Introduction
Notre monde actuel est en pleine effervescence : depuis les guerres jusqu’aux catastrophes naturelles en passant par les crises politiques, toute l’humanité semble être engagée dans un processus d’incertitudes sans précédent. Ce qui emmène à réfléchir sur la gestion du quotidien de nos pays, surtout de notre Afrique francophone en particulier. C’est dans cette mutation que la question du rapport entre les pouvoirs de l’ancien colon incarné par la France, et ceux des anciennes colonies incarnées par les pays africains, se pose. Il s’agit de la perception du rapport de l’un face à l’autre en ces temps nouveaux, après plus de 60 ans d’indépendance. En d’autres termes, vu l’étroitesse des relations entre eux, quel modèle de relations entretenir dans tous les domaines y compris celui de démocratie ?
Notre réflexion se basera sur le rapport d’information sur la politique française de défense en Afrique publié en 2024, les reportages de presse tels que l’article de François Soudan dans JA n°3137 de juin 2024 et des cas pratiques sur le continent africain.
Le mouvement du sentiment antifrançais
Dans « La France face au choc du souverainisme africain », François Soudan résume les travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées portant recueil d’auditions de la commission sur la politique française de défense en Afrique (M. Thomas Gassilloud), déposés le mercredi 10 avril 2024. L’axe central de son résumé est que la France a des difficultés en Afrique, parce qu’elle est mal perçue dans l’opinion publique de plus en plus jeune qui, veut se libérer du lourd poids du colon encore présent trop longtemps sous les tropiques. Ce mouvement désormais appelé « souverainiste » fait le chou gras de toutes les presses et chapelles politiques en hexagone comme en Afrique, et semble être utilisé à tort et à raison en fonction du positionnement et objectif des acteurs. Partant des réactions des officiels français dans des différentes crises politiques en Afrique francophone, il met le doigt sur les facteurs qui encouragent ce qu’il est convenu d’appeler le « sentiment antifrançais repose sur une vision néo souverainisme qui gagne en ampleur non seulement auprès des jeunes mais aussi au sein des classes moyennes, voire de certaines sphères dirigeantes, et s’étend à toutes les couches de la société. ».
Ainsi, l’échec des mouvements citoyens et l’impasse de la majorité des transitions démocratiques sont devenus la lame de fond de ce phénomène plus ou moins populiste qui met la France au bac de l’accusé et faisant d’elle le bouc émissaire de proximité sur qui l’opprobre est jeté tous azimuts. Le néo souverainisme est très répandu sur les RS à cause de l’échec du système éducatif : « ce néo souverainisme utilise massivement les réseaux sociaux avec d’autant plus de facilité qu’il émerge au terme de deux décennies de faillite éducative des Etats, lesquels ont produit des légions d’analphabètes numérisés prompts à ingérer n’importe quelle fakenews. » Les facteurs qui encouragent la radicalisation de plus en plus brutale de cette opinion africaine sont nombreux dont les principaux sont : les bases militaires, le franc CFA, la pratique restrictive, voire humiliante, de délivrance des visas mais aussi et surtout le jeu clair-obscur des officiels français face aux crises politiques en Afrique francophone. Pour preuve, des coups d’Etats militaires et constitutionnels sont applaudis pendant que d’autres non. C’est à croire que l’intérêt de la France prédominerait contre toute norme et principe de vérité, de justice et de démocratie. En fonction de son intérêt, elle pivote dans un sens ou dans l’autre sans se soucier des conséquences de l’autre côté de la mer Méditerranée. Ce qui amène Alain Antil à appeler « l’asymétrie des connaissances », entendu comme : « nos partenaires, dit-il, nous connaissent beaucoup mieux que nous ne les connaissons. Ils savent travailler la relation du faible au fort. » Voilà l’attitude de la France envers ses partenaires africains.
Quelle France et quel occident pour la démocratie en Afrique ?
De quelle France parle-t-on ici ? Deux possibilités peuvent être évoquées : il y a d’un côté la France officielle qui est représentée par l’Etat et qui peut traiter avec tout autre Etat quel que soit le régime et les circonstances pour un intérêt gagnant-gagnant. Cette relation se construit par la voie légale de la diplomatie. Il y a ensuite le réseau clair-obscur qui est le pouvoir de couloir des palais, qui manœuvre afin que les choses se passent comme voulu pour un intérêt privé généralement financier et économiste. C’est ce très puissant réseau anciennement appelé « françafrique » qui est à l’œuvre, (que l’opinion africaine critique) quand on parle de « France » dans les crises politiques que traversent les pays africains. Il s’agit d’un réseau pour de servir tout autre intérêt autre que celui le bien commun. Il procède en tirant les ficelles en arrière, afin de mettre leurs hommes où il faut pour servir un intérêt particulier, peu importe ce que cela pourrait coûter au bien commun du pays africain en question. Ce réseau part des cabinets faiseurs d’opinion, jusque dans les milieux très fermés de la gouvernance du monde, en passant par la presse, sans oublier certains courants humanistes et spiritualistes. Cette « France » fait et défait les hommes politiques en fonction de leur choix au mépris des lois et règles élémentaires de la démocratie que la jeunesse africaine condamne. Car, certains hommes politiques véreux qui ont perçu cette faille dans le système en profitent pour s’adonner à toute sorte de pratiques immorales et rapports incestueux entre le pouvoir étatique, le monde de l’économie et des finances pour assouvir leurs instincts de dictature et de tyrannie d’une manière ou d’une autre. Quand en Afrique il s’agit du viol des constitutions, en Europe on trouve le moyen de faire avaler facilement la pilule à l’opinion. Cela met en lumière le double discours des deux faces de la même médaille.
C’est ce que dénonce l’analyste politique Yan Gwet dans sa contribution « une démocratie à géométrie variable » en étendant la question entre les pays « démocrates » et « autoritaristes » lors du Sommet pour la démocratie de Copenhague tenu en mai dernier. Il s’explique difficilement, le fait que les pays dits démocratiques acceptent facilement les décisions politiques dans l’actuelle Ukraine en guerre contre la Russie, contrairement aux pays de l’AES dont les décisions et contextes sont plus ou moins similaires. Ainsi, la loi martiale de Zelensky prolongée systématiquement, la suspension de 11 partis politiques de l’opposition et l’annulation pure et simple de l’élection présidentielle sont plus accueillies par les pays démocratiques que certains pays africains dans les mêmes conditions de température et de pression. « Ce qui ressemble fort à un deux poids, deux mesures prévaut sur une série de sujets et suscite l’indignation croissante des populations africaines. Cela contribue à saper la crédibilité des défenseurs de la démocratie et à affaiblir l’adhésion au projet démocratique. » Face à cela, quelles solutions proposer et quel profil pour le leader africain d’aujourd’hui ?
Propositions
La première solution est que la France et l’occident fassent preuve d’humilité et de respect ; une espèce de « juste distance » où il s’agit d’une politique en Afrique sans ingérences, ni leçons. Pour Gwet, « au vu de la piètre idée que leurs citoyens se font de leurs performances, les gouvernements de pays qui s’arrogent le droit de distribuer des brevets de démocratie à travers le monde gagneraient à faire preuve d’humilité, sauf si on considère que les leçons de démocratie visent des intérêts troubles »
La deuxième solution est d’accepter que les aspirations sociétales diffèrent selon les pays et les régions du monde. Dans les marchés de nos villes d’Afrique francophone, dans les bars de nos quartiers populaires, derrière les murs des résidences de nos quartiers huppés, la même demande d’une gouvernance compétente, intègre et attentive s’exprime.
La troisième solution est la capacité pour les africains d’affirmer leurs aspirations sans complexe et se donner les moyens d’y arriver. Les africains ont le droit de souhaiter vivre mieux, de scolariser leurs enfants, d’avoir accès à des soins de qualité, de bénéficier d’une justice honnête et impartiale, de posséder une maison, un véhicule, et si c’est cela vivre « à l’occidentale », alors ils ont le droit d’y aspirer.
De ces trois solutions, le profil du vrai leader africain devrait se dégager par les critères suivants :
Son immersion, hibernation et back grounds politiques très profondément ancrés dans le peuple ;
Son intégrité, sa loyauté et son amour sans faille envers le peuple ;
Sa connaissance sociologique et anthropologique approfondie et réelle de la société ;
La clarté de sa position face à la machine cynique et sournoise du monde global (exemple du franc CFA et des bases militaires) ;
Sa capacité à défendre sans faux fuyant les intérêts du pays ;
Son esprit profondément républicain, patriotique voire panafricain ;
Son amour exclusif et sans partage envers le pays qu’il aspire gouverner.
Conclusion :
Le leader idéal actuel en Afrique contemporaine est celui de la « juste distance » qui ne sera pas d’office révolutionnaire, réfractaire, ennemi ou réactionnaire contre l’occident. Il ne sera pas non plus le soumis, mais acteur de la juste relation d’égal à égal dans le seul et unique intérêt de son peuple. Cela résultant de ce que les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts
Aubin Félix AMANI
Analyste politique citoyen ivoirien & africain