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Eau Potable Urbaine : Un Mode De Gestion Dans L’impasse

L’ancien ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam, vient d’accorder une interview sur la question de l’augmentation des tarifs de l’eau, dont l’arrêté soumis à la signature du Président Bassirou Diomaye Faye a reçu une fin de non-recevoir.

Je voudrais affirmer d’emblée que cette chronique sur l’eau potable urbaine n’est pas une réponse aux propos tenus durant cet interview. En effet, ces propos sont davantage analysés dans un cadre plus large, à savoir le mode actuel de gestion de l’eau potable urbaine qui sert de cadre institutionnel aux obligations contractuelles mises en relief par le ministre.

Ils s’inscrivent plus précisément dans le cadre d’un schéma institutionnel (l’affermage) en vigueur depuis près de 30 ans (plus précisément depuis 1995/1996) dans le secteur, et devenu aujourd’hui inadapté du fait de l’ampleur progressive des investissements à réaliser pour répondre à une demande en eau exponentielle dans la région de Dakar en particulier.

Un bref rappel des contours de la réforme de 1995/1996 ne serait pas inutile pour la bonne compréhension de la problématique. C’est dans un contexte de déficit aigu dans l’approvisionnement en eau de nos centres urbains qu’une réforme de première génération instituant la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES) et la société privée exploitante du service public (SDE remplacée depuis quelques années par la puis SEN’EAU) a été mise en œuvre en 1995/1996 par l’Etat sur instigation de bailleurs de fonds, soucieux de créer un cadre sécurisant pour leurs financements.

Créée le 7 avril 1995, la SONES a conservé de l’ex-SONEES (Société Nationale de l’Exploitation des Eaux du Sénégal) les missions de gestion du patrimoine hydraulique, d’élaboration du plan directeur, de détermination du programme des investissements et de recherche des financements, que la SONEES (avec 2 E) exerçait pour le compte de l’Etat du Sénégal.

L’exploitant privé ou fermier a remplacé l’ex-SONEES dans le domaine de l’exploitation du service public, contre une rémunération contractuelle adossée au « prix exploitant » accepté par l’Etat dans le cadre d’un contrat d’affermage.

En vertu du contrat de concession, l’Etat concède à la Sones le droit exclusif de construire, d’acquérir et de réhabiliter le patrimoine de l’hydraulique urbaine sur l’ensemble du territoire de la République du Sénégal, ainsi que la gestion physique, comptable et financière des biens et des droits immobiliers de l’hydraulique urbaine faisant partie de son domaine public.

En termes de bilan, on peut brièvement synthétiser la situation ainsi qu’il suit :

Le contrat PPP d’affermage a permis d’assurer la production et la distribution de l’eau potable sans rupture totale dans l’approvisionnement en eau sur la période 1996/2024.

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L’opérateur privé, qui a été retenu sur la base d’un prix exploitant couvrant ses charges etses marges, reste à l’abri de toute perte d’exploitation directe. N’endossant pas le risque de l’endettement, il est de surcroît couvert par l’engagement de l’Etat d’assurer, en tout temps, l’équilibre financier du secteur.

Les bailleurs de fonds, gros pourvoyeurs de financements indispensables au secteur, trouvent leur compte dans ce schéma. C’est la raison pour laquelle ils accordent depuis près de 30 ans des concours importants au secteur, assortis de conditions de taux en deçà de ceux du marché financier (taux concessionnels).

Toutefois, ils restent des financiers soucieux du déroulement normal de l’échéancier de prêt, condition sine qua non de la poursuite de la relation avec le client « SONES ». Il est utile de préciser qu’à ce jour, la SONES n’a certes pas connu de défaut de paiement mais n’a pas non plus dégagé, en près de 30 ans, une trésorerie cumulée suffisante apte à lui permettre d’autofinancer substantiellement le renouvellement de son patrimoine, et surtout en temps opportun.

Pour autant que l’on puisse la dissocier de l’Etat, la SONES reste la grande perdante de l’affermage au regard des missions qui lui étaient imparties, du fait de la faiblesse de la redevance perçue en contrepartie de la mise à disposition des ouvrages hydrauliques, source de son incapacité à assumer les missions qui lui reviennent.

Elle n’a pas pu accomplir les missions potentielles qu’elle aurait dû remplir durant ces 30 dernières années, telles une plus grande implication dans la protection des ressources en eau dédiées aux centres affermés, la mise en place de service connexes (laboratoires d’analyses, institutions de formation aux métiers de l’eau etc.).

Concernant la situation actuelle, on peut dire que, malgré le grand tournant pris en 1996 en termes de réalisations de programmes hydrauliques d’envergure (PSE, PELT, KMS et autres programmes liés au stockage et à la distribution), qui ont préservé le Sénégal des ruptures d’approvisionnement du passé, la situation du secteur reste marquée par des décrochages de plus en plus fréquents entre l’offre et la demande en eau potable.

En cause, une progression rapide de la demande en eau, rendant insuffisante avant terme toute capacité de production additionnelle, du fait de lenteurs dans l’élaboration des programmes d’investissements et dans la mise à disposition des ressources financières empruntées auprès de bailleurs traditionnels (Banque Mondiale, KFW, BEI, AFD, Coopération japonaise, etc..), tout cela impactant les délais de mise en service.

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Ce décrochage va tendre à l’accélération, au vu de multiples programmes de dessalement, et d’unités de production et de traitement prévues sur le site de KMS, qui vont s’accompagner d’augmentations substantielles de coûts d’exploitation.

Les stations de Keur Momar SARR (3) érigées sur le lac de Guiers à la suite de celle de Ngnith dans le souci de soulager les nappes souterraines surexploitées, présentent déjà l’inconvénient d’accroître les charges d’énergie avec les stations de surpression installées le long des conduites menant aux centres de consommation de la région de Dakar (250 km).

Les unités de dessalement prévues auront également un effet supplémentaire sur la hausse du poste énergie du compte d’exploitation du privé, lequel le répercutera d’ailleurs sur le tarif de l’eau en vertu de l’engagement de l’Etat de veiller à l’équilibre financier permanent du sous-secteur.

En conséquence, les charges prévisionnelles de l’Etat en matière de soutien au secteur iront croissantes.

Pour une réforme de 2ème génération accordant plus de prérogatives à la Société de Patrimoine !

Pour en arriver aux propos du ministre Thiam, ils laissent penser que ce dernier parle d’une augmentation des tarifs à supporter directement par les usagers, sans laisser le choix à l’Etat de prendre en charge le gap financier sur ses propres factures en ne touchant pas aux tarifs anciens payés par les usagers.

Il est en effet arrivé par le passé que l’Etat prenne à sa propre charge, via les factures de l’administration, hors la vue des usagers les augmentations de tarifs pour respecter son engagement d’assurer l’équilibre financier du secteur.

Le ministre exprime son point de vue ainsi qu’il suit : « Ce qu’ils vont faire, c’est subventionner le secteur, et encore qu’il y a déjà une subvention. Ce n’est pas tenable. Même s’ils diffèrent (Ndlr, cette augmentation des tarifs), ils le feront en 2025 ou 2026 parce que les investissements attendus sont importants et il faut que le secteur puisse d’autofinancer. De toutes façons il va falloir appliquer le tarif ou subventionner en 2025 ou 2026, car le secteur a besoin de financement, donc il fallait augmenter le prix de l’eau ».

On comprend donc, selon Serigne Mbaye Thiam, que l’Etat n’ait pas d’autre choix que d’appliquer directement les nouveaux tarifs aux usagers dans les deux années à venir, les subventions n’étant plus « tenables ». Faudrait-il lier ces propos à une exigence des bailleurs en charge de la surveillance des politiques budgétaires de faire payer par les usagers eux-mêmes les hausses tarifaires ?

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Pour ce qui concerne le « timing » de la soumission de l’arrêté pour signature, il faut convenir que ce dernier aurait dû être soumis au Président Sall lui-même. Il est vrai que le contexte électoral n’était pas favorable, car une augmentation de tarifs d’eau n’est jamais populaire en période pré-électorale. C’est la raison pour laquelle on ne saurait exclure totalement une préoccupation d’ordre politique.

En tous cas, nulle part dans les propos tenus par le dernier ministre de l’Eau et de l’Assainissement du défunt régime ne pointe la remise en cause d’un mode de gestion appauvrissant pour l’Etat en termes de ponction sur les recettes budgétaires, et contraignant pour la société de patrimoine chargée du financement des investissements. Une société elle-même financièrement mal desservie pour prendre le relais

Or, c’est ça c’est le vrai débat que l’on a longtemps occulté

Soyons clairs ! On ne peut pas ne pas augmenter le tarif de l’eau au regard du coût du financement des infrastructures, qui dépend du loyer de l’argent sur les marchés financiers, desquels les institutions financières prêteuses tirent leurs ressources. Toutefois, il est essentiel de s’assurer au préalable que les revenus de l’exploitation de l’eau sont bien répartis, mais également de la fiabilité des comptes de l’exploitant dont les charges pèsent lourdement sur le secteur.

Le président de la République, qui a bien compris tout cela, a demandé un audit global du secteur à la suite de l’audit demandé par son prédécesseur lors de la panne de Keur Momar SARR en 2013, resté sans suite à ce jour.

Cette situation, combinée à la faiblesse de la capacité et de la volonté de payer des populations, contraint l’Etat à soutenir le sous-secteur par des subventions afin de neutraliser les hausses de tarifs sur les factures des usagers.

A charge pour l’Etat de convaincre les partenaires financiers de la nécessité de soulager les populations durement éprouvées par la vie chère, et de mener avec lui une réflexion portant sur le contenu d’une réforme de 2ème génération accordant davantage d’aisance et de prérogatives à la société de patrimoine qui en serait l’axe central.

C’est le lieu de déplorer les reconductions de contrats d’affermage sans bilans et sans grands changements au contrat de base, sauf des modifications faites souvent à l’initiative du fermier.

Il faut également déplorer que le dernier contrat Etat/SEN’EAU ait été signé par l’ancien président pour une durée de 15 ans à la place des 10 années usuelles.







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