En Afrique, l’exploitation des ressources extractives connait des évolutions dans les perceptions ces dernières années. En 1950, l’Afrique a été dominée et exploitée. En 1960, le continent marque une phase afro-optimiste. De 1990 à 2000, l’Afrique a été animée par le phénomène de la malédiction des ressources naturelles (MRN), qui a été analysé par plusieurs auteurs scientifiques dont Rosser en 2006. De 2000 à 2020, le continent est marqué par un boom extractif. Certains pays comme le Sénégal ont voulu associer les activités extractives et l’émergence dans les programmes de développement (cas du Plan Sénégal Émergent). Depuis 2020, un autre problème se pose à cause des conséquences du changement climatique. Il s’agit de l’incertitude sur la transition énergétique et la volonté manifeste de certains pays africains concernant la souveraineté nationale notamment énergétique et industrielle. En février 2024, le Sénégal adopte un nouveau régime. Bien avant ce nouveau régime, les contrats extractifs ont été critiqués par les acteurs politiques de l’opposition notamment Messieurs Ousmane SONKO et Thierno Alassane SALL, à travers la publication d’ouvrages.
Cette contribution rappelle tout d’abord les dates phares où le sujet sur les contrats pétroliers a encore attiré l’attention de ce nouveau régime. Le 13 juillet 2024, lors de sa sortie face à la presse durant les 100 premiers jours au pouvoir, le Président de la République a souligné que les contrats pétroliers seraient sans doute renégociés. Le 24 juillet 2024, le Directeur de Cabinet du Ministre des Énergies, du Pétrole et des Mines (MEPM) invite les autres parties prenantes notamment au monde universitaire de produire des réflexions scientifiques sur les enjeux de la renégociation des contrats pétroliers tout en restant optimistes. Le 20 août 2024, une commission d’examen des contrats dans le secteur stratégique, constituée de cadres de l’administration, a été installée par le Premier Ministre. C’est dans ce contexte que nous apportons notre contribution pour analyser les éléments clés susceptibles de faire l’objet de renégociation dans les contrats pétroliers. Cette analyse s’articule autour de trois points.
1. Que faudrait-il renégocier ?
2. A qui profite l’exploitation des hydrocarbures offshore ?
3. Que représentent l’environnement et ses richesses dans la négociation des contrats ?
L’objectif de cette contribution est de participer au débat public scientifique en tant que chercheur dans le domaine de l’environnement et des industries extractives mais aussi en tant que citoyen sénégalais. Les réponses aux questions ainsi formulées sont développées dans les lignes suivantes.
Que faudrait-il renégocier ?
Par rapport à la première question formulée, nous l’analyserons sous l’angle de la répartition des parts (profit oil) et les pourcentages relatifs à la déduction des coûts (cost stop & cost oil) pour permettre à l’État de saisir les niches qui peuvent faire point de discussion lors d’une éventuelle renégociation des contrats. A cet effet, une analyse comparative sera effectuée en premier lieu sur les contrats relatifs à l’exploitation des gisements offshore de Grand Tortue Ahméyim (GTA) et de Sangomar, d’une part, elle cible les pourcentages élevés sur la déduction des coûts pétroliers et ses risques pour le Sénégal, d’autre part.
En comparant les projets GTA et Sangomar en cours, sur la répartition des parts entre l’État et les contractants, il ressort une différence très remarquable sur les parts de l’État : profit oil. Ce qui permet de dire que le contrat hérité par Woodside Energy, concernant l’exploitation du gisement de Sangomar, est moins avantageux pour l’État si on le compare à celui hérité par BP et ses partenaires dans le cadre du projet de GTA.
Cette différence peut faire l’objet de revue dans une perspective de renégociation. Là où l’État devrait profiter de 20 % des parts dans le contrat de Sangomar dans un contexte où la production journalière atteindrait 100 000 barils/jour (cf. article 22 dudit contrat de RSSD), celui du gisement de GTA lui permettra d’atteindre 50 % des parts si la production journalière tournerait autour de 60 000 à 90 000 barils ou gaz équivalent (cf. article 22 dudit contrat). Ainsi, nous profitons de l’occasion pour rappeler que les signatures des deux contrats de recherche et de partage de production portant sur les blocs de Rufisque Offshore, Sangomar Offshore et Sangomar Offshore Profond (RSSD) et sur le bloc de Saint-Louis Offshore Profond datent respectivement du 15 juillet 2004 et du 17 janvier 2012. Le premier contrat a déjà fait 20 ans. C’était sous tutelle de l’ancien Ministre des Énergies et des Mines, Monsieur Madické NIANG. Le second fait aussi 12 ans, sous tutelle de l’ancien Ministre d’État, Ministre de la Coopération internationale, des Transports aériens et des Infrastructures de l’Énergie, Monsieur Karim WADE, tous signés durant le régime du Président Abdoulaye WADE sur l’intervalle 2000-2012. Remplacé par le Président Macky SALL en mars 2012, ce dernier a joué un rôle important dans la recherche et la promotion du bassin sédimentaire sénégalais. Ces efforts ont abouti à des découvertes importantes en hydrocarbures mais le Président sortant n’a pas eu l’occasion de fêter la production du premier baril sénégalais. Suite à ces importantes découvertes de 2014 à 2017, une politique de gouvernance des ressources naturelles a été lancée pour renforcer le cadre institutionnel, politique, règlementaire et stratégique du secteur pétro-gazier durant la période 2016-2023. Ces initiatives ont été soutenues par le projet d’Assistance technique de la Banque mondiale piloté par GESPETROGAZ, bras technique du COS-PETROGAZ et du Ministère en Charge des Hydrocarbures.
Le deuxième point de renégociation doit être orienté sur le cost stop et le cost oil. Dans le cadre d’une éventuelle renégociation des contrats, les termes de l’article 22.1 du contrat relatif à l’exploitation du gisement pétrolier de Sangomar pourraient être revus. En effet, l’État doit faire de telle sorte que le cost stop et le cost oil ne dépassent pas les 60 % quelle que soit la localisation de la zone d’exploitation. Les propos concernant cette idée seront développés dans la deuxième partie de la contribution. Nous rappelons que les projets en cours (GTA et Sangomar) se situent dans la zone offshore profonde, c’est à dire là où les profondeurs d’eau se situent entre 500 mètres et 3000 mètres (art.2 du nouveau code pétroler). Ce qui permet de rappeler que les profondeurs d’eau occupées par le projet Sangomar varient de 700 à 1400 mètres et celles occupées par le projet GTA sont de l’ordre 33 mètres, 120 mètres et 2850 mètres selon les différentes installations. Les éléments de réflexion de la première question nous invitent à aborder la seconde question.
A qui profite l’exploitation des hydrocarbures offshore ?
L’industrie extractive est une arène multi-acteurs où chaque partie tire les intérêts de son côté en se basant sur son expertise et son expérience. Si la question à qui profite est posée, c’est pour analyser l’équilibre d’intérêts des différentes parties prenantes. En 2004, le rapport d’Évaluation des Industries Extractives, commissionné par le Groupe de la Banque Mondiale (GBM), paru le 16 juin dans le Financial Times britannique précise en ces termes : « Non seulement les industries pétrolières, gazières et minières n’ont pas aidé les populations les plus pauvres des pays en voie de développement, mais elles ont appauvri davantage……Cela signifie-t-il que les industries extractives ne peuvent jamais jouer un rôle positif dans l’économie d’une nation ? Non, cela signifie simplement que le seul cas d’un rôle positif que nous ayons pu trouver, concerne des pays dont le régime démocratique s’était à ce point développé que même les plus pauvres pouvaient en tirer certains bénéfices (ex: Botswana). Mais tant que les éléments fondamentaux constitutifs d’une bonne gouvernance: presse libre, système judiciaire opérationnel, respect des droits de l’homme, élections libres et justes- ne sont pas mis en place, le développement de ces industries ne fera qu’aggraver la situation des plus pauvres ».
La problématique posée permet de comprendre davantage les logiques des principaux acteurs (État & Compagnie pétrolière) sur la négociation des contrats et ses contours. Ainsi, pour répondre à la question principale notée ci-dessus, nous nous permettons de rappeler le principe du contrat de recherche de partage de production (CRPP) en sus de faire référence à l’ouvrage scientifique de Claude Raffestin sur la géographie du pouvoir publié en 1980 dans cette réflexion pour mieux aborder la question à qui profite ? Concernant le principe de CRPP, il n’est rien d’autre qu’un partage de ressources entre l’État et le ou les contractant(s). Nous avons l’impression que dans les négociations des contrats pétroliers offshore, l’État ne prend pas en compte la considération de ses richesses écologiques du milieu réceptif des projets. Les recherches démontrent que l’exploitation des énergies fossiles va entrainer sans doute des impacts négatifs sur l’écosystème et sur la vie des communautés (Kloff S., 2011). Pourquoi donc accepter que le contractant ait toujours le droit de recevoir chaque année civile, en vue du recouvrement de ses coûts pétroliers, une partie maximale de la production totale commerciale ? Qu’est-ce qui explique que les négociations doivent essentiellement se tourner sur les ressources pétro-gazières et non sur les autres ressources stratégiques du milieu récepteur ? Face à ces interrogations, nous pensons que cette pratique ancienne doit être repensée et renégociée pour que les intérêts dans les contrats soient justes et équilibrés entre les deux parties (État & les compagnies pétrolières). Ces problèmes dégagés dans cette partie invitent à aborder la réflexion sur les préoccupations environnementales et sociales dans les contrats pétroliers.
Que représentent l’environnement et ses richesses dans la négociation des contrats ?
Avant de répondre à cette question, nous rappelons que les eaux côtières de l’écorégion marine ouest-africaine sont parmi les plus poissonneuses au monde, grâce aux alizés qui poussent les eaux de surface pauvres en nutriments au large et ramènent des eaux riches en nutriments des profondeurs de l’océan Atlantique en surface (Kloff S. et al., 2005). Ce phénomène est appelé upwelling ; il provoque une explosion de la croissance algale qui forme la base d’une chaîne alimentaire extrêmement productive en Mauritanie, au Sénégal, en Guinée Bissau, etc. (Wolff, et al., 1993 ; PRCM, 2000 ; Samb and Demarcq, 1989).
Vu la richesse écologique du milieu récepteur des projets pétroliers offshore, les pertes et dommages ont-ils été pris en compte dans la négociation de base des contrats ? Cette question permet de pousser la réflexion sur le point ci-après pour comprendre à qui profite réellement l’exploitation des hydrocarbures offshore entre l’État, le ou les opérateurs et la population, voire les communautés ?
Avant le démarrage des projets pétroliers offshore, des études d’impact environnemental et social ont été réalisées par les promoteurs de ces projets. Ces études ont été souvent critiquées par des experts et des consultants sur la négligence de la prise en compte de certains risques environnementaux et sociaux, voire économiques au plan local.
Après une dizaine d’années d’activités d’exploration, de développement et de production des projets pétroliers offshore, la situation des communautés s’aggrave de plus en plus. Certains en ont eu ras le bol et menacent de perturber les activités industrielles des compagnies. D’autres se désespèrent compte-tenu du non accès à leur zone traditionnelle de pêche et du manque de revenus à cause des zones d’exclusion et de la migration des espèces halieutiques dans les périmètres de sécurité. Ce phénomène frappe plus les communautés qui se situent sur la Langue de Barbarie, dans la région de Saint-Louis. Cela renvoie à une préoccupation majeure sur le modèle de développement adopté par les compagnies dans le cadre de l’exploitation des gisements offshore. A l’État actuel des projets pétroliers, le problème est plus centré sur les aspects socioéconomiques que ceux environnementaux. Cela souligne que la négociation ou la renégociation des contrats ne doit pas se limiter uniquement sur les compétences basées sur le droit, la fiscalité, l’économie, ou la géologie ; d’autres compétences basées sur l’environnement, la sociologie, etc., doivent être considérées sur la table de négociation si on veut vraiment réussir l’équilibre des intérêts entre les deux parties (État et contractants) dans les contrats pétroliers.
Pour conclure, la renégociation des contrats dans les projets extractifs n’est pas un phénomène nouveau et c’est toujours possible quand un nouveau régime s’installe. En guise d’exemple, le Libéria peut être cité comme un cas d’école. Selon Raja Kaul et Antoine Heuty, le gouvernement de la Présidente Ellen Johnson Sirleaf a effectué une renégociation des contrats extractifs entre 2006 et 2008. De même, Paul Seagel, souligne que le Liberia disposait de 102 contrats extractifs, avant l’arrivée du nouveau régime. Une fois l’installation du gouvernement, les 52 ont été acceptés, les 36 annulés et les 14 renégociés. Par rapport à la situation actuelle du Sénégal, les contrats signés dans le secteur extractif peuvent aussi faire l’objet de révision. C’est vrai qu’il existe des clauses de stabilisation, de renégociation, de confidentialité et de transparence dans ces contrats. Mais au-delà de l’aspect juridique, les deux parties peuvent se retrouver autour d’une table de négociation pour discuter sur l’équilibre des intérêts. Nous précisons que les compagnies en activité ont hérité les contrats des projets en cours d’exploitation. Ce qui explique que ces compagnies n’ont pas payé le prix du risque sur la recherche. Elles sont intervenues après les découvertes et tous les coûts pétroliers seront supportées par la vente des ressources du sous-sol de l’État d’où l’intérêt de revoir les termes de renégociation des contrats de façon juste et équitable.