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Le Conseil De SÉcuritÉ À Besoin De L’afrique

L’ambassadrice américaine aux Nations unies, la puissante Linda Thomas-Greenfield, a annoncé, jeudi dernier à New York, que les Etats-Unis apportent leur soutien à la création pour l’Afrique de deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies.

L’impératif de démocratisation du Conseil de sécurité

Créé par la Charte de l’Organisation des Nations unies (Onu) en 1945, cet organe estle principal responsable du maintien de la paix et de la sécurité internationales. Sa présidence est assumée par chaque membre selon un ordre alphabétique. Actuellement, la Slovénie assure cette présidence. Il peut se réunir à tout moment en cas de menace contre la paix. Initialement composé de 11 membres (5 permanents et 6 non permanents élus par l’Assemblée générale pour un mandat de 2 ans), il n’a connu qu’une réforme d’ampleur lorsqu’en 1963, il est passé de 6 membres non permanents à 10.

En cas de succès de l’initiative américaine, 2 Etats africains viendraient cette fois s’ajouter aux 5 membres permanents actuels du Conseil, à savoir les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine. Si les quatre premiers y ont accédé dès 1945 en raison de leur statut de vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, la République populaire de Chine, elle, a succédé à Taïwan grâce au soutien africain lors de la 26e Assemblée générale des Nations unies le 25 octobre 1971.Le Chinois Mao Zedong parlera d’une «dette de gratitude» vis-à-vis de l’Afrique. Il est vrai que le monde ne ressemblant plus à celui de 1945, la supériorité démographique des Etats du Sud dont beaucoup ont pris leur indépendance, portant le nombre d’Etats membres de 51 à 193 aujourd’hui, a renforcé les revendications quant à une plus grande démocratisation de l’institution..

L’héritage de Biden

Cette annonce, qui intervient à quelques jours de la 79e Assemblée générale des Nations unies, est une nouvelle importante. Jamais les Etats-Unis n’avaient pris un tel engagement auparavant

Linda Thomas-Greenfield l’a présentée comme une part importante de l’héritage du Président Joe Biden qui a annoncé, dans la foulée, sa venue prochaine en Angola, son premier voyage en Afrique, confirmant une vieille promesse, supposée le distinguer de son prédécesseur qui, lui, n’avait jamais mis les pieds sur le continent.

Cependant, beaucoup d’observateurs ont vu dans ces engagements, la volonté des Etats-Unis de répondre à la perte de vitesse des Occidentaux en Afrique. Face à l’offensive de la Chine et de la Russie, il devenait en effet urgent pour les Américains de réagir. Un sondage de l’institut américain Gallup d’avril 2024 avait confirmé que la Russie enregistre une popularité en hausse (+8% en un an sur le continent). Quant à celle de la Chine, elle dépasse désormais (58%) les Etats-Unis (56%).

L’Afrique, terrain de rivalité avec la Chine

Il faut dire que la Chine est, depuis 2009, le premier partenaire commercial des pays africains : en 2023, le montant de leurs échanges s’est élevé à 282 milliards de dollars, soit une multiplication par trente en vingt ans, selon le Fonds monétaire international (Fmi). Sur cette période, les entreprises chinoises ont construit le tiers des infrastructures sur le continent. On se souvient des déclarations du ministère chinois des Affaires étrangères détaillant en janvier 2020 ces accomplissements : «6000 kilomètres de voies ferrées, 6000 kilomètres de routes, vingt ports, 80 centrales électriques, 130 hôpitaux et cliniques, 45 stades», des terminaux d’aéroport, des palais présidentiels, des parlements et le bien connu siège de l’Union africaine à Addis-Abeba dont on apprendra en janvier 2017 que les Chinois l’avaient… mis sur écoute. Bien que ces réalisations aient pu se faire au prix d’un endettement élevé de plusieurs pays africains, parmi lesquels la Zambie, le Kenya et l’Ethiopie, elles ont permis aux pays africains de combler une partie de leur retard en matière d’équipements. A cela, il faut ajouter la montée en puissance des Brics dont l’acronyme désigne le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, auxquels il faut ajouter l’Egypte, l’Ethiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis qui les ont rejoints dans la foulée du Sommet de Johannesburg d’août 2023. Les Brics+6 constituent désormais 46% de la population mondiale et 30% du Produit intérieur brut mondial.

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Pour les Etats-Unis, il semble que, depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, les déclarations d’amour ne suffisaient plus : il fallait en montrer les preuves. Malgré la reprise des sommets Usa-Afrique comme celui, remarqué, de décembre 2022 à Washington, les diverses annonces comme la mobilisation de 55milliards sur trois ans, le lancement de nouveaux projets comme le corridor Lobito, le plan de transformation digitale ou la création d’un siège permanent au G20 pour l’Union africaine, les forums Chine-Afrique continuaient d’attirer du monde, y compris le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, présent lors du 9e Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) à Pékin début septembre 2024.

La Russie et la Chine mises au défi

En annonçant leur soutien à deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies pour l’Afrique, les Etats-Unis frappent fort. Ni la Russie ni la Chine, désormais prises au mot, n’avaient été aussi loin. Des années durant, ces deux pays, eux-mêmes membres permanents du Conseil de sécurité, s’étaient fait les champions du mal nommé «Sud Global», sans rien mettre de concret sur la table, ni céder leurs propres prérogatives au sein de l’instance la plus puissante du système onusien.

Quant à l’Afrique, cela faisait en effet des années qu’elle réclamait ces deux sièges. On se souvient en effet qu’en 2005, l’Union africaine avait formalisé les exigences de l’Afrique à travers le Consensus d’Ezulwini, du nom de cette vallée d’Eswatini, réclamant 2 nouveaux sièges permanents avec droit de véto et 2 sièges non permanents. S’il fallait avoir participé à défaire les Nazis en 1945 pour être au Conseil, les Africains ne mériteraient-ils pas tout autant que les autres d’y figurer ? Après tout, les Français n’ont-ils pas lancé la résistance gaullienne depuis Brazzaville, entraînant des bataillons de tirailleurs sur le front européen de la guerre ?

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L’Afrique, 28% des voix à l’Onu

Cette demande est légitime. Un être humain sur quatre sera Africain d’ici 2050. A la fin du siècle, on prédit que l’Afrique sera le continent le plus peuplé de la planète. Elle héberge la jeunesse du monde (42%). Au sein même de l’Assemblée générale des Nations unies, les Africains représentent le groupe le plus important, avec 28% des voix, devant l’Asie (27%), et bien au-dessus des Amériques (17%), et de l’Europe occidentale (15%). Enfin, le nombre important de conflits sur le continent, du Soudan à l’Est de la Republique démocratique du Congo, n’appelle-t-il pas une participation plus importante des Africains à leur résolution ?

L’annonce américaine a été cependant assortie d’une limite importante : pas de droit de veto !Il faut dire qu’avec le droit de veto, il suffit, selon l’article 27 de la Charte des Nations unies, «que l’un des cinq membres permanents parmi les 15 membres du Conseil de sécurité émette un vote négatif pour qu’une résolution ou une décision ne puisse être adoptée», et ce quelle que soit la majorité du Conseil.

Elle ne vaut pas non plus décision puisque, pour entrer en vigueur, elle requérait une révision de la Charte des Nations unies qui, elle-même, ne peut être obtenue qu’avec l’accord des deux tiers de l’Assemblée générale dont les cinq Etats du Conseil munis du droit de veto.

Par ailleurs, on ignore comment cet engagement de Washington est compatible avec sa volonté exprimée antérieurement de soutenir également l’entrée de l’Inde, de l’Allemagne et du Japon dans la même instance.

Qui pour siéger au Conseil de sécurité ?

Du côté africain, alors que le continent est déjà confronté à la redoutable question des modalités d’engagement de l’Union africaine avec le G20 dont il est devenu membre permanent depuis septembre 2023, cette nouvelle réforme a immédiatement déclenché une cascade de questions : quels seraient les deux Etats africains concernés ? Comment les choisir ?

Faut-il privilégier les pays africains à forte croissance ? Dans ce cas, l’Afrique du Sud (avec 373 milliards de dollars) et l’Egypte, les deux premières économies du continent selon le dernier rapport du Fonds monétaire international sur les perspectives économiques mondiales d’avril 2024, devraient accéder au Conseil de sécurité. Mais pour combien de temps ? L’année dernière encore, le Nigeria était la première économie du continent.

Le Nigeria justement. Avec 223 millions d’habitants selon la Division de la population des Nations unies, il est la première puissance démographique du continent. Et si la démographie faisait la différence ? La prime reviendrait aussi à l’Ethiopie (126 millions).

Le pays de Nelson Mandela

Et puis, il y a l’Afrique du Sud, autre prétendant au siège permanent qui a l’atout d’avoir donné à l’Afrique le plus illustre de ses fils récents, Nelson Mandela. Malgré les récentes inquiétudes concernant la violence xénophobe à l’encontre de certains migrants africains, l’Afrique du Sud a une audience universelle due à l’histoire de sa libération nationale à laquelle la plupart des pays africains ont pris part. Après ses premières élections démocratiques en 1994, l’un des pays les plus multiraciaux d’Afrique a adopté l’une des constitutions les plus démocratiques du monde. Depuis, l’Afrique du Sud était le seul pays africain à être membre des Brics jusqu’en 2024 et le seul Africain du G20dontil assurera la présidence le 1er décembre prochain. En 2010, elle a été aussi le premier pays africain à accueillir la Coupe du monde de la Fifa, jouant de sa diplomatie sportive pour vanter son soft power. Mais l’Afrique du Sud post-Mandela consentira-t-elle à enfin regarder du côté de l’Afrique au lieu de l’Océan indien ? A quand une stratégie panafricaine de la Nation arc-en-ciel ?

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«Oho ! Congo»

Enfin, il y a la République démocratique du Congo (Rdc). Qui songerait à elle, sinon Leopold Sédar Senghor, président inaugural de la République du Sénégal ?

«Oho ! Congo couchée dans ton lit de forêt, reine sur l’Afrique domptée,

Que les phallus des monts portent haut ton pavillon…»

Il est assez contre-intuitif de placer la Rdc parmi les prétendants africains au Conseil de sécurité. D’ailleurs, elle n’a pas osé y songer pour elle-même. Frontalier de neuf pays, ce pays est pourtant riche par son solde cobalt, cuivre, zinc, or, platine, indispensables à la transition énergétique mondiale, et aussi de sa culture avec ses deux cents langues. Kinshasa, avec ses dix-sept millions d’habitants, est également la plus grande ville francophone, avant Paris. Au Conseil, le Congo saura s’adresser aux trois cents millions de francophones dans le monde et… aux trente millions de locuteurs lingala d’Afrique. Fascinée, Linda Thomas-Greenfield que je recevais à Atlantic Council il y a trois ans lors de son premier entretien après sa prise de fonctions, me disait ceci : «Chaque fois que je vois le film Black Panther, je pense que c’est le Congo. Et je sais que c’était une histoire imaginaire, mais imaginez une Rdc où les ressources disponibles là-bas seraient utilisées pour construire le pays, seraient utilisées pour éduquer les gens, seraient utilisées pour fournir des soins et des services de santé au Peuple de la Rdc, et nous aurions un Wakanda en devenir.»

Mais la raison la plus importante pour laquelle la Rdc devrait être un membre permanent du Conseil de sécurité réside moins dans ses forces que dans ses faiblesses : trente ans de guerres civiles, de coups d’Etat politiques, l’impuissance de la plus vieille mission de l’Onu, la détresse de 4, 5 millions de personnes déplacées. Le Congo est une longue tragédie qui ne semble même pas déranger la Communauté internationale.

Et c’est bien pour cela que le pays a besoin d’un levier puissant, ce siège au Conseil, pourque l’attention demeure sur ses malheurs et qu’une action résolue soit enfin engagée. La Rdc consacrerait ce que Bertrand Badie appelle la «puissance des faibles». Une condition, néanmoins : que ses dirigeants politiques soient à la hauteur d’une telle prétention.







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