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Lamine Senghor, Internationaliste, Anticolonialiste Et Anti-impÉrialiste IntrÉpide

15 septembre, jour anniversaire, entre autres, de la naissance de Lamine Ibrahima Arfang Senghor (1889) et de la publication du Manifeste du PAI (1957). Et dans moins de 03 mois, le 1er décembre 2024, la commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs africains de Thiaroye.

C’est un fait, dans les années 20, la IIIème Internationale Communiste (I.C), fondée par le dirigeant révolutionnaire russe Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, est le seul mouvement politique organisé internationalement qui soutient le mot d’ordre de l’indépendance immédiate de toutes les colonies. Dans ce sens, l’I.C est allée jusqu’à stipuler clairement à l’article 8 des 21 conditions d’adhésion définies par le 2ème congrès de juillet 1920 que, « dans la question des colonies et des nationalités opprimées, les Partis des pays dont la bourgeoisie possède des colonies ou opprime des nations, doivent avoir une ligne de conduite particulièrement claire et nette. Tout Parti appartenant à la IIIe Internationale a pour devoir de dévoiler impitoyablement les prouesses de ’’ ses ‘’ impérialistes aux colonies, de soutenir, non en paroles mais dans les faits, tout mouvement d’émancipation dans les colonies, d’exiger l’expulsion des colonies des impérialistes de la métropole, de nourrir au cœur des travailleurs du pays des sentiments véritablement fraternels vis-à-vis de la population laborieuse des colonies et des nationalités opprimés et d’entretenir parmi les troupes de la métropole une agitation continue contre toute oppression des peuples coloniaux. » Position réaffirmée et précisée lors du 5ème congrès tenu en 1924.

C’est dans cette période qu’est créée par le Parti Communiste Français (PCF), en 1921, l’Union Inter Coloniale, en application des directives du 2ème Congrès. C’est dans ce contexte que Lamine Senghor, tirailleur sénégalais, grand blessé, démobilisé au lendemain de la guerre 14-18, recruté comme facteur des PTT à Paris, s’engage avec abnégation dans la vie militante et adhère au PCF au milieu de ces années 20. Il faut d’ailleurs signaler que le congrès anti-impérialiste de Bruxelles de février 1927 durant lequel la participation de Lamine Senghor fut particulièrement remarquable et remarquée aux côtés de Mme Sun Yat sen, Nehru, J.T. Gumede, Hafiz Ramadan Bey, Henri Barbusse, Albert Einstein, entre autres, a été organisé par le communiste allemand Willi Münzenberg, ami personnel de Lénine. Militant communiste soucieux de son indépendance, de son autonomie de pensée et d’action, Lamine Senghor déclarait le Dimanche 13 avril 1926, en réponse à une question du camarade Camille Bloncourt : « Je ne renie pas mon passé et me flatte d’avoir été un propagandiste dévoué au communisme et de n’avoir jamais marchandé ma peine, ni mon temps, ni mon argent. Je reste membre de l’Union Inter-Coloniale mais le CDRN [Comité de Défense de la Race Nègre] doit rester indépendant. » A travers ces propos, il mettait clairement en garde contre les tendances au chauvinisme et au paternalisme largement présentes au sein du PCF et défendait fermement la position d’autonomisation des mouvements anticolonialistes, noirs en particulier, par rapport au PCF.

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Il partageait ces positions avec Thiémoko Garang Kouyaté, proche compagnon communiste de premier plan avec lequel il a fondé le CDRN puis la Ligue de Défense de la Race Nègre (LDRN), et qui a partagé son combat jusqu’à sa mort. Continuateur de Lamine Senghor, Thiémoko Garang Kouyaté a créé en 1933 la Ligue de lutte pour la Liberté des Peuples du Sénégal et du Soudan en tant que, dit son Manifeste, « organisation des peuples, des ouvriers et des paysans révolutionnaires du Sénégal et du Soudan », avec pour but « de diriger l’action commune contre la domination sanglante des autorités françaises et des capitalistes français. Elle organise et dirige les ouvriers et les paysans dans la lutte contre la faim, les salaires de misère, le travail forcé, les impôts, contre l’obligation de fournir une quantité déterminée de denrées, elle lutte pour la liberté nationale complète et l’indépendance du Sénégal et du Soudan ».   Tout comme Lamine Senghor, Garang Kouyaté a dû lui aussi faire face à des difficultés et divergences avec les communistes au sein du PCF et du Komintern. En 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut arrêté par les nazis et déporté au camp de Mauthausen en Autriche où il mourut le 4 juillet 1944.

Revenons au récit de La Violation d’un pays : « « La Reine République » gouvernait ses concitoyens, tandis que le « Roi Colonialisme » administrait les sujets de ses domaines à l’étranger. Un beau jour, une jalousie se réveille dans l’esprit d’un de ses frères nommé « Germain Bourgeois » qui réclame à la reine une partie de ses domaines étrangers voisins des siens. » Tels sont les germes de la 1ère Guerre mondiale relatés dans La Violation d’un pays. Mais Lamine Senghor a bien intériorisé l’enseignement marxiste, selon lequel la guerre engendre la révolution : « Tout le monde était mécontent. La colère monta … monta … et monta telle qu’un jour, les citoyens pâles voulant se révolter contre leur reine, pensèrent que s’ils n’entraînaient pas les autres esclaves, les défenseurs de la “couronne” les embrigaderaient pour en faire des contre-révolutionnaires. Ils envoyèrent des émissaires qualifiés dans tous les pays d’esclavage, pour organiser leur révolte, en leur faisant comprendre combien ils ont été trompés et spoliés. Vous voyez ! disaient-ils, vos mutilés de la guerre pour la Reine sont payés un sixième de ce qu’est payé un mutilé de chez nous, de même mutilation, même blessure ou même maladie ; les veuves de nos camarades tués sur le champ de bataille sont payées ainsi que nos orphelins, tandis que ceux de vos camarades passent derrière la caisse ! .. »

Cet appel de Lamine Senghor à la prise de conscience de ses frères de race se trouve déjà dans son discours de Bruxelles, dans lequel il met en garde les supplétifs de l’ordre colonial qui s’en vont combattre des peuples pareillement colonisés, et dans lequel il souligne en même temps la nécessité de l’unité internationaliste des ‘’damnés de la terre’’ : « … On envoie des nègres à Madagascar; on envoie des nègres en Indochine parce que c’est très près de la Chine qui lui donne un excellent exemple révolutionnaire. (S’adressant aux Chinois, Senghor leur dit : J’aurais voulu vous embrasser, camarades, car vous donnez un, bon exemple révolutionnaire à tous les peuples soumis au joug des colonisateurs ; je voudrais qu’ils s’inspirent tous de votre esprit révolutionnaire.) Camarades, les nègres se sont trop longtemps endormis mais méfiez-vous ! Celui qui a trop bien dormi et qui s’est réveillé ne se rendormira plus. »   D’autant plus vrai que s’exprime la solidarité internationaliste de combat entre les peuples opprimés et exploités : « L’oppression impérialiste que nous appelons colonisation chez nous et que vous appelez impérialisme ici, c’est la même chose camarades ; tout cela n’est que du capitalisme, c’est lui qui enfante l’impérialisme chez les peuples métropolitains. Par conséquent, ceux qui souffrent de l’oppression coloniale là-bas doivent se donner la main, se serrer les coudes avec ceux souffrant des méfaits de l’impérialisme métropolitain, porter les armes et détruire le mal universel qui n’est autre que l’impérialisme mondial.

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Camarades, il faut le détruire et le remplacer par l’Union des peuples libres. Plus d’esclaves ! » Plus aucun doute, la guerre engendre la révolution, l’avenir est radieux, le conte de Lamine Senghor le relate si bien : « La colère gronda et re-gronda dans les cœurs, monta et remonta !!! Elle remonta tellement qu’elle finit par éclater un beau matin (un vendredi 13) le même Jour, à la même heure, chez les bronzés, chez les jaunes et chez les “moins pâles”, la révolution éclata de concert avec les citoyens pâles, les vrais nationaux de la Reine. Les royaumes renversés, la reine fut envoyée pécher des huîtres dans la mer du néant et le roi Colonialisme fut livré à l’ange de la mort. Le soleil venait de se lever et c’était le jour de la libération. Les esclaves devinrent libres ! Les citoyens de chaque pays dirigèrent le Gouvernement de leur état. Ils formèrent l’alliance fraternelle des pays libres. Vive la révolution !!!! »

La Violation d’un pays de Lamine Senghor fonctionne comme un récit qui trace et retrace d’une façon simple, vivante et pédagogique teintée d’optimisme révolutionnaire, à la fois l’histoire de la colonisation et le processus des résistances a la domination, à l’oppression et à l’injustice, jusqu’à la prise de conscience de la nécessité de la révolution mondiale pour l’avènement d’une véritable civilisation de liberté, d’égalité et de fraternité humaine.

Lamine, Senghor, on le voit clairement, est un tout militant, à la fois défenseur de la cause des tirailleurs et plus généralement des Noirs, combattant anticolonialiste, anti-impérialiste, internationaliste et communiste, aucune de ces dimensions n’étant isolée des autres. Comme il le souligne lui-même, « les nègres se sont trop longtemps endormis mais méfiez-vous ! Celui qui a trop bien dormi et qui s’est réveillé ne se rendormira plus. » Une telle prise de conscience a besoin de l’arme de la connaissance, laquelle passe commandes ou s’approvisionne auprès du pharmacien, du libraire et de l’humanité, pour paraphraser Lamine Senghor.

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Et Cheikh Anta Diop de renchérir à travers cette injonction à l’endroit de la jeunesse africaine : « Formez- vous et armez- vous de science jusqu’aux dents ». Nelson Mandela n’enseigne pas autre chose : « L’éducation est l’arme la plus puissante dont nous puissions disposer pour changer le monde ».  Il s’agit de changer un monde charriant fait le mercantilisme néolibéral à tout-va, un monde où tout se vend et où tout s’achète, comme aime à le dire notre l’inusable camarade et doyen Jo Diop, un monde en porte à faux avec les valeurs incarnées, naïvement peut-être, par les habitants de Mbin Jam décrits dans La violation d’un pays, « dans ce pays-là où l’on ignorait ce que c’était que de vendre et d’acheter …»  Défense intransigeante des Noirs dans l’égalité avec toutes les races, respect absolu des peuples et des nations ainsi que de leur droit inaliénable à l’autodétermination, à la souveraineté, à la liberté et à la justice, refus de la domination et de l’exploitation,  promotion du progrès, de la paix universelle et  de l’épanouissement dans la dignité, en un mot l’humanitude sociale érigée en vertu, telle est la voie de l’émancipation humaine, tel est le message sans âge de  Lamine Ibrahima Arfan Senghor. Malgré des tentatives de dénigrement de la part de certains agents de renseignements de la police coloniale chargés de le surveiller, nul patriote africain ne mériterait plus que lui, à notre avis, de voir le Musée des Civilisations Noires de Dakar porter son nom.

Né le 15 septembre 1889, il a quitté très tôt Joal- Fadiouth, son royaume d’enfance. Au terme d’une vie trop brève, faite de sacrifices, d’abnégation et d’engagement militants, Lamine Senghor est décédé le 25 novembre 1927 à Fréjus, dans Le Var (France), laissant orphelines sa femme Eugénie Marthe Comont et sa fille Marianne. En mai 1928, dans un hommage posthume publié dans la revue « La race nègre », ses camarades de combat rappelleront que Lamine Senghor avait été un « sincère africain » et qu’il était mort en « soldat de sa race ». Et feu notre camarade poète Jiléen de proclamer : « Quand retentirent les coups de pilon annonciateurs de l’aube /Il fut des premiers à capter le message /Et à le propager ».

(Extraits de ma Communication : « La violation d’un pays et l’actualité du combat politique et culturel de Lamine Senghor », à l’occasion des panels de commémoration du 90e anniversaire de la disparition de Lamine Senghor – à Dakar le 25 novembre 2017 à l’Espace Harmattan, et à Joal le 16 décembre 2017 au Complexe culturel TannoMaak).

Madieye Mbodj est Professeur de lettres à la retraite, membre fondateur du Front Culturel Sénégalais / Làngug Caada Senegaal.







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