En tant qu’observateur de la scène politique et du paysage médiatique, il m’a été donné de constater que la variable «qualité de vie» revient comme rengaine dans la plupart des discours, communiqués et textes sinon des journalistes, du moins des acteurs chargés de la définition des politiques publiques. A l’analyse, il s’avère que la compréhension de l’acception de cet indicateur est d’une importance on ne peut plus cruciale pour la gouverne des décideurs et partant, des populations organisées à la base. En effet, une réflexion sur la variable ne serait pas pertinente si une revue de la littérature mettant le focus sur son caractère multidimensionnel – au moins un millier de définitions- et polysémique, n’était pas dressée (Cella, 2007). Mais pour les besoins de la présente étude, nous avons fait nôtre celle de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), qui semblerait faire plus ou moins l’unanimité au sein de la communauté scientifique parce qu’étant une définition holistique et matricielle : «La qualité de vie est la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes et inquiétudes. C’est un concept très large, influencé de manière complexe par la santé physique du sujet, son état psychologique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ainsi que sa relation aux éléments essentiels de son environnement.» (Noémi, 2014, p.29). Son caractère multidimensionnel et ses origines anglo-saxonnes ont été corroborés par plusieurs auteurs qui se sont aussi penchés sur les techniques relatives à sa mesure (Gnangba, 2014).
Par ailleurs, il urge de signaler qu’il n’est pas facile d’analyser la qualité de vie et par conséquent, il semble plus difficile de la définir clairement et de manière précise pour aboutir à une approbation scientifique universelle. Toutefois, des études sont toujours menées autour du concept afin de le comprendre d’abord et ensuite, d’en dégager les grandes dimensions étayées par la formulation de théories. Dans cette perspective, les différentes théories sur la qualité de vie peuvent être classées en plusieurs modèles pour faciliter l’analyse et la compréhension, vu son caractère multidimensionnel et multisectoriel (Bacro et Florin, 2014).
Le premier modèle qui correspond à l’approche écologique (Me) est un modèle systémique mettant en jeu plusieurs acteurs et domaines. Il ajuste les besoins et les ressources de l’individu, mais aussi et surtout évalue l’écart entre les niveaux de satisfaction et ses attentes (Gnangba, 2014). Aussi, la mise en relation entre les dimensions psychologique, environnementale et socioculturelle et la qualité de vie, doit être de rigueur dans l’optique de la description du bien-être des individus. Toujours dans une perspective individualiste, la qualité de vie évalue le niveau de réalisation des projets ou de satisfaction des besoins tant physiques que médico-biologiques, psychosociaux et socioéconomiques de base (Duffour, (2013). Les différents besoins et préoccupations, au sens «maslowien» du terme, sont satisfaits au travers des ressources diverses de l’environnement physique ou social. Sur ce, la qualité de vie pourrait être assimilée à l’échelle à partir de laquelle l’écosystème possède les moyens indispensables à la satisfaction des besoins (Bacro et Florin, 2014). Objectivement, le niveau de qualité de vie se mesure de manière normative, relativement aux standards axés sur les ressources nécessaires ou les besoins ressentis. Les éléments structurels de base d’un écosystème social permettent de cerner les logiques humaines devant être décrites et les données factuelles servant d’indicateurs sociaux. Ces derniers peuvent efficacement analyser ou évaluer les conditions de vie ou le profil sociodémographique des individus (environnement familial ou distal), les capacités de réponse de l’écosystème (environnement physique, construit socioculturel ou psychologique) ou le tissu relationnel entre les usagers et les ressources de l’environnement (satisfaction des besoins par l’environnement). Ces indicateurs peuvent, enfin, provenir d’aspects objectifs et/ou subjectifs dans le cadre de l’évaluation de la qualité de vie à l’aune d’un écosystème donné (Cella, 2007)
Le deuxième modèle repose sur une théorie de la qualité de vie centrée sur les rôles. En effet, la qualité de vie d’un individu est tributaire de deux éléments principalement : le pressentiment de bonheur (satisfaire les besoins) et la remise en cause perpétuelle de ses connaissances et compétences. Le pouvoir d’agir permet l’élaboration de stratégies et mécanismes susceptibles d’assurer la satisfaction des besoins grâce aux efforts déployés pour la disponibilité des ressources nécessaires. La pyramide des besoins classifie les différents besoins que peut ressentir un individu pour faciliter leurs satisfactions. Ainsi, les besoins élémentaires (survie et sécurité) et les besoins secondaires (appartenance, estime, réalisation de soi) sont corrélés aux capacités de réponse de l’écosystème en termes de moyens matériels (alimentation, hébergement, etc.) et sociaux (groupe des pairs, famille nucléaire, environnement de travail, couple, mouvements associatifs, etc.) (Maslow, 1954). Toutefois, les potentialités environnementales ne suffisent pas souvent à satisfaire correctement les besoins des individus, il faut indubitablement qu’elles soient associées à des exigences de performance. Qui plus est, le citoyen a le devoir de satisfaire aux sollicitations de la communauté à l’aune de ses capacités intellectuelles, socioaffectives, psychologiques et sensorielles. Dès lors que la personne obtient une satisfaction avérée par rapport à ses attentes et parvient à la réalisation de ses habitudes de vie (atteinte de performance) relativement à l’accomplissement de ses rôles sociaux, on en déduit une certaine adaptation à son environnement et par conséquent, la jouissance d’une bonne qualité de vie, à son profit (Gnangba, 2014).
Le troisième modèle s’appuie sur le postulat de base selon lequel la qualité de vie d’une personne est intrinsèque aux différents événements qui la marquent. Autrement dit, il fait référence à l’impact psychologique (affection et cognition) exercé par les évènements sur sa qualité de vie (Gnangba, 2014). Sur ce, suivant le mode de survenance de ces évènements (volontaires ou involontaires), le principe du contrôle des actes cognitifs, rationnels, endogènes ou exogènes soutenant la motivation dans l’accomplissement de certaines actions, revêt un caractère incontournable. Les individus réalisent des chefs-d’œuvre parce qu’ils sont animés par la passion d’agir et la liberté de choisir la nature et le domaine de leur intervention. Cet état de fait produit des effets sur la manière dont ils analysent leur qualité de vie. Le ressenti mélioratif serait tributaire des événements contrôlés et maîtrisés impeccablement. Cela est d’autant plus pertinent que les efforts consentis par la personne (bien portante ou vulnérable) dans le cadre de la réalisation de ses habitudes de vie, ont un impact notoire sur sa qualité de vie, d’où l’importance de leur évaluation permanente pour s’assurer de leur effectivité (Florin et Guimard, 2017). Ainsi, les habitudes de vie s’analysent à travers un filtre de causalité relativement à un triptyque processuel : évènement, activités et dénouement. De manière explicite, la fonction des événements dans l’amélioration de la qualité de vie est modélisée comme un processus évaluatif composé de trois dimensions principalement : les pressions exercées par l’environnement (exigences) et la personne elle-même (désirs) ; la réponse face à l’évènement et enfin, le ressenti de la personne satisfaite/insatisfaite par rapport aux réponses données (Noémi, 2014 ; Cella, 2007).
Le quatrième modèle met en exergue la relation existante entre le bien-être ressenti par la personne (bien portante ou vulnérable), les variables issues du mouvement des indicateurs sociaux et des variables étudiées en psychologie (Collignon, 2004). Au demeurant, il s’avère que les relations que des individus entretiennent avec leur environnement social impactent indubitablement quelques facteurs psychosociaux, qui créent à leur tour des situations endogènes de dépression et d’anxiété préjudiciables au sentiment de bien-être (physique ou somatique, psychique ou mental et social) et de bonheur. Les aspects saillants de ce modèle se présentent comme ci-après : cinq variables psychosociales (situation stressante, maîtrise de soi, regard de l’autre, support social et performance), deux variables psychologiques (situation dépressive et état anxieux) et les différentes modalités évaluatives de la qualité de vie (Bacro et Florin, 2014). Systémiquement, les situations stressantes, la maîtrise de soi, l’assistance sociale et le pouvoir d’agir exercent une influence sur les situations anxieuses et dépressives de la personne. In fine, les situations stressantes et dépressives exercent une chape de plomb sur la qualité de vie des personnes à travers la mauvaise perception qu’elles induisent (Gnangba, 2014). D’où la pertinence de l’évaluation interne du pouvoir d’agir et de l’appui social (psychosocial) qui sont deux variables intrinsèquement corrélées aux perceptions mélioratives de la qualité de vie. Au demeurant, les interactions entre, d’une part le ressenti mélioratif et l’évaluation interne, et d’autre part l’appui social et le pouvoir d’agir, sont plus marquées que les interactions entre ces mêmes variables et le ressenti péjoratif. Sur ce, quand les personnes décident de connaître le niveau de jouissance de leur vécu, elles se focalisent sur les éléments mélioratifs de bien-être, soit l’évaluation interne ou l’appui social. A contrario, si elles décident de connaître le niveau de ressenti de leur choc émotif, elles mettent le focus sur les éléments péjoratifs liés au bien-être comme les situations stressantes et l’évaluation externe.
Enfin, le cinquième modèle, synonyme d’une approche centrée sur les facteurs qualitatifs, détermine les facteurs objectifs influençant les perceptions individuelles de la qualité de vie. Pour ce faire, deux sortes d’analyses sont menées : analyses objective et subjective (Duffour, 2013). La première consiste à identifier des interactions entre des indicateurs sociodémographiques et les écarts existants dans l’évaluation de la qualité de vie relativement à des enquêtes grandeur nature (méthode quantitative). La seconde tend à corréler les conditions subjectives de vie aux ressentis de la qualité de vie (méthode qualitative). Sur ce, il est avéré que les facteurs sociodémographiques et économiques constituent des déterminants primordiaux dans le contrôle et le suivi de la qualité de vie (Cella, 2007). Ainsi, de par l’observation, on pourrait affirmer sans ambages que les nations les plus développées sont aussi celles qui sont les plus heureuses (Noémi, 2014).
Tout compte fait, de par sa complexité et sa nature multifactorielle, la qualité de vie n’est pas sans poser de problèmes lorsqu’il s’agit de procéder à son évaluation. Issue du mouvement des indicateurs sociaux, la mesure de la qualité de vie a d’abord été fondée sur des indices objectifs, généralement statistiques (Duffour, 2013). Par la suite, l’élaboration de modèles théoriques soulignant l’importance des éléments cognitifs et affectifs dans la perception de la qualité vie a ouvert la voie au développement d’une série de mesures qui tiennent davantage compte du point de vue de la personne elle-même (dimension subjective) (Collignon, 2004).
L’utilisation des mesures quantitatives repose sur la conviction que la qualité de vie réside dans les circonstances objectives de la vie. Ces mesures décrivent les conditions de l’environnement physique et humain qui peuvent influencer l’expérience de la vie, mais elles n’évaluent pas cette expérience directement. Les mesures subjectives, par contre, ne peuvent posséder la même précision que les indicateurs qui sont exprimés en nombre de dollars, en unités de temps ou en mètres carrés, mais elles ont le grand avantage de s’adresser directement au sentiment de bien-être de l’individu. La notion de qualité de vie exerce un pouvoir d’attraction peu commun, à l’heure actuelle, dans le discours scientifique aussi bien qu’administratif (Florin et Guimard, 2017). Les politiques de services font fréquemment référence au maintien ou à l’amélioration de la qualité de vie des usagers. Au plan scientifique, les recherches se multiplient autour de ce concept. Cet enthousiasme apparaît significatif pour l’ouverture à de nouvelles perspectives en recherche psychosociale. Avec la qualité de vie, voilà que l’on s’intéresse au bonheur et au bien-être, alors que la tradition scientifique se réclame davantage de problématiques sociales liées aux difficultés, aux déficiences, au malheur en général. Plusieurs auteurs posent d’ailleurs la question de savoir si on peut formaliser le «bonheur» au même titre que le «malheur». La littérature récente démontre qu’il est possible de développer un champ de connaissances en ce domaine et que ces connaissances peuvent contribuer à la compréhension des problématiques et à l’organisation des services (Noémi, 2014).
(Extrait de la thèse de doctorat portant sur «Analyse de l’impact des politiques publiques d’action sociale sur la qualité de vie des personnes handicapées du département de Bignona», 2024)