Le Chancelier allemand, Olaf Scholz, s’est invité dans la campagne électorale française et dans une déclaration publique relayée par la télévision, il dit être « préoccupé par les élections en France » et « espérer que les partis qui ne sont pas ceux de Le Pen remporteront les élections ». Ce sont des paroles nettes et claires et murement pesées, qui d’ailleurs ont été reprises et adaptées par son ministre des finances.
L’Allemagne est le premier partenaire économique de la France et son plus proche allié stratégique, son Chancelier ce n’est pas Nicolas Maduro, elle est dirigée par un gouvernement de coalition plus proche du centre que de l’extrême gauche, et tout cela n’a pas empêché Olaf Scholz de mettre les pieds dans le plat, tant la perspective de l’arrivée au pouvoir, en France, d’un parti d’extrême droite soulève des inquiétudes.
Si Olaf Scholz s’exprime, en revanche ses homologues d’Afrique francophone ne pipent mot. Aurait-il fait acte d’ingérence ? Pour ceux qui, parmi nos dirigeants, craignent d’en être suspectés, il a fourni une réponse qui pourrait leur servir d’alibi. « Ce sont les Français qui décideront » dit-il, en conclusion, en assurant que son gouvernement continuera à collaborer avec celui qu’ils auront élu !
Comme on dirait chez nous, quand la case de votre voisin brule, vous avez au moins le droit de crier :au feu !
Mais, à supposer que cela soit une ingérence, pourquoi n’aurions-nous pas le droit de nous ingérer, pour une fois, dans les affaires de la France, elle qui passe son temps à s’ingérer dans les nôtres ? Surtout lorsqu’on entend l’appel au secours lancé par la cinéaste franco sénégalaise Alice Diop qui considère qu’il s’agit pour elle et pour beaucoup d’autres afro-françaises d’une question « de vie et de mort » et qui dit se sentir comme une « grande brulée » saisie par la colère, la trahison et une profonde déception! Les autorités françaises se donnent le droit de juger et de jauger nos dirigeants, sans aucune logique, encensant Deby, déroulant le tapis rouge pour Nguema, mais vouant aux gémonies Goita, Traoré ou Tiani, alors que tous les quatre sont des putschistes qui ont accédé au pouvoir par la force des armes ! Elles se mêlent de notre mode de gouvernement, de la gestion de nos affaires, de nos choix de société et s’adjugent la prérogative de nous choisir nos amis. Pourquoi donc nos dirigeants n’auraient-ils pas le droit d’élever la voix lorsqu’ils voient pointer à l’horizon l’arrivée à la tête du gouvernement de la France d’un parti qui a pour ADN le racisme, la xénophobie et l’islamophobie ?
Plus encore que Olaf Scholz, les dirigeants de ce qu’on appelait naguère le pré carré français ont le devoir de manifester leur inquiétude. Parce que l’histoire nous a imposé des relations particulières avec la France, qui est souvent notre premier partenaire économique, dont la langue est la seule qui est enseignée dans nos écoles, qui contrôle notre monnaie et notre tissu industriel … En régime de cohabitation la réalité du pouvoir est entre les mains du Premier Ministre, a rappelé Marine Le Pen à Emmanuel Macron, et si cette fonction est exercée par le RN, cela ne pourrait que contribuer à détériorer nos relations avec la France, que nous voulons rééquilibrées, respectueuses de notre indépendance, de notre culture et de la dignité de nos compatriotes qui vivent sur son sol Le programme du RN est fait « à 100% de leurres… d’arnaques et de vieilles ficelles » et il a pour axe principal, le seul qui est resté inamovible, la lutte contre l’immigration, assimilée à la délinquance, avec pour corrélations la suppression du droit du sol et du regroupement familial et l’instauration de la préférence nationale, mesure xénophobe et anti constitutionnelle. Cela pourrait signifier que nos concitoyens, et en particulier les étudiants, auraient encore plus de mal que d’habitude pour entrer en France, alors que les Français ont porte ouverte, et gratuite, chez nous et que le rejet, discrétionnaire du visa Schengen a couté 36 milliards de francs CFA aux Africains en 2023 !
Cela pourrait signifier que nos compatriotes qui vivent et travaillent en France pourraient être condamnés à se passer de leurs familles, que leurs enfants n’auraient pas droit, à leur naissance, à la nationalité française, même s’ils ont choisi de faire leur vie dans ce pays.
Cela pourrait signifier que Mati Diop, autre réalisatrice franco sénégalaise, classée par Vanity Fair en 2019 parmi les cinquante Français les plus influents du monde, ne pourrait jamais occuper en France les fonctions de ministre de la Défense ou des Affaires étrangères, quels que soient ses talents et ses engagements politiques. Que Fatoumata Kébé, astrophysicienne de renommée internationale, classée également, en 2018, parmi les Françaises les plus influentes du monde, ne pourrait jamais exercer des responsabilités dans un service stratégique ou diriger, par exemple, une centrale nucléaire, au seul motif que ses parents sont d’origine malienne !
On notera au passage que la préférence nationale ne concerne ni le football, ni le basket, ni le judo entre autres domaines où la France s’est le plus distinguée.
Le RN n’est pas encore au pouvoir que déjà le pire se libère au cours de la campagne électorale. En quelques jours on a vu se propager dans les médias des chansons antiracistes, des soirées xénophobes sont organisées dans des bars, on a jeté de l’eau de Javel sur des migrants à Calais, une aide infirmière d’origine africaine est qualifiée de bonobo et sommée de « regagner sa niche » par une militante RN, fonctionnaire au ministère de la Justice, un apprenti boulanger d’origine ivoirienne a vu son logement incendié, un journaliste français d’origine maghrébine, officiant sur une chaine de télévision publique, a reçu des lettres de menaces à son domicile, s’est vu traiter de bicot et intimer l’ordre de « rentrer chez lui ! »
Comme le dit le Chancelier allemand, ce n’est pas à nous de choisir les dirigeants de la France, mais il est de la responsabilité de nos dirigeants de rappeler à ceux qui ont ce privilège que nous ne sommes pas prêts à tout accepter !