Dans le Code électoral du Sénégal, à la section deux, vingt articles sont consacrés à la CENA. Ces articles définissent la création de l’organe de contrôle et de supervision, sa composition, ses missions et ses attributions. Du point de vue des textes, on se rend compte que les recommandations de la commission cellulaire ont été largement prises en compte et la loi électorale confère à la CENA des pouvoirs réels en matière de contrôle et de supervision du processus électoral. Elle est obligatoirement présente du moins théoriquement à tous les niveaux de conception, d’organisation, de prise de décision et d’exécution depuis l’inscription sur les listes électorales jusqu’à la proclamation provisoire des résultats. (Article L.6 du code électoral).
Mais comme on l’a vu plus haut ceci n’est pas toujours le cas ; la CENA est mise devant le fait accompli ou tenue à l’écart par l’administration dans bien des cas dont nous pouvons citer quelques-uns :
– Processus de passation du marché des cartes nationales biométriques CEDEAO
– Edition des cartes d’électeurs pendant la refonte partielle de 2017
L’article 4 du code électoral attribue à la CENA la personnalité juridique et l’autonomie financière. A ce titre, selon l’article 21, elle élabore son budget en rapport avec les services techniques compétents de l’Etat et l’exécute conformément aux règles de la comptabilité publique.
Les crédits nécessaires au fonctionnement et à l’accomplissement des missions de la CENA et de ses démembrements, font l’objet d’une inscription autonome dans le budget général. Ils sont autorisés dans le cadre de la loi des finances. Les crédits correspondants sont à la disposition de la CENA dès le début de l’année financière. La CENA est dotée d’un ordonnateur de crédit en la personne de son président et d’un comptable public nommé par le Ministre des Finances.
En violation de cette disposition, les crédits alloués à la CENA ont migré vers le budget du Ministère de l’Intérieur
Concernant, la nomination des membres de la CENA, aucune consultation n’est menée avec les institutions, associations ou organismes tel que précisé dans l’article 7. Les nominations et remplacements se font directement par le Président de la République.
Du point de vue des textes, le modèle institutionnel de gestion des élections est globalement bon avec un organe de gestion des élections mixte composé d’un ministère de l’intérieur qui organise les élections s’appuyant sur une administration électorale expérimentée et rompue à la tâche et une Commission Electorale Nationale Autonome avec des pouvoirs réels.
Mais que valent des pouvoirs renforcés et une indépendance vis-à-vis du pouvoir si on décide de ne pas les assumer pleinement ?
Comme on peut le constater, ce qui pose problème, ce n’est pas la CENA en tant que tel, mais ce sont le mode de nomination des membres, et l’exercice intégral des pouvoirs et attributs conférés par la loi. Ainsi des réformes s’imposent-elles après 20 années d’existence dans le contrôle et la supervision du processus électoral. Ceci passe par une évaluation sans complaisance de la CENA tant dans ses missions que dans ses attributs. L’article L.11 du Code électoral consacre dèjà 20 attributs à la CENA.
A notre humble avis, il ne s’agit pas de remplacer la CENA par une CENI dont des exemples foisonnent en termes de d’échec à l’épreuve des élections du fait des blocages et difficultés d’organisation survenues et qui ont conduit dans bien des cas à leur réforme.
Nous pensons que l’administration du fait des expériences capitalisées au fil de longues années de pratique est incontournable dans la réussite des élections au Sénégal pourvu que l’autorité politique en charge des élections soit suffisamment neutre et impartiale ou que la Direction générale des élections soit érigée en Délégation générale avec une autonomie fonctionnelle vis-à-vis du ministère de l’intérieur. Il faut signaler que pour les trois alternances que le Sénégal a connues, nous avons eu à la tête du ministère de l’intérieur des personnalités neutres, Feu Général Lamine CISSE, l’Inspecteur général d’Etat Cheick GUEYE et l’Inspecteur général d’Etat Makhetar CISSE.
La mission exploratoire de l’Union européenne effectué en 2011 en prélude à l’audit du fichier électoral, dans son rapport de synthèse de l’atelier multi-acteurs tenu le 20 mai 2010 au Novotel de Dakar, concernant le cadre légal, a abordé la question relative aux organes de gestion des élections, notamment, le cas de la CENA. Il est rappelé à la page 5 du rapport que la CENA a fait l’objet, au moment de sa création, d’un large consensus, la loi l’ayant créée ayant été adoptée à l’unanimité. Cependant les pouvoirs de la CENA ne se déploient pas, aux yeux de certains, avec toute l’amplitude souhaitable, et les pouvoirs que lui confèrent la loi ne semblent pas « acceptés » ou « intériorisés » par tous les acteurs du processus électoral.
A ce stade, toujours selon le rapport de la mission de l’UE, une proposition a été faite, qui consisterait à une mise à niveau technique de la CENA, un déphasage existant entre les pouvoirs et compétences de l’institution d’une part, et les moyens techniques dont elle est dotée d’autre part ; il est nécessaire que la CENA soit outillée, au plan matériel, pour assumer pleinement des pouvoirs dont elle n’a pas aujourd’hui les moyens.
Enfin dans le rapport final sur l’observation de l’élection présidentielle et des élections législatives de 2012, des recommandations ont été faites concernant la CENA.
Parmi ces recommandations, on peut noter celles-ci :
– Constitutionnaliser la CENA et limiter le pouvoir de nomination discrétionnaire de l’ensemble de ses membres dévolus au Président de la république
– Charger la CENA d’arrêter la liste provisoire des candidats à l’élection présidentielle ;
– Procéder à un renouvellement générationnel progressif des membres de la CENA et de ses démembrements, tenant compte du genre ; – Inclure parmi ses membres un expert ayant un profil de démographe ou de statisticien électoral
Pour ma part, je propose les recommandations suivantes :
• Intégrer les partis politiques dans la CENA suivant un mode de représentation qui tient compte des regroupements de partis en pôle mais sans possibilité de participer aux délibérations, ni aux votes ;
• Nomination de tous les membres statutaires sur la base de propositions émanant des institutions à raison de trois par institution (professions libérales, ordre des avocats, universitaires et administrateurs civils à la retraite, organisations de la société civile) ;
• Porter le mandat des membres à cinq (05) ans renouvelable une seule fois ;
• Renouvellement de moitié des membres à l’expiration du chaque mandat ;
• Confier la gestion du fichier électoral à la CENA ainsi que la production des cartes d’électeurs ainsi que leur distribution sur la base d’un système d’information électronique de l’électeur dès la production de sa carte et revenir à la situation antérieure qui sépare la carte d’identité et la carte d’électeur ou figurera la photo du titulaire.
• Confier le contrôle du parrainage à la CENA ainsi que le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle et leur validation par la Cour constitutionnelle.
Pour sa part, le Ministère de l’Intérieur par le biais de l’administration électorale, s’occupera de l’organisation matérielle des élections avec les tâches suivantes :
• Gestion et production du fichier des cartes nationales d’identité
• Réception des candidatures aux élections législatives et locales
• Impression des bulletins de vote et éclatement du matériel électoral
• Sécurisation des lieux et bureaux de vote
• Ramassage et transmission des procès-verbaux en collaboration avec la CENA
De telles propositions non exhaustives constituent des axes de réflexion qui sont certainement à améliorer afin que nous ayons des élections transparentes, sincères et crédibles car notre système électoral, dans ses fondamentaux, reste l’un des meilleurs en Afrique. Notre principal problème a été et demeure la récurrence des contestations sur le fichier électoral, la suspicion autour de la problématique de la production/distribution des cartes d’électeur, de l’établissement et de la publication de la carte électorale et depuis 2019 les modalités de collecte et de contrôle du parrainage citoyen.