouillent ma vue alors que je trempe ma plume dans l’encre. C’est un exercice difficile, mais nécessaire. J’ai tant de choses à te dire, à toi en premier lieu. Nous avons échangé tant de mots, mais aujourd’hui, je veux te parler de toi. De toi, l’homme, l’ami, le mari, le compagnon, le bon talibé… Que ceux qui liront ces mots sachent quel homme tu étais.

Je me souviens encore de ces moments où tu illuminais nos vies de ta présence. Ma dernière visite sur la terrasse de ton appartement, où tu imitais avec esprit la posture d’un homme politique, reste gravée dans ma mémoire. Cette image, si joyeuse, contraste avec la douleur de ton absence.

Mais aujourd’hui, le rire est absent. Dans le futur, lorsque la douleur s’atténuera, je pourrai mieux évoquer ta personne. Le temps, ce compagnon impitoyable, apaisera peut-être cette douleur, mais jamais nos souvenirs.

Je me souviens de nos débuts, alors que tu étais déjà un cadre brillant à IBM et moi une étudiante à Paris. Ces jours insouciants où je venais te rendre visite à ton bureau pour déjeuner avec toi restent gravés dans mon esprit. Je me souviens de nos vacances à Dakar, de nos sorties dans les salons de thé, à Gentina et Bruxelles…Nous étions jeunes, beaux, même si la vie avait déjà laissé ses marques sur toi.

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Tu te souviens sûrement, de là où tu es, de ce petit livret de Coran que tu m’avais offert. Tu l’avais tiré de la poche de ton boubou en bazin. Lorsque je t’ai demandé pourquoi tu en avais autant dans tes poches, tu les as tous sortis et posés sur la table. Avec un sourire, tu m’as lancé : »Ma sœur, la protection ne suffit pas à contrer tous les missiles ! »

C’était une tranche de vie !

Tu vois, Mahammed, dans cette vie effrénée, nous avons perdu l’habitude de nous écrire, de nous dire les choses essentielles. Pris dans le tourbillon du quotidien, nous oublions souvent de dire à ceux que nous aimons combien nous les aimons.

Il y a quelques jours, alors que tu étais en pleine campagne électorale à Gossas, je t’ai appelé.

J’avais entendu à la télévision qu’il faisait une chaleur insupportable là-bas. Tu m’as rassuré, m’envoyant ton programme de campagne et me disant que tu étais en pleine forme.

Je savais bien que tu étais épuisé par la rudesse du climat et le rythme de la campagne. Mais quand on aime quelqu’un, on le laisse faire ce qui le rend heureux, même si cela peut lui nuire.

L’amour et l’amitié vraie ont deux règles : l’une insiste, l’autre respecte et se plie.

Il y a des choses que l’on dit et des choses que l’on vit.

Comment raconter, comment vivre…

Lorsque j’ai reçu ce coup de fil, ce vendredi 5 avril 2024, une partie de moi s’est effondrée.

Mon interlocuteur, connaissant notre lien fraternel, m’a demandé de vérifier l’information avec tact.

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Mon cœur s’est serré, comme si une partie de ma vie disparaissait devant moi. Une intuition m’a envahie, confirmant l’inconfirmable.

Ce vendredi 5 avril 2024, restera gravé à jamais dans ma mémoire. Les vendredis sont censés être saints, mais pour moi, celui-là restera marqué par la perte d’un être cher. Ton vendredi fut saint, le dernier du Ramadan, le vendredi de la nuit de l’Haylatoul Khadr… Les portes du paradis s’étaient ouvertes pour toi.

C’est le début d’une longue période d’acceptation, d’absence et de deuil. Peut-être que ces vers de Birago Diop apaiseront nos cœurs, peut-être pas, mais je les dis quand même.

Souffles

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :

Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire

Et dans l’ombre qui s’épaissit.

Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit, Ils sont dans le Bois qui gémit, Ils sont dans l’Eau qui coule,

Ils sont dans lEau qui dort,

Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule :

Les morts ne sont pas morts….

Il redit chaque jour le Pacte, le grand Pacte qui lie,

Qui lie à la Loi notre Sort, Aux Actes des Souffles plus forts

Le Sort de nos morts qui ne sont pas morts,

Le lourd Pacte qui nous lie à la Vie.

La lourde loi qui nous lie aux Actes

Des Souffles qui se meurent

Dans le lit et sur les rives du Fleuve, Des Souffles qui se meuvent

Dans le Rocher qui geint et dans l’Herbe qui pleure.

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Tu vois mon cher frère, je n’avais pas la force de t’écrire aujourd’hui mais le pacte de quarante ans qui nous lie est si fort que je ne pouvais pas me dérober devant la violence de la nouvelle pour t’adresser ces premiers mots. C’est un exercice difficile, je n’arrive pas toujours à le faire par lâcheté à chaque fois que la mort frappe mes proches de peur de remuer le couteau dans la plaie de ma souffrance. Il me faudrait un livre entier pour parler de toi.

Repose en paix au paradis cher frère et ami

Oumou Wane est présidente Citizen Media Group-africa7.







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