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L’holocauste Des Palestinien.n.e.s, La Barbarie Occidentale Et Son Avatar Israélien

L’objectif de ce texte est de montrer qu’au moins depuis 1492, année de la prétendue «découverte» de l’Amérique par l’Europe blanche, de l’expulsion des Juifs et des Arabes d’Espagne, du début de la domination et de l’extermination de l’humanité non européenne, l’Occident a, de façon invariable, promu et exercé un barbarisme extra-européen à chaque fois qu’il a été amené à rencontrer des humains qui, d’après ses propres canons, n’en étaient pas véritablement parce que non­­­Blanc.he.s. On m’objectera à juste raison : quel rapport avec l’holocauste en cours en Palestine perpétré par un Peuple qui fut lui-même une très grande victime de la barbarie occidentale ? Si a priori l’évocation de la nature intrinsèquement barbare de l’Occident semble sans rapport avec l’holocauste des Palesti-nien.n.e.s, un examen attentif de son mode de déploiement et de ses différentes formes d’adaptation montre qu’il en est tout autrement.

Depuis 1492, l’ordre du monde est rythmé par une domination occidentale privilégiant les Blan-c.he.s comme personnes à part entière et réduisant les non-Blanc.he.s au statut de sous-humain.e.s, voire de non-humain.e.s. Sur le plan moral, le fondement de ce système de domination occidentale consacrant, selon l’expression de Charles Mills, la suprématie blanche sur tous les autres peuples est à trouver dans cette sorte de conscience morale et politique à double standard des agents moraux blancs, selon laquelle tou.t.e.s les humain.e.s ne se valent pas. C’est cette conscience morale à double standard qui a été transposée aujourd’hui de façon décomplexée dans le cadre de l’extermination des Palestinien.n.e.s par les Israélien.ne.s. Par exemple, pour Israël et ses soutiens occidentaux, la liberté d’un.e. otage palestinien.ne ne vaut pas celle d’un.e otage israélien.ne. Et la vie d’un.e Palestinien.ne ne vaut pas non plus celle d’un.e Israélien.ne. Fondant leurs actions et pratiques sur une sorte de «contrat racial», pour parler comme Charles Mills, et qui privilégierait les Blanc.he.s et les Juifs blanchis en échange d’une absolution de l’Europe de sa responsabilité dans l’Holocauste des Juifs, l’Occident d’abord, puis Israël européanisé se sont criminellement attribué le droit de perpétrer sur des non-Blanc.he.s des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Ce droit criminel, qui était détenu exclusivement par l’Occident depuis 1492, a été étendu en 1948 à Israël, à l’occasion de sa création marquée par l’une des réécritures les plus significatives du «Contrat racial». Bref, pour se racheter de l’Holocauste des Juifs commis non pas dans des contrées extra-européennes et sur d’autres peuples comme les précédents holocaustes, mais sur des citoyen.ne.s européens même s’ils étaient traités en inférieurs, l’Occident a tout simplement passé un marché tacite mais cynique avec Israël, qu’il a européanisé et dont il a blanchi les citoyens.ne.s. Devenu ainsi membre à part entière du camp des barbares et profitant de l’extension du «contrat racial» aux Juifs devenus ainsi des Blanc.he.s naturellement privilégiés, Israël acquit le droit criminel de commettre des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur des Palestinien.n.e.s réduit.e.s à l’état de Peuple colonisé. Mais pour prouver le lien entre l’holocauste des Palestinien.e.s par Israël et ceux de 1492 à 1948 par l’Occident, faisons un détour historique par les grands moments de la barbarie extra-européenne sur les peuples non européens. 1492 est, avons-nous rappelé, le point de départ historique de la barbarie extra-européenne sur les peuples non blancs. Fondée, comme l’écrit à juste raison Susan Opotow dans Moral, Exclusion and injustice, sur une moralité de l’exclusion où certains individus ou groupes sont perçus comme étant à l’extérieur des limites dans lesquelles les valeurs morales, les règles et les considérations d’équité sont appliquées, l’idée clairement eurocentriste et fausse d’une «découverte de l’Amérique» par l’Europe ne pouvait donner lieu dans son incarnation historico-politique qu’aux pires génocides et holocaustes sur les populations non européennes trouvées ou transportées sur place. Réduite, conformément à la conscience morale et politique à double standard des agents moraux blancs, au statut de sous-personnes, la population autochtone des Amériques allait être massacrée par les envahisseurs blancs à 95%. Le nombre de victimes de ce premier et plus grand holocauste (cf. David Stannard, American Holocaust) de l’histoire de la barbarie occidentale extra-européenne est estimé par certains à près de cent (100) millions de victimes. Après avoir complètement décimé la population autochtone des Amériques, l’Occident barbare institua la traite transatlantique en esclavagisant des Africain.e.s déporté.e.s de leur terre natale à destination de l’Amérique où des Blanc.he.s naturellement privilégié.e.s avaient besoin d’esclaves à leur service. Le bilan de l’esclavagisation des Africain.e.s, qui peut être considéré comme un holocauste au ralenti comparé à celui dont les populations autochtones d’Amérique avaient été préalablement victimes, est estimé entre trente (30) et soixante (60) millions de victimes. A ces deux plus grands holocaustes qui n’avaient posé aucun problème à la conscience morale blanche à double standard, il faut ajouter les dix (10) millions de morts du colonialisme belge au Congo, l’extermination presque complète des Aborigènes en Australie et des Bochimans en Amérique du Sud, le demi-million de morts du massacre colonial français en Algérie, etc. Et conformément au dogme de la barbarie extra-européenne en vigueur depuis 1492, tous ces holocaustes avaient été perpétrés ailleurs que dans le périmètre auto-désigné de la civilisation, à savoir l’Europe. Ce qui les faisait passer pour normaux auprès des membres de la race supérieure, à savoir les Blanc.he.s. Pour justifier ces abominables holocaustes, les Blanc.he.s privilégié.e.s, qui en vivaient et en tiraient profit, avançaient comme raison la prétendue non-humanité des peuples qui en avaient été les victimes ; présentées comme des «vermines» ou des «bestioles» dont il était de leur devoir «moral» de les éradiquer. C’est la même logique qui allait prévaloir lors du génocide des Juifs d’Europe traités, comme les Autochtones d’Amérique et les Africain.e.s esclavagisé.e.s, de sous-humains ou de non-humains pendant une très longue période par une Europe blanche raciste et antisémite. Nous savons que pendant la Deuxième Guerre mondiale, six (6) millions de Juifs avaient été exterminés dans les camps et ghettos d’Europe (et non hors d’Europe), ainsi que des millions de membres d’autres races «inférieures» comme les Roms, les Slaves, etc. Mais la particularité de l’Holocauste des Juifs par rapport aux holocaustes antérieurs, c’est que pour la première fois depuis 1492, la barbarie européenne était exercée en Europe-même. Si l’Holocauste des Juifs par ce qui était jusqu’alors la «blanchité» est incontestable et n’est donc pas à minimiser, c’est à tort qu’il est régulièrement présenté par les bourreaux des Juifs eux-mêmes, réécrivant le «contrat racial» comme le plus grand, voire l’unique holocauste de l’histoire. Quand, à son sujet, l’historien américain Arnaud Mayer s’interroge en écrivant Why did the Heavens not darken ? (Pourquoi les cieux ne se sont pas assombris ?), il fait très clairement un choix sélectif et discriminatoire. Une telle interrogation, sélective et discriminatoire, trahit ce que Charles Mills décrit comme un «eurocentrisme climatique qui ne reconnaît pas que le ciel ne souriait jusque-là qu’à la seule Europe». Le caractère sélectif et discriminatoire de l’approche de Mayer, dans sa hiérarchisation inversée des holocaustes perpétrés par l’Europe blanche, est attesté par ces propos extraits de son ouvrage Why did the Heavens not darken ?, dans lesquels il déclare : «Le malheur qui frappa les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale semble, à première vue, unique dans son époque et sans précédent dans l’histoire. On est porté à croire que ce malheur fut si extraordinaire et si atroce qu’il dépasse complètement les bornes de toute autre expérience humaine. S’il en est ainsi, il ne sera jamais possible aux historiens de le reconstituer et de l’interpréter, encore moins de le comprendre.» Ces propos de Mayer ne constituent pas seulement une inversion de la hiérarchie des différents holocaustes, mais trahissent également une amnésie blanche quant au véritable bilan de la barbarie européenne sur des non-Blanc.he.s. L’amnésie manifestement délibérée de Mayer va d’ailleurs jusqu’à l’amener à se poser la question de savoir comment il peut y avoir de la poésie après Auschwitz. Cette question, liée au projet post-1945 de réécriture du «Contrat racial» qui excluait jusque-là les Juifs du système de privilèges de la blanchité et du droit criminel de commettre des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, est clairement discriminatoire en ce qu’elle fait l’impasse sur d’autres holocaustes pourtant pires que la Shoah. Pour les descendants de tels holocaustes, l’autre question qui ne peut pas ne pas être posée d’après Charles Mills, et que Mayer semble délibérément ignorer dans sa démarche discriminatoire, est : «Comment a-t-il pu y avoir de la poésie avant Auschwitz, après les charniers en Amérique, en Afrique, en Asie, etc. ?» A cette question légitime des descendants des victimes des pires holocaustes de l’histoire, d’éventuels rescapés du génocide des Palestinien.n.e.s ajouteront probablement celle-ci : comment peut-il continuer à y avoir de la poésie après la «solution finale» de Netanyahu à Gaza ? Liée à la conscience morale et politique à double standard des agents moraux blancs et/ou des Juifs blanchis, la question discriminatoire de Mayer de savoir s’il n’était pas indécent de s’adonner à de la poésie après Auschwitz visait en réalité un double objectif : d’une part, absoudre l’Occident de sa culpabilité totale dans l’Holocauste des Juifs d’Europe et, d’autre part, européaniser Israël en blanchissant ses citoyen.ne.s. Une telle lecture peut être confortée par les déclarations de Netanyahu de 2016, dans lesquels il affirmait que Hitler n’avait pas l’intention d’exterminer les Juifs d’Europe et que l’idée lui avait été plutôt suggérée par le Mufti de Jérusalem. S’il faut concéder à Mayer que compte tenu de la nature intrinsèquement barbare de l’Occident vis-à-vis de tout ce qui ne lui ressemble pas, le «judéocide» n’était pas quelque chose de fortuit, c’est-à-dire une anomalie dans le développement de la blanchité, il y a lieu de lui opposer que sa présentation comme unique en son genre obéit à une raison cachée, inavouée et inavouable : l’emploi du «contrat racial» envers des Européens (même de seconde zone) et de surcroît sur le sol européen. S’il est hors de question de diminuer l’horreur de l’Holocauste des Juifs ou de la relativiser, on ne peut pas, par contre, en toute honnêteté, adhérer à l’idée de son caractère prétendument singulier. L’Holocauste des Juifs est certes un des maux absolus dont les Humain.e.s ont été capables, mais il faut reconnaître que son identité conceptuelle ne se distingue pas de tous les autres holocaustes perpétrés par l’Occident raciste et antisémite depuis 1492. Il est intrinsèquement lié à ces derniers, tout comme à celui que mène aujourd’hui Netanyahu en Palestine. Dans son Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire écrivait d’ailleurs à propos de l’amnésie blanche découlant du double standard implicite de l’«indignation» européenne face au nazisme : «C’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on (les Européens) en a été le complice : que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absout, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce-que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens (…) Le crime de Hitler est d’avoir appliqué à l’Europe des procédures colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les Coolies de l’Inde et les Nègres d’Afrique.» C’est probablement la conscience que la barbarie extra-européenne, qui est l’une des identités les plus fortes de l’Occident, s’était pour une fois produite du fait du nazisme sur le sol-même de l’Europe auto-désignée comme l’espace par excellence de l’humanité, qui a amené les Européens à s’indigner du seul holocauste des Juifs, à le condamner et à le présenter malhonnêtement comme unique et sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Mais n’ayant, au fond, jamais renoncé au «contrat racial» qu’il a institué et qui privilégie les Blanc.he.s et tous ceux qu’il aura décidé de blanchir, il a passé une sorte de deal diabolique avec les descendants des victimes de la Shoah en soutenant la création d’Israël sur les terres palestiniennes et en blanchissant les Juifs. Avec cette conversion d’Israël à l’occidentalisme et à ses tares, et des Juifs à la blanchité, nous avons assisté à l’avènement de nouveaux barbares en renfort de la barbarie occidentale en pratique depuis 1492. Et conformément au dogme de la barbarie extra-européenne et donc coloniale de l’Occident qu’il a définitivement adopté, Israël a acquis par la force le droit de commettre des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sur des populations qui ne sont pas blanches : les populations palestiniennes. Donc, l’Holocauste des Palestinien.n.e.s n’est rien d’autre que le point paroxysmique de la colonisation israélienne depuis 1948 contre laquelle les victimes ont légitimement et naturellement opposé une résistance multiforme dans le cadre de leur lutte non moins multiforme de libération.

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Ce qui veut dire que le Hamas, comme toute autre organisation de la résistance palestinienne, n’est pas une organisation terroriste, mais un mouvement de résistance. Et comme l’enseignait Mandela qui avait créé la branche armée de l’Anc, c’est toujours l’oppresseur qui détermine la forme de résistance de l’opprimé. L’opprimé, quelle que soit la forme de sa résistance, a droit à la solidarité et au soutien effectif des peuples anciennement opprimés. Nous savons que quand l’Occident barbare a voulu d’une Amérique sans ses Autochtones et d’une Australie sans ses Aborigènes, il a fini, au prix d’horribles holocaustes certes, par les obtenir. Converti à l’occidentalisme, Israël cherche également depuis 1948 à obtenir une Palestine sans les Palestinien.n.es, et il est aujourd’hui sur le point de l’obtenir. Compte tenu du poids de l’histoire des quatre (4) derniers siècles où elle a été directement et tragiquement confrontée aux affres de la barbarie occidentale, l’Afrique ne peut pas se permettre le luxe de l’indifférence ou de la neutralité face à l’Holocauste des Palestinien.n.e.s. Pourquoi ? Parce que tout simplement le prochain grand chantier de la barbarie occidentale pourrait être de faire advenir, même au prix macabre d’une solution finale à la Netanyahu, une Afrique sans les Africains. Moralement et existentiellement donc, l’Afrique a l’obligation d’être du côté de la résistance multiforme des organisations de libération palestiniennes. L’Afrique du Sud, qui incarne dans ce cas, et de la meilleure des façons, l’honneur de l’humanité, en a déjà donné l’exemple. J’espère que le Sénégal ne va pas tarder à suivre cet exemple en mettant au moins immédiatement fin à ses relations diplomatiques avec Israël.

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Oumar Dia

Maître de conférences titulaire

Université Cheikh Anta Diop

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