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Le Mythe De La DÉcolonisation

Comment la France maintient ses anciennes colonies africaines piégées dans une servitude éternelle

« La France sans l’Afrique, c’est comme un véhicule sans carburant. »[1]

L’histoire prédominante de la France concernant l’Afrique s’affiche dans ses efforts inlassables pour défendre les intérêts de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU ; il s’agit de la France qui promeut la civilisation parmi les tribus primitives d’Afrique dans le contexte d’une culture européenne supérieure, promouvant la démocratie et les droits de l’homme. Le discours de Nicolas Sarkozy devant des étudiants sénégalais en 2007 suggère que cette perception est encore forte. Il a conclu ses déclarations à la génération des futurs dirigeants du Sénégal en déclarant que l’Afrique ne s’est pas encore développée ni entrée dans l’histoire, montrant ainsi son ignorance du patrimoine culturel de l’Afrique.

Nous entendons rarement les nombreux récits de dirigeants assassinés qui ont donné la priorité au bien-être et au développement de leur peuple et de leur nation plutôt qu’à la France. Jamais on n’entend parler de la manipulation des campagnes électorales en faveur des candidats pro-français, et rarement on entend parler du carcan du système monétaire mis en place par la France pour maintenir ses anciennes colonies dans une servitude éternelle. Le colonialisme a surtout été présenté comme un acte humanitaire commis par des Européens civilisés et cultivés, alors que le fait est que des nations entières ont été déchirées par le colonialisme, poursuivant ainsi la destruction de l’Afrique qui a commencé avec l’asservissement des Africains des siècles plus tôt. Ce que l’esclavage et le colonialisme n’ont pas détruit est aujourd’hui la cible de l’impact économique puissant des économies occidentales promues au nom d’une idéologie néolibérale par les institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, et les agences d’aide bilatérale.

En dehors de l’Afrique, la France a l’image d’une nation qui défend le meilleur de la civilisation humaine, en particulier dans les arts, y compris la littérature, la cuisine, la mode, le vin et la philosophie. La France est également fortement associée à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle se vante d’être le berceau de la démocratie et expose les valeurs fondamentales de la démocratie dans sa devise nationale : liberté, égalité et fraternité. C’est l’une des destinations touristiques les plus populaires au monde. Mais rares sont les visiteurs de ce pays attrayant qui connaissent l’oppression et l’exploitation continues de ses anciennes colonies africaines par la France et, dans de nombreux cas, sa neutralisation d’individus perçus comme une menace pour les intérêts français.

Contexte

L’exploitation européenne de l’Afrique a commencé dès le XVIe siècle, lorsque les Africains réduits en esclavage ont commencé à arriver dans les Amériques. Depuis lors, il y a eu de nombreux récits de rébellion contre les commerçants et les propriétaires de plantations européens. Ces rébellions, qui témoignent de la résilience et de la volonté des Africains à déterminer leur destin, se sont souvent poursuivies sur le sol africain lorsque les dirigeants locaux se sont sentis menacés par les envahisseurs européens. L’assujettissement de l’Afrique par l’Europe ne s’est pas arrêté à l’asservissement de son peuple. Il s’est étendu à l’extraction des ressources naturelles telles que le sucre, le café, l’huile de coton, le pétrole, le cuivre, le chrome, le platine, le tabac, l’or et l’uranium. L’industrialisation des pays européens dépendait en grande partie du raffinage des matières premières importées d’Afrique.

Jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’Afrique était à la portée de tout le monde sur le principe du premier arrivé, premier servi. Les puissances européennes ont convenu que diviser l’Afrique entre elles serait une meilleure solution. La conférence de Berlin en 1884, un événement charnière qui a eu un impact significatif sur l’Afrique, a facilité la colonisation de l’Afrique et a ouvert la voie à l’exploitation extensive de ses vastes ressources. Quatorze pays ont participé à la conférence. Les grands « gagnants » ont été la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Portugal. Les États-Unis y ont participé, ainsi que plusieurs petits pays européens, comme le Danemark et les Pays-Bas. Les frontières ont été définies sans tenir compte des caractéristiques nationales et ethniques, provoquant ainsi des frictions et des guerres qui se poursuivent jusqu’à ce jour.

La France prend possession de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Dans le même temps, l’Angleterre a colonisé les pays d’Afrique de l’Est et australe, le Nigeria et le Ghana en Afrique de l’Ouest. L’Allemagne prend le contrôle de la Tanzanie, du Togo, du Cameroun et de la Namibie, tandis que le Portugal prend le contrôle du Mozambique, de l’Angola, de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.

Après la création des Nations Unies à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les mouvements d’indépendance ont balayé l’Afrique. Les élites africaines éduquées ont facilité la diffusion d’idées sur le droit à l’indépendance nationale, libre de l’exploitation et du contrôle des puissances coloniales européennes. Ainsi, dans les années 1960, la plupart des colonies africaines sont devenues nominalement indépendantes, à l’exception de celles gouvernées par le Portugal, qui a obtenu son indépendance au milieu des années 1970 lorsque la dictature de Salazar au Portugal a pris fin en 1974. Avec sa défaite dans deux guerres mondiales, l’Allemagne a perdu ses colonies à la fin de la Première Guerre mondiale. La Société des Nations a transféré la responsabilité de ces anciennes colonies allemandes à d’autres puissances européennes, à l’exception du Sud-Ouest africain (Namibie), qui a été remis au pouvoir par la population de la minorité blanche de l’Union d’Afrique du Sud.

Dans de nombreux cas, en particulier dans les territoires sous domination française, la décolonisation a évolué vers un état permanent de néocolonialisme. Depuis 2021, cela s’est traduit par des coups d’État militaires dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger, où les nouveaux dirigeants, avec un soutien important des populations, ont exigé une rupture totale de l’influence néocoloniale de la France, qui ont formé depuis septembre 2023 une Alliance des États du Sahel (ASS). L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki qualifie les putschistes de patriotes africains luttant contre le néocolonialisme français. Les trois pays rebelles à l’ingérence française dans les affaires des pays souverains ont été rejoints par le Sénégal en mars 2024, lorsque le Parti Pastef.[2], qui s’était jusque-là opposé au président soutenu par la France, a accédé à la présidence. Pastef a mené la campagne électorale en exigeant la renégociation de tous les contrats conclus avec la France et ses entreprises transnationales et la mise en place d’un système monétaire national, rompant ainsi avec celui mis en place par la France, lorsque les territoires étaient encore des dépendances de la France.

Notre argument

Dans cet essai, c’est un point significatif de notre argumentation que la France n’a jamais accordé d’indépendance réelle à ses anciens territoires africains. Les observations sur les efforts de la France pour décoloniser les territoires africains au cours des 60 dernières années suggèrent que Paris, avec le soutien de ses alliés occidentaux et agissant souvent comme un instrument pour les intérêts occidentaux, continuera son opposition à tout gouvernement africain qui accorde plus d’attention au bien-être de son peuple et aux intérêts nationaux qu’à la coopération avec la France telle que définie par les accords de coopération signés au moment de l’octroi du statut d’indépendance.  Le statut international de la France et les gains financiers de ses entreprises transnationales dépendent du maintien du contrôle de ses anciens territoires africains. La France s’appuie également sur ses anciens territoires pour justifier son adhésion permanente au Conseil de sécurité, où l’Occident considère la France comme l’ambassadrice de l’Afrique.

Fini le temps où la France, impunément, assassinait impunément des dirigeants nationalistes et entreprenait des interventions militaires pour assurer son autorité. Aujourd’hui, nous remarquons une tendance croissante de la France à changer sa stratégie de contrôle, passant d’une ingérence ouverte dans les élections, de l’élimination des dirigeants nationalistes et des interventions militaires à une exploitation plus subtile de ces pays par son contrôle du système monétaire. Par le biais d’accords avec l’ensemble des pays du CFA, la France contrôle l’ensemble des liens financiers entre les pays du CFA et l’extérieur.

Au cours des soixante dernières années, depuis que l’indépendance a été accordée aux colonies africaines, nous avons remarqué peu d’amélioration dans leur développement. La principale différence est que pendant la domination coloniale, ces pays étaient dirigés par des représentants du gouvernement français, mais aujourd’hui, les élites nationales ont pris le relais en tant qu’agents de la domination et de l’exploitation étrangères.

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Des rêves de coopération panafricaine à la dépendance néocoloniale

L’indépendance des colonies africaines est rarement venue de soi. La résistance armée, en particulier en Afrique occidentale française, a souvent précédé l’octroi de la souveraineté nationale. L’indépendance comportait l’attente et la promesse de l’autonomie politique et économique, de l’autosuffisance et de l’africanisation des affaires, du panafricanisme et du non-alignement. Malgré cela, la France a souvent réussi à faire gouverner ces nouvelles nations par ses candidats malgré une résistance intense et généralisée organisée par des groupes d’opposition. Le Cameroun illustre bien la difficulté de la transition vers l’indépendance nationale. Ruben Um Nyobé a été tué dans la brousse par l’armée française en 1958. La lutte pour une véritable autonomie s’est poursuivie au Cameroun tout au long des années 1960 contre un gouvernement considéré comme une marionnette de la France. Le dernier chef de l’opposition a été condamné et exécuté en 1971.

Les puissances coloniales des pays d’Europe occidentale ont justifié leur conquête et leur domination des pays africains par leur impact « civilisateur » sur les sociétés africaines primitives. L’impact civilisateur était destiné à justifier leur massacre et leur assujettissement pour les rendre conformes aux valeurs occidentales, prétendant soutenir le bon ordre, la liberté, l’égalité et la justice. Les avantages pour l’Europe de l’exploitation des ressources naturelles de l’Afrique ont été rarement mentionnés, bien qu’ils aient joué un rôle très important dans le contrôle continu de la France sur les anciennes colonies. Les atrocités commises sous l’égide de la culture et de la civilisation européennes ont été soigneusement documentées au cours des nombreux siècles où l’Europe a gouverné le monde, imposant son ordre de patriarcat misogyne, d’esclavage et de racisme, de colonialisme, d’intolérance religieuse, de répression de la pensée et de destruction de l’environnement au service de l’exploitation économique.[3].

Mise en œuvre des politiques de décolonisation de la France

Dès le début de la présidence du général Charles de Gaulle en 1958, il est devenu évident qu’il pensait que la France n’avait rien à gagner à accorder l’indépendance à ses colonies en Afrique et ailleurs. Le continent africain constitue un fournisseur indispensable de ressources naturelles pour les industries manufacturières en France.  Au début des années 1980, les importations de minéraux critiques d’Afrique vers la France se répartissaient comme suit : Uranium 100 % (Gabon et Niger), 90 % de bauxite (Guinée), 76 % de manganèse (Gabon et Afrique du Sud), 59 % de cobalt (Zaïre, Zambie), 57 % de cuivre (Zaïre et Zambie), Phosphate 56 % (Maroc et Togo). Par ailleurs, 70 % de l’essence est extraite dans le monde par Total en Angola, au Cameroun, au Congo et au Gabon. Il n’est donc pas étonnant que le président de Gaulle ait choisi comme principal conseiller pour les affaires africaines une personne qui ne s’est pas abstenue de commettre des assassinats pour promouvoir les intérêts économiques et politiques de la France. L’homme chargé d’assurer la domination continue de la France sur l’avenir de ses anciennes colonies était Jacques Foccart. Sous sa supervision directe, on estime que la France, de la manière la plus brutale et la plus inhumaine, a été directement responsable de l’assassinat de sept dirigeants sur un total de seize. La principale préoccupation de Foccart était d’assurer des ressources pour les sociétés transnationales françaises. Il a développé des contacts personnels avec tous les présidents africains des anciennes colonies françaises. Il a su manipuler quelques-uns d’entre eux – comme les présidents du Gabon et de la Côte d’Ivoire – pour servir d’intermédiaires avec leurs collègues présidentiels dans l’intérêt de la France. Celle-ci est devenue connue sous le nom de Françafrique, qui est définie comme la sphère d’influence de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne. De cette manière, la Françafrique est devenue un instrument dans la mafia des affaires française et son exploitation des ressources naturelles de l’Afrique. Pendant près de 40 ans, jusqu’à sa mort en 1997, Jacques Foccart a eu une influence directe sur la politique de la France dans ses territoires africains. Son impact se fait encore sentir aujourd’hui.

En examinant l’approche de la France pour rester au pouvoir, nous pouvons détecter plusieurs procédures qui se chevauchent parmi les mesures privilégiées par Foccart pour assurer son leadership. La première serait d’influencer le choix du chef de l’État et des individus aux postes clés du gouvernement.[4]. Si la France ne parvenait pas à obtenir le soutien populaire pour son choix de leadership, elle avait recours à un contre-plan, consistant souvent en un complot visant à éliminer le dirigeant national concerné. Un tel complot était exécuté dans le plus grand secret et de préférence présenté comme résultat de conflits locaux, comme ce fut le cas lorsque Thomas Sankara du Burkina Faso a été tué par son « ami » et compagnon d’armes, Blaise Campaoré, en 1987. Dans quelques cas, Focccart n’a pas réussi à obtenir l’approbation présidentielle pour ses plans visant à éliminer un président déloyal. C’est ce qui s’est passé avec le président Touré en Guinée après qu’il ait demandé à la population guinéenne si elle souhaitait conclure un accord de coopération avec la France. Le résultat du référendum a été un rejet clair de la proposition. Touré développa alors un système monétaire national. Foccart a d’abord conseillé au président de Gaulle de le tuer, mais de Gaulle a eu une autre idée, ce fût de mettre le pays à genoux. La France a imprimé des millions de faux billets du jour au lendemain et en a inondé la Guinée.

L’impact a été catastrophique et se fait encore sentir aujourd’hui en Guinée. La réaction de la France a servi d’avertissement aux autres pays en quête de souveraineté nationale. Sékou Touré jouissait d’une reconnaissance positive parmi les dirigeants africains. Le président du Togo, Sylvanus Olympio, l’a désigné comme l’un de ses principaux conseillers. Olympio n’a pas vécu assez longtemps pour le regretter. Il a été tué et éliminé devant l’ambassade des États-Unis à Lomé.

Accords de coopération et de défense avec les anciennes colonies africaines

Avant d’obtenir l’indépendance, Foccart exigeait que tous les pays signent un accord de coopération couvrant les questions culturelles, économiques et de défense. Au début de 1957, la France conçoit la création d’une organisation qui assurerait la gouvernance française des régions africaines. Le rêve d’établir un Sahara français a subi un coup final avec l’issue de la guerre d’Algérie en 1962, qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie.

Sur la base des expériences de l’Algérie et de la Guinée, la France n’accorderait son indépendance qu’après avoir signé des accords de coopération et de défense garantissant un accès continu aux ressources naturelles essentielles. Lors de l’indépendance dans les années 1960, la France a conclu des accords de défense et de coopération avec 23 anciennes colonies. La formation des armées nationales a permis à la France de réduire sa présence militaire de 30 000 soldats dans les années 1960 à 15 000 dans les années 1980. De 1945 à 2005, la France a mené plus de 130 interventions militaires en Afrique, la plupart dans ses anciennes colonies. Depuis l’indépendance de ses colonies dans les années 1960, la France est intervenue militairement plus de 50 fois sur le continent.

La puissance terrorisatrice de la France

Tout dirigeant africain qui s’est montré plus intéressé par le développement de son pays plutôt que par le soutien aux politiques néocoloniales de la France a commis une grave erreur et s’est placé dans la ligne de mire des programmes d’élimination de Foccart. Il ne fait guère de doute que le succès de la stratégie Foccart repose sur la peur et la terreur. Foccart avait un pouvoir énorme et exécutait parfois des décisions sans demander l’approbation présidentielle préalable, comme dans le cas de Mamadou Dia, le chef du premier gouvernement indépendant au Sénégal. La France pensait qu’il était plus intéressé par le développement des zones rurales et le renforcement de la coopération du Sénégal avec d’autres pays africains. Le président français de la Chambre de commerce de Dakar a conseillé à Mamadou Dia de limiter tous ses discours sur le socialisme africain aux masses rurales appauvries et de céder les zones les plus rentables au secteur privé géré par les entreprises françaises. D’accord avec le président Senghor, Mamadou Dia a été accusé d’un coup d’État. Pour contrer toute résistance de Mamadou Dia, Foccart alerte les parachutistes français sur les bases sénégalaises. Des mesures similaires ont été prises au Gabon lorsque l’armée a tenté de renverser le président Mba.

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Foccart a fait intervenir l’armée française parce que le président Mba était loyal aux intérêts de la France. En 1963, il fait tuer le président togolais Sylvanus Olympio. Tout en plaidant pour des liens plus forts avec le monde anglophone, en particulier avec le Royaume-Uni, les États-Unis et le Nigeria, Olympio a fait plusieurs efforts pour renforcer les forces anticoloniales entre les pays africains. En tant que Premier ministre du Togo, il a été une épine dans le pied des Français lorsqu’il a nommé Sékou Touré, de Guinée, conseiller spécial de son gouvernement. Foccart a bloqué la grâce du président Pompidou à l’égard du chef de l’opposition camerounaise Ernest Ouandié, condamné à mort et exécuté en 1971. En 1987, Foccart a orchestré l’assassinat de Thomas Sankara, le président populaire du Burkina Faso. La décision de le faire tuer aurait été prise lors de la visite du président Mitterrand en 1986. Lors d’un dîner officiel, Sankara a critiqué la France pour sa collaboration avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Son discours est devenu le dernier clou dans son cercueil lorsque les services de renseignement français, en collaboration avec la CIA, ont décidé de se débarrasser de Sankara. En 1994, Foccart organise la réhabilitation de Mobutu, qui, depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, avait maintenu le Congo dans une pauvreté abjecte alors que sa richesse personnelle équivalait à plusieurs décennies d’aide financière à son pays.

On espérait que la néo-colonisation de ses anciens territoires africains aurait pris fin à la mort de Foccart en 1997. Mais cela n’a pas été le cas. La France a continué ses crimes contre les intérêts et le bien-être de populations entières de ses anciennes colonies. Sa dernière intervention militaire a eu lieu en Côte d’Ivoire en 2011, lorsque l’armée a ouvert la voie au candidat à la présidence française.

CFA : L’arme invisible

L’héritage du général de Gaulle pèse lourdement sur les efforts de la France pour adapter ses procédures de décolonisation aux évolutions de l’environnement politique. Heureusement pour la France, elle dispose encore d’un atout puissant, à savoir celui du CFA – Communauté Financière Africaine. De plus, cette carte est pratiquement impossible à tracer pour ses utilisateurs et ne laisse aucun lien entre ses victimes et la cause de leur misère. Le CFA s’est avéré être une arme aussi efficace que toutes les tentatives précédentes de contrôle des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Par conséquent, la monnaie CFA a été ciblée par les dirigeants nationaux et les économistes panafricains. La question de la monnaie nationale a également fait son entrée dans la récente campagne présidentielle d’Ousmane Sonko du parti Pastef. Initialement, le CFA a été promu sous le slogan de promouvoir la stabilité économique et sociale dans les anciennes colonies, alors que la réalité est que le CFA continue de maintenir ces pays dans une pauvreté servile et sans aucun moyen disponible pour le développement des industries locales, laissant tous les bénéfices à l’État français et à ses entreprises privées, telles que Bolloré, Total, Areva, Bouygues, Auchan et bien d’autres. Un examen mondial des économies suggère que pratiquement aucun pays n’a progressé économiquement avec son système monétaire contrôlé par une puissance étrangère. C’est le cas du CFA mis en place par le ministre français des Finances en décembre 1945 pour renforcer la faiblesse du franc d’après-guerre. Contrairement à la réalité, la France a introduit le CFA avec la raison de sa garantie en l’arrimant au franc français. Même les experts tiennent pour acquis l’idée que les deux banques centrales CFA de Dakar et de Yaonde émettent le franc CFA et bénéficient d’une « garantie illimitée » du Trésor français. Dans une publication récente, un économiste sénégalais bien connu affirme que cette « soi-disant « garantie » est un mythe commode qui légitime l’ingérence continue du gouvernement français dans les affaires économiques et monétaires des pays africains dans l’ère postindépendance[5] ».

L’accord monétaire avec ses anciens territoires africains permet à la France de contrôler toutes les importations et exportations. Cet accord donne à la France le contrôle total des économies de ses anciennes colonies. Les bénéficiaires de ce système sont, en premier lieu, les entreprises françaises. Les réserves de devises étrangères appartenant aux pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont détenues à la Banque de France. La quantité de principe détenue par ces pays était estimée à 36,5 tonnes en 2017[6]. Les prêts obtenus en CFA pour financer des projets, comme le développement d’infrastructures, favorisent les multinationales françaises opérant sur le continent au détriment du développement des entreprises locales.

Le gouvernement français est représenté dans les conseils d’administration des deux banques centrales CFA pour l’Afrique de l’Ouest et centrale avec un droit de veto, ce qui permet à la France d’utiliser la monnaie CFA comme une arme. Cela se fait en instaurant un embargo financier : restreindre l’accès du gouvernement dissident à ses comptes bancaires à la banque centrale ou arrêter le refinancement du système bancaire national et des opérations financières avec le monde extérieur. La France a utilisé ce pouvoir efficacement pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire, lorsque le président Gbagbo a été chassé du pouvoir. Le Trésor français a empêché la Côte d’Ivoire d’utiliser le compte d’opérations.

Lorsque cela n’a pas suffi à empêcher le président Gbagbo de faire avancer les plans de développement d’une monnaie nationale, la France est intervenue militairement pour placer le candidat préféré de la France à la tête du pouvoir. L’armée française a fait arrêter le président Laurent Gbagbo en avril 2011, puis l’a traduit devant la Cour pénale internationale de La Haye en 2011. Gbagbo était devenu trop proche du colonel Kadhafi de Libye, notamment avec les projets de développement d’un système monétaire alternatif au CFA. À la demande de la France, les forces de l’OTAN ont fait tuer le président Kadhafi moins de six mois plus tard, en octobre 2011. La France a éliminé deux menaces importantes qui pourraient entraver son utilisation continue de la monnaie CFA, maintenant ainsi la domination néocoloniale des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Plus récemment, la France a utilisé le potentiel militaire de la monnaie CFA au début de l’année 2022 avec le gouvernement militaire du Mali.

Le développement humain dans les anciennes colonies françaises

Il faut s’attendre à ce que les accords de coopération avec un pays industriel européen avancé comme la France ait eu une incidence positive substantielle sur tout pays partenaire africain. Plus de 60 ans de tutelle française et de contrôle néocolonial continu auraient dû avoir un impact positif sur les pays partenaires, les faisant arriver à un niveau de développement humain plus élevé que les autres pays africains sans un tel accord.

Cependant, un coup d’œil aux statistiques du rapport sur l’indice de développement humain préparé par les Nations Unies montre que c’est loin d’être le cas. Pendant des années, l’ONU a appliqué une mesure sommaire du développement humain. L’indice de développement humain a été créé pour souligner que les personnes et leurs capacités devraient être le critère ultime d’évaluation du développement d’un pays, et non pas seulement la croissance économique. Le dernier classement publié en 2024 montre que les pays sur lesquels se concentre cet essai se classent parmi les plus pauvres du monde.

Alors que la France occupe la 28e place, le Niger, qui satisfait les besoins de la France en uranium, est classé 189e, à seulement quatre places de la dernière place occupée par la Somalie, qui connaît des années de guerre civile. Le Gabon, qui est à la base des plus grandes entreprises d’exploration pétrolière de France, occupe un nombre modeste, 124, tandis que le Mali et le Burkina Faso se classent respectivement 188e et 185e. Le Sénégal, qui a connu une période de relative stabilité depuis son accession à l’indépendance, n’est classé qu’à la 169e place.

Il est ironique et tragique que la France, qui se vante d’être à l’origine de la revendication d’un monde meilleur et plus égalitaire par ses actes d’activités néocoloniales, ait contribué à la pauvreté généralisée et à l’aggravation des inégalités mondiales.

Que serait l’Afrique aujourd’hui sans la France ?

Il vaut la peine de spéculer sur la façon dont le développement aurait pu progresser et apporter du bien-être aux populations d’Afrique de l’Ouest si la France n’avait pas interféré avec les véritables intérêts nationaux de ces anciennes colonies. Une question similaire pourrait être posée partout où une puissance coloniale a imposé sa volonté. Que serait-il arrivé à la RDC, anciennement le Congo, si Lumumba n’avait pas été tué par les Belges en connivence avec la CIA en 1961, quelques mois seulement après l’indépendance ? Quel cours l’histoire aurait-elle pu prendre si Mamadou Dia, au Sénégal, avait pu poursuivre son œuvre, et comment le Burkina Faso aurait-il pu se développer si Thomas Sankara n’avait pas été éliminé en 1987 ? Bien que la France se soit immiscée dans les intérêts nationaux de ces chefs d’État et les aspirations de leurs populations respectives, leur pensée et leurs actions ont effectivement influencé les générations futures de dirigeants.

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Soixante ans se sont écoulés depuis que les idées politiques du premier Premier ministre du Sénégal, Mamadou Dia, l’ont amené sur une trajectoire de collision avec son président, Senghor, et la France. Sous l’influence de la pensée politique de Mamadou Dia, le capitaine Thomas Sankara devient président du Burkina Faso en 1983. Dia et Sankara ont grandement influencé les dirigeants actuels des quatre pays que sont le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal. Ces dirigeants expriment des relations plus étroites avec les cultures africaines qu’avec celle de la France gréco-romaine de Senghor. En tant que tels, ce sont des militants anticolonialistes. Tout comme Dia et Sankara ont recherché l’amitié et l’alliance avec le bloc soviétique et la Chine, les quatre pays cherchent à développer de nouveaux partenariats avec les gouvernements pour les aider à se libérer du piège de la France.

Compte tenu de ce contexte, il semble raisonnable de conclure que le développement souverain en Afrique de l’Ouest et du Centre a été stoppé pendant au moins un demi-siècle. Supposons que les pensées politiques de Mamadou Dia et de Sankara aient eu la chance de se développer et d’être mises en œuvre. Dans ce cas, on peut conclure sans risque de se tromper que bien des tragédies, comme en témoignent les taux élevés de mortalité infantile et maternelle ainsi que le pourcentage élevé de jeunes fuyant vers l’Europe, auraient été évitées. Les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre auraient pu jouir d’un état de bien-être semblable à celui connu dans les pays européens.

Il est donc grand temps que les trois pays de l’ASS et le Sénégal, avec d’autres pays africains, redéfinissent leurs relations avec la France.

France – Dégagez !

Un mouvement populaire fondé par Guy Marius Sagna a contribué à sensibiliser le peuple sénégalais aux problèmes liés à sa dépendance continue vis-à-vis de la France. Sagna a fondé en 2017 un mouvement populaire nommé FRAPP.[7] Ce mouvement s’est rapidement étendu à l’ensemble du pays.  Guy Marius Sagna a su mobiliser des centaines de milliers de sympathisants, en particulier des jeunes, sous le slogan « France, dégage ». Il ne fait guère de doute qu’il a contribué à fertiliser le terrain pour la victoire du Pastef d’Ousmane Sonko. Son mouvement a alimenté les promesses de campagne de Sonko d’une monnaie nationale et a probablement également contribué à renforcer le soutien aux changements de régime dans les trois pays de l’ASS. FRAPP a exigé la révision des codes miniers et des contrats avec les entreprises transnationales étrangères. Depuis la création de FRAPP, son fondateur, Guy Marius Sagna, a passé un temps disproportionné en prison sur ordre de l’ancien président Macky Sall. Aujourd’hui, il est membre de l’Assemblée nationale du Sénégal, représentant Pastef, le parti au pouvoir. Comme le nom du mouvement populaire de Sagna le suggère, la France n’est pas la seule à être visée. Il se concentre sur l’autonomie politique et le développement économique de l’Afrique et, en tant que tel, son mouvement est un véritable mouvement panafricain qui va au-delà du pays d’origine. Les slogans de FRAPP ont également résonné parmi les jeunes des trois pays de l’ASS. Par conséquent, les gouvernements militaires bénéficient d’un soutien populaire pour leurs programmes d’autonomie et de souveraineté.

La blessure de la décolonisation

Cet essai montre que le développement n’est pas encore arrivé dans les anciennes colonies françaises d’Afrique. Nous avons documenté une ligne directe entre le président guinéen Sékou Touré et le chef du premier gouvernement indépendant du Sénégal, Mamadou Dia, en passant par Thomas Sankara, jusqu’à la politique panafricaine d’Ousmane Sonko en solidarité avec les trois pays ayant formé l’Alliance des États du Sahel. Ce que ces dirigeants et d’autres avaient en commun, c’était leur souhait de promouvoir le bien-être des populations africaines en collaborant avec d’autres pays africains en partenariat avec cette partie de la communauté internationale, qui respecte le droit souverain de l’Afrique au développement national. De tels droits ne peuvent être exercés que lorsque les forces impériales institutionnalisées par les grandes entreprises transnationales et les organisations financières internationales, telles que la Banque mondiale et le FMI, ont été brisées.

En tant que seule ancienne puissance coloniale européenne, la France a d’énormes difficultés à aider ses anciennes colonies à obtenir leur souveraineté. Malgré sa devise nationale « Liberté, égalité, fraternité », les inégalités ont considérablement augmenté dans ses anciennes possessions en Afrique de l’Ouest et centrale, tant en termes de comparaison avec les pays développés qu’à l’intérieur des pays. Le combattant américain contre l’inégalité raciale, Malcolm X, a décrit l’impact de l’esclavage comme une blessure qui ne peut pas être guérie parce que « le couteau est toujours dans notre dos.« [8]La métaphore de l’esclavage de Malcolm X s’applique tout aussi bien aux victimes de la colonisation. Pour réparer le mal causé, le couteau doit être retiré et la plaie doit être cicatrisée. Cela s’est avéré impossible pour la France en raison de son manque de volonté politique et de l’influence des entreprises transnationales. Le système d’asservissement du passé a trouvé de nouvelles formes d’exploitation sous le patronage du capitalisme néolibéral commercialisé auprès des pays « indépendants » comme une démocratie enveloppée dans l’habit des droits de l’homme.

Le système capitaliste reste plus que jamais dépendant de l’exploitation du monde. Supposons que l’Afrique puisse exiger un prix équitable des ressources ; Le système implose. L’inégalité mondiale néocoloniale est une condition préalable au maintien du niveau de vie de l’Occident. Par conséquent, le capitalisme néolibéral n’accordera jamais la liberté aux nations africaines car cela entraînerait une perte de profit. La liberté, l’égalité et la justice fraternelle ne seront jamais données à l’Afrique puisque la richesse et le bien-être de l’Europe et de l’Occident dépendent de l’appauvrissement continu des masses africaines.

La seule solution est donc de faire comme les quatre pays d’Afrique de l’Ouest : exiger que la France se retire et coupe toutes les conditions à Paris, ce qui bloquerait leur développement souverain.  Ces quatre pays ne sont pas seulement menacés par le bloc des pays occidentaux, mais aussi par leur jeune électorat. Nous pensons que la période électorale de cinq ans ne suffira pas à remplacer les structures coloniales établies au cours du siècle dernier, y compris plus de 60 ans de gouvernance néocoloniale, renforçant la dépendance vis-à-vis de la France et de l’Occident. Des mesures doivent être prises pour permettre aux pays africains de développer des structures économiques et politiques qui soutiennent des pays et des administrations souverains, mettant ainsi fin aux injustices commises depuis le début de l’esclavage. Le monde ne s’améliorera pas tout seul.

[1]       Déclaration attribuée au président gabonais Oumar Bongo Ondimba dans une interview accordée à Antoine Glaser (citée  from  AfricaFrance, Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu. Fayard 2014.).

[2]  Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité.

[3]   Pierre Vespirini : Que faire du passé. Article publié par New Left Review, n° 146 (2024)

[4]   Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla: De la Démocratie en Françafrique. Une Histoire de l’Impérialisme électoral,  La Découverte, 2024,

[5]   Enjeux contemporains du commerce africain et du financement du commerce, CIAT Volume 8 • Numéro 1, décembre 2023

6 La « garantie » française de la convertibilité du franc CFA : aspects politiques et économiques d’un mythe, par Ndongo Samba Sylla.

7. Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla : la dernière monnaie coloniale de l’Afrique. L’histoire du franc CFA, 2020

[7]  Le front révolutionnaire pour un panafricanisme populaire et anti-impérialiste.

[8] Le couteau est toujours dans notre dos : le lavage des réparations et les limites des campagnes de justice réparatrice par Kehinde  Andrews, publié dans Développent and Change, 16 août 2024.







Le Mythe De La DÉcolonisation

Comment la France maintient ses anciennes colonies africaines piégées dans une servitude éternelle

« La France sans l’Afrique, c’est comme un véhicule sans carburant. »[1]

L’histoire prédominante de la France concernant l’Afrique s’affiche dans ses efforts inlassables pour défendre les intérêts de l’Afrique au Conseil de sécurité de l’ONU ; il s’agit de la France qui promeut la civilisation parmi les tribus primitives d’Afrique dans le contexte d’une culture européenne supérieure, promouvant la démocratie et les droits de l’homme. Le discours de Nicolas Sarkozy devant des étudiants sénégalais en 2007 suggère que cette perception est encore forte. Il a conclu ses déclarations à la génération des futurs dirigeants du Sénégal en déclarant que l’Afrique ne s’est pas encore développée ni entrée dans l’histoire, montrant ainsi son ignorance du patrimoine culturel de l’Afrique.

Nous entendons rarement les nombreux récits de dirigeants assassinés qui ont donné la priorité au bien-être et au développement de leur peuple et de leur nation plutôt qu’à la France. Jamais on n’entend parler de la manipulation des campagnes électorales en faveur des candidats pro-français, et rarement on entend parler du carcan du système monétaire mis en place par la France pour maintenir ses anciennes colonies dans une servitude éternelle. Le colonialisme a surtout été présenté comme un acte humanitaire commis par des Européens civilisés et cultivés, alors que le fait est que des nations entières ont été déchirées par le colonialisme, poursuivant ainsi la destruction de l’Afrique qui a commencé avec l’asservissement des Africains des siècles plus tôt. Ce que l’esclavage et le colonialisme n’ont pas détruit est aujourd’hui la cible de l’impact économique puissant des économies occidentales promues au nom d’une idéologie néolibérale par les institutions financières internationales, telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, et les agences d’aide bilatérale.

En dehors de l’Afrique, la France a l’image d’une nation qui défend le meilleur de la civilisation humaine, en particulier dans les arts, y compris la littérature, la cuisine, la mode, le vin et la philosophie. La France est également fortement associée à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Elle se vante d’être le berceau de la démocratie et expose les valeurs fondamentales de la démocratie dans sa devise nationale : liberté, égalité et fraternité. C’est l’une des destinations touristiques les plus populaires au monde. Mais rares sont les visiteurs de ce pays attrayant qui connaissent l’oppression et l’exploitation continues de ses anciennes colonies africaines par la France et, dans de nombreux cas, sa neutralisation d’individus perçus comme une menace pour les intérêts français.

Contexte

L’exploitation européenne de l’Afrique a commencé dès le XVIe siècle, lorsque les Africains réduits en esclavage ont commencé à arriver dans les Amériques. Depuis lors, il y a eu de nombreux récits de rébellion contre les commerçants et les propriétaires de plantations européens. Ces rébellions, qui témoignent de la résilience et de la volonté des Africains à déterminer leur destin, se sont souvent poursuivies sur le sol africain lorsque les dirigeants locaux se sont sentis menacés par les envahisseurs européens. L’assujettissement de l’Afrique par l’Europe ne s’est pas arrêté à l’asservissement de son peuple. Il s’est étendu à l’extraction des ressources naturelles telles que le sucre, le café, l’huile de coton, le pétrole, le cuivre, le chrome, le platine, le tabac, l’or et l’uranium. L’industrialisation des pays européens dépendait en grande partie du raffinage des matières premières importées d’Afrique.

Jusqu’à la fin du 19ème siècle, l’Afrique était à la portée de tout le monde sur le principe du premier arrivé, premier servi. Les puissances européennes ont convenu que diviser l’Afrique entre elles serait une meilleure solution. La conférence de Berlin en 1884, un événement charnière qui a eu un impact significatif sur l’Afrique, a facilité la colonisation de l’Afrique et a ouvert la voie à l’exploitation extensive de ses vastes ressources. Quatorze pays ont participé à la conférence. Les grands « gagnants » ont été la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le Portugal. Les États-Unis y ont participé, ainsi que plusieurs petits pays européens, comme le Danemark et les Pays-Bas. Les frontières ont été définies sans tenir compte des caractéristiques nationales et ethniques, provoquant ainsi des frictions et des guerres qui se poursuivent jusqu’à ce jour.

La France prend possession de la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Dans le même temps, l’Angleterre a colonisé les pays d’Afrique de l’Est et australe, le Nigeria et le Ghana en Afrique de l’Ouest. L’Allemagne prend le contrôle de la Tanzanie, du Togo, du Cameroun et de la Namibie, tandis que le Portugal prend le contrôle du Mozambique, de l’Angola, de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert.

Après la création des Nations Unies à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les mouvements d’indépendance ont balayé l’Afrique. Les élites africaines éduquées ont facilité la diffusion d’idées sur le droit à l’indépendance nationale, libre de l’exploitation et du contrôle des puissances coloniales européennes. Ainsi, dans les années 1960, la plupart des colonies africaines sont devenues nominalement indépendantes, à l’exception de celles gouvernées par le Portugal, qui a obtenu son indépendance au milieu des années 1970 lorsque la dictature de Salazar au Portugal a pris fin en 1974. Avec sa défaite dans deux guerres mondiales, l’Allemagne a perdu ses colonies à la fin de la Première Guerre mondiale. La Société des Nations a transféré la responsabilité de ces anciennes colonies allemandes à d’autres puissances européennes, à l’exception du Sud-Ouest africain (Namibie), qui a été remis au pouvoir par la population de la minorité blanche de l’Union d’Afrique du Sud.

Dans de nombreux cas, en particulier dans les territoires sous domination française, la décolonisation a évolué vers un état permanent de néocolonialisme. Depuis 2021, cela s’est traduit par des coups d’État militaires dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest que sont le Mali, le Burkina Faso et le Niger, où les nouveaux dirigeants, avec un soutien important des populations, ont exigé une rupture totale de l’influence néocoloniale de la France, qui ont formé depuis septembre 2023 une Alliance des États du Sahel (ASS). L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki qualifie les putschistes de patriotes africains luttant contre le néocolonialisme français. Les trois pays rebelles à l’ingérence française dans les affaires des pays souverains ont été rejoints par le Sénégal en mars 2024, lorsque le Parti Pastef.[2], qui s’était jusque-là opposé au président soutenu par la France, a accédé à la présidence. Pastef a mené la campagne électorale en exigeant la renégociation de tous les contrats conclus avec la France et ses entreprises transnationales et la mise en place d’un système monétaire national, rompant ainsi avec celui mis en place par la France, lorsque les territoires étaient encore des dépendances de la France.

Notre argument

Dans cet essai, c’est un point significatif de notre argumentation que la France n’a jamais accordé d’indépendance réelle à ses anciens territoires africains. Les observations sur les efforts de la France pour décoloniser les territoires africains au cours des 60 dernières années suggèrent que Paris, avec le soutien de ses alliés occidentaux et agissant souvent comme un instrument pour les intérêts occidentaux, continuera son opposition à tout gouvernement africain qui accorde plus d’attention au bien-être de son peuple et aux intérêts nationaux qu’à la coopération avec la France telle que définie par les accords de coopération signés au moment de l’octroi du statut d’indépendance.  Le statut international de la France et les gains financiers de ses entreprises transnationales dépendent du maintien du contrôle de ses anciens territoires africains. La France s’appuie également sur ses anciens territoires pour justifier son adhésion permanente au Conseil de sécurité, où l’Occident considère la France comme l’ambassadrice de l’Afrique.

Fini le temps où la France, impunément, assassinait impunément des dirigeants nationalistes et entreprenait des interventions militaires pour assurer son autorité. Aujourd’hui, nous remarquons une tendance croissante de la France à changer sa stratégie de contrôle, passant d’une ingérence ouverte dans les élections, de l’élimination des dirigeants nationalistes et des interventions militaires à une exploitation plus subtile de ces pays par son contrôle du système monétaire. Par le biais d’accords avec l’ensemble des pays du CFA, la France contrôle l’ensemble des liens financiers entre les pays du CFA et l’extérieur.

Au cours des soixante dernières années, depuis que l’indépendance a été accordée aux colonies africaines, nous avons remarqué peu d’amélioration dans leur développement. La principale différence est que pendant la domination coloniale, ces pays étaient dirigés par des représentants du gouvernement français, mais aujourd’hui, les élites nationales ont pris le relais en tant qu’agents de la domination et de l’exploitation étrangères.

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Des rêves de coopération panafricaine à la dépendance néocoloniale

L’indépendance des colonies africaines est rarement venue de soi. La résistance armée, en particulier en Afrique occidentale française, a souvent précédé l’octroi de la souveraineté nationale. L’indépendance comportait l’attente et la promesse de l’autonomie politique et économique, de l’autosuffisance et de l’africanisation des affaires, du panafricanisme et du non-alignement. Malgré cela, la France a souvent réussi à faire gouverner ces nouvelles nations par ses candidats malgré une résistance intense et généralisée organisée par des groupes d’opposition. Le Cameroun illustre bien la difficulté de la transition vers l’indépendance nationale. Ruben Um Nyobé a été tué dans la brousse par l’armée française en 1958. La lutte pour une véritable autonomie s’est poursuivie au Cameroun tout au long des années 1960 contre un gouvernement considéré comme une marionnette de la France. Le dernier chef de l’opposition a été condamné et exécuté en 1971.

Les puissances coloniales des pays d’Europe occidentale ont justifié leur conquête et leur domination des pays africains par leur impact « civilisateur » sur les sociétés africaines primitives. L’impact civilisateur était destiné à justifier leur massacre et leur assujettissement pour les rendre conformes aux valeurs occidentales, prétendant soutenir le bon ordre, la liberté, l’égalité et la justice. Les avantages pour l’Europe de l’exploitation des ressources naturelles de l’Afrique ont été rarement mentionnés, bien qu’ils aient joué un rôle très important dans le contrôle continu de la France sur les anciennes colonies. Les atrocités commises sous l’égide de la culture et de la civilisation européennes ont été soigneusement documentées au cours des nombreux siècles où l’Europe a gouverné le monde, imposant son ordre de patriarcat misogyne, d’esclavage et de racisme, de colonialisme, d’intolérance religieuse, de répression de la pensée et de destruction de l’environnement au service de l’exploitation économique.[3].

Mise en œuvre des politiques de décolonisation de la France

Dès le début de la présidence du général Charles de Gaulle en 1958, il est devenu évident qu’il pensait que la France n’avait rien à gagner à accorder l’indépendance à ses colonies en Afrique et ailleurs. Le continent africain constitue un fournisseur indispensable de ressources naturelles pour les industries manufacturières en France.  Au début des années 1980, les importations de minéraux critiques d’Afrique vers la France se répartissaient comme suit : Uranium 100 % (Gabon et Niger), 90 % de bauxite (Guinée), 76 % de manganèse (Gabon et Afrique du Sud), 59 % de cobalt (Zaïre, Zambie), 57 % de cuivre (Zaïre et Zambie), Phosphate 56 % (Maroc et Togo). Par ailleurs, 70 % de l’essence est extraite dans le monde par Total en Angola, au Cameroun, au Congo et au Gabon. Il n’est donc pas étonnant que le président de Gaulle ait choisi comme principal conseiller pour les affaires africaines une personne qui ne s’est pas abstenue de commettre des assassinats pour promouvoir les intérêts économiques et politiques de la France. L’homme chargé d’assurer la domination continue de la France sur l’avenir de ses anciennes colonies était Jacques Foccart. Sous sa supervision directe, on estime que la France, de la manière la plus brutale et la plus inhumaine, a été directement responsable de l’assassinat de sept dirigeants sur un total de seize. La principale préoccupation de Foccart était d’assurer des ressources pour les sociétés transnationales françaises. Il a développé des contacts personnels avec tous les présidents africains des anciennes colonies françaises. Il a su manipuler quelques-uns d’entre eux – comme les présidents du Gabon et de la Côte d’Ivoire – pour servir d’intermédiaires avec leurs collègues présidentiels dans l’intérêt de la France. Celle-ci est devenue connue sous le nom de Françafrique, qui est définie comme la sphère d’influence de la France sur ses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne. De cette manière, la Françafrique est devenue un instrument dans la mafia des affaires française et son exploitation des ressources naturelles de l’Afrique. Pendant près de 40 ans, jusqu’à sa mort en 1997, Jacques Foccart a eu une influence directe sur la politique de la France dans ses territoires africains. Son impact se fait encore sentir aujourd’hui.

En examinant l’approche de la France pour rester au pouvoir, nous pouvons détecter plusieurs procédures qui se chevauchent parmi les mesures privilégiées par Foccart pour assurer son leadership. La première serait d’influencer le choix du chef de l’État et des individus aux postes clés du gouvernement.[4]. Si la France ne parvenait pas à obtenir le soutien populaire pour son choix de leadership, elle avait recours à un contre-plan, consistant souvent en un complot visant à éliminer le dirigeant national concerné. Un tel complot était exécuté dans le plus grand secret et de préférence présenté comme résultat de conflits locaux, comme ce fut le cas lorsque Thomas Sankara du Burkina Faso a été tué par son « ami » et compagnon d’armes, Blaise Campaoré, en 1987. Dans quelques cas, Focccart n’a pas réussi à obtenir l’approbation présidentielle pour ses plans visant à éliminer un président déloyal. C’est ce qui s’est passé avec le président Touré en Guinée après qu’il ait demandé à la population guinéenne si elle souhaitait conclure un accord de coopération avec la France. Le résultat du référendum a été un rejet clair de la proposition. Touré développa alors un système monétaire national. Foccart a d’abord conseillé au président de Gaulle de le tuer, mais de Gaulle a eu une autre idée, ce fût de mettre le pays à genoux. La France a imprimé des millions de faux billets du jour au lendemain et en a inondé la Guinée.

L’impact a été catastrophique et se fait encore sentir aujourd’hui en Guinée. La réaction de la France a servi d’avertissement aux autres pays en quête de souveraineté nationale. Sékou Touré jouissait d’une reconnaissance positive parmi les dirigeants africains. Le président du Togo, Sylvanus Olympio, l’a désigné comme l’un de ses principaux conseillers. Olympio n’a pas vécu assez longtemps pour le regretter. Il a été tué et éliminé devant l’ambassade des États-Unis à Lomé.

Accords de coopération et de défense avec les anciennes colonies africaines

Avant d’obtenir l’indépendance, Foccart exigeait que tous les pays signent un accord de coopération couvrant les questions culturelles, économiques et de défense. Au début de 1957, la France conçoit la création d’une organisation qui assurerait la gouvernance française des régions africaines. Le rêve d’établir un Sahara français a subi un coup final avec l’issue de la guerre d’Algérie en 1962, qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie.

Sur la base des expériences de l’Algérie et de la Guinée, la France n’accorderait son indépendance qu’après avoir signé des accords de coopération et de défense garantissant un accès continu aux ressources naturelles essentielles. Lors de l’indépendance dans les années 1960, la France a conclu des accords de défense et de coopération avec 23 anciennes colonies. La formation des armées nationales a permis à la France de réduire sa présence militaire de 30 000 soldats dans les années 1960 à 15 000 dans les années 1980. De 1945 à 2005, la France a mené plus de 130 interventions militaires en Afrique, la plupart dans ses anciennes colonies. Depuis l’indépendance de ses colonies dans les années 1960, la France est intervenue militairement plus de 50 fois sur le continent.

La puissance terrorisatrice de la France

Tout dirigeant africain qui s’est montré plus intéressé par le développement de son pays plutôt que par le soutien aux politiques néocoloniales de la France a commis une grave erreur et s’est placé dans la ligne de mire des programmes d’élimination de Foccart. Il ne fait guère de doute que le succès de la stratégie Foccart repose sur la peur et la terreur. Foccart avait un pouvoir énorme et exécutait parfois des décisions sans demander l’approbation présidentielle préalable, comme dans le cas de Mamadou Dia, le chef du premier gouvernement indépendant au Sénégal. La France pensait qu’il était plus intéressé par le développement des zones rurales et le renforcement de la coopération du Sénégal avec d’autres pays africains. Le président français de la Chambre de commerce de Dakar a conseillé à Mamadou Dia de limiter tous ses discours sur le socialisme africain aux masses rurales appauvries et de céder les zones les plus rentables au secteur privé géré par les entreprises françaises. D’accord avec le président Senghor, Mamadou Dia a été accusé d’un coup d’État. Pour contrer toute résistance de Mamadou Dia, Foccart alerte les parachutistes français sur les bases sénégalaises. Des mesures similaires ont été prises au Gabon lorsque l’armée a tenté de renverser le président Mba.

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Foccart a fait intervenir l’armée française parce que le président Mba était loyal aux intérêts de la France. En 1963, il fait tuer le président togolais Sylvanus Olympio. Tout en plaidant pour des liens plus forts avec le monde anglophone, en particulier avec le Royaume-Uni, les États-Unis et le Nigeria, Olympio a fait plusieurs efforts pour renforcer les forces anticoloniales entre les pays africains. En tant que Premier ministre du Togo, il a été une épine dans le pied des Français lorsqu’il a nommé Sékou Touré, de Guinée, conseiller spécial de son gouvernement. Foccart a bloqué la grâce du président Pompidou à l’égard du chef de l’opposition camerounaise Ernest Ouandié, condamné à mort et exécuté en 1971. En 1987, Foccart a orchestré l’assassinat de Thomas Sankara, le président populaire du Burkina Faso. La décision de le faire tuer aurait été prise lors de la visite du président Mitterrand en 1986. Lors d’un dîner officiel, Sankara a critiqué la France pour sa collaboration avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Son discours est devenu le dernier clou dans son cercueil lorsque les services de renseignement français, en collaboration avec la CIA, ont décidé de se débarrasser de Sankara. En 1994, Foccart organise la réhabilitation de Mobutu, qui, depuis l’assassinat de Patrice Lumumba, avait maintenu le Congo dans une pauvreté abjecte alors que sa richesse personnelle équivalait à plusieurs décennies d’aide financière à son pays.

On espérait que la néo-colonisation de ses anciens territoires africains aurait pris fin à la mort de Foccart en 1997. Mais cela n’a pas été le cas. La France a continué ses crimes contre les intérêts et le bien-être de populations entières de ses anciennes colonies. Sa dernière intervention militaire a eu lieu en Côte d’Ivoire en 2011, lorsque l’armée a ouvert la voie au candidat à la présidence française.

CFA : L’arme invisible

L’héritage du général de Gaulle pèse lourdement sur les efforts de la France pour adapter ses procédures de décolonisation aux évolutions de l’environnement politique. Heureusement pour la France, elle dispose encore d’un atout puissant, à savoir celui du CFA – Communauté Financière Africaine. De plus, cette carte est pratiquement impossible à tracer pour ses utilisateurs et ne laisse aucun lien entre ses victimes et la cause de leur misère. Le CFA s’est avéré être une arme aussi efficace que toutes les tentatives précédentes de contrôle des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Par conséquent, la monnaie CFA a été ciblée par les dirigeants nationaux et les économistes panafricains. La question de la monnaie nationale a également fait son entrée dans la récente campagne présidentielle d’Ousmane Sonko du parti Pastef. Initialement, le CFA a été promu sous le slogan de promouvoir la stabilité économique et sociale dans les anciennes colonies, alors que la réalité est que le CFA continue de maintenir ces pays dans une pauvreté servile et sans aucun moyen disponible pour le développement des industries locales, laissant tous les bénéfices à l’État français et à ses entreprises privées, telles que Bolloré, Total, Areva, Bouygues, Auchan et bien d’autres. Un examen mondial des économies suggère que pratiquement aucun pays n’a progressé économiquement avec son système monétaire contrôlé par une puissance étrangère. C’est le cas du CFA mis en place par le ministre français des Finances en décembre 1945 pour renforcer la faiblesse du franc d’après-guerre. Contrairement à la réalité, la France a introduit le CFA avec la raison de sa garantie en l’arrimant au franc français. Même les experts tiennent pour acquis l’idée que les deux banques centrales CFA de Dakar et de Yaonde émettent le franc CFA et bénéficient d’une « garantie illimitée » du Trésor français. Dans une publication récente, un économiste sénégalais bien connu affirme que cette « soi-disant « garantie » est un mythe commode qui légitime l’ingérence continue du gouvernement français dans les affaires économiques et monétaires des pays africains dans l’ère postindépendance[5] ».

L’accord monétaire avec ses anciens territoires africains permet à la France de contrôler toutes les importations et exportations. Cet accord donne à la France le contrôle total des économies de ses anciennes colonies. Les bénéficiaires de ce système sont, en premier lieu, les entreprises françaises. Les réserves de devises étrangères appartenant aux pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont détenues à la Banque de France. La quantité de principe détenue par ces pays était estimée à 36,5 tonnes en 2017[6]. Les prêts obtenus en CFA pour financer des projets, comme le développement d’infrastructures, favorisent les multinationales françaises opérant sur le continent au détriment du développement des entreprises locales.

Le gouvernement français est représenté dans les conseils d’administration des deux banques centrales CFA pour l’Afrique de l’Ouest et centrale avec un droit de veto, ce qui permet à la France d’utiliser la monnaie CFA comme une arme. Cela se fait en instaurant un embargo financier : restreindre l’accès du gouvernement dissident à ses comptes bancaires à la banque centrale ou arrêter le refinancement du système bancaire national et des opérations financières avec le monde extérieur. La France a utilisé ce pouvoir efficacement pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire, lorsque le président Gbagbo a été chassé du pouvoir. Le Trésor français a empêché la Côte d’Ivoire d’utiliser le compte d’opérations.

Lorsque cela n’a pas suffi à empêcher le président Gbagbo de faire avancer les plans de développement d’une monnaie nationale, la France est intervenue militairement pour placer le candidat préféré de la France à la tête du pouvoir. L’armée française a fait arrêter le président Laurent Gbagbo en avril 2011, puis l’a traduit devant la Cour pénale internationale de La Haye en 2011. Gbagbo était devenu trop proche du colonel Kadhafi de Libye, notamment avec les projets de développement d’un système monétaire alternatif au CFA. À la demande de la France, les forces de l’OTAN ont fait tuer le président Kadhafi moins de six mois plus tard, en octobre 2011. La France a éliminé deux menaces importantes qui pourraient entraver son utilisation continue de la monnaie CFA, maintenant ainsi la domination néocoloniale des pays d’Afrique de l’Ouest et centrale. Plus récemment, la France a utilisé le potentiel militaire de la monnaie CFA au début de l’année 2022 avec le gouvernement militaire du Mali.

Le développement humain dans les anciennes colonies françaises

Il faut s’attendre à ce que les accords de coopération avec un pays industriel européen avancé comme la France ait eu une incidence positive substantielle sur tout pays partenaire africain. Plus de 60 ans de tutelle française et de contrôle néocolonial continu auraient dû avoir un impact positif sur les pays partenaires, les faisant arriver à un niveau de développement humain plus élevé que les autres pays africains sans un tel accord.

Cependant, un coup d’œil aux statistiques du rapport sur l’indice de développement humain préparé par les Nations Unies montre que c’est loin d’être le cas. Pendant des années, l’ONU a appliqué une mesure sommaire du développement humain. L’indice de développement humain a été créé pour souligner que les personnes et leurs capacités devraient être le critère ultime d’évaluation du développement d’un pays, et non pas seulement la croissance économique. Le dernier classement publié en 2024 montre que les pays sur lesquels se concentre cet essai se classent parmi les plus pauvres du monde.

Alors que la France occupe la 28e place, le Niger, qui satisfait les besoins de la France en uranium, est classé 189e, à seulement quatre places de la dernière place occupée par la Somalie, qui connaît des années de guerre civile. Le Gabon, qui est à la base des plus grandes entreprises d’exploration pétrolière de France, occupe un nombre modeste, 124, tandis que le Mali et le Burkina Faso se classent respectivement 188e et 185e. Le Sénégal, qui a connu une période de relative stabilité depuis son accession à l’indépendance, n’est classé qu’à la 169e place.

Il est ironique et tragique que la France, qui se vante d’être à l’origine de la revendication d’un monde meilleur et plus égalitaire par ses actes d’activités néocoloniales, ait contribué à la pauvreté généralisée et à l’aggravation des inégalités mondiales.

Que serait l’Afrique aujourd’hui sans la France ?

Il vaut la peine de spéculer sur la façon dont le développement aurait pu progresser et apporter du bien-être aux populations d’Afrique de l’Ouest si la France n’avait pas interféré avec les véritables intérêts nationaux de ces anciennes colonies. Une question similaire pourrait être posée partout où une puissance coloniale a imposé sa volonté. Que serait-il arrivé à la RDC, anciennement le Congo, si Lumumba n’avait pas été tué par les Belges en connivence avec la CIA en 1961, quelques mois seulement après l’indépendance ? Quel cours l’histoire aurait-elle pu prendre si Mamadou Dia, au Sénégal, avait pu poursuivre son œuvre, et comment le Burkina Faso aurait-il pu se développer si Thomas Sankara n’avait pas été éliminé en 1987 ? Bien que la France se soit immiscée dans les intérêts nationaux de ces chefs d’État et les aspirations de leurs populations respectives, leur pensée et leurs actions ont effectivement influencé les générations futures de dirigeants.

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Soixante ans se sont écoulés depuis que les idées politiques du premier Premier ministre du Sénégal, Mamadou Dia, l’ont amené sur une trajectoire de collision avec son président, Senghor, et la France. Sous l’influence de la pensée politique de Mamadou Dia, le capitaine Thomas Sankara devient président du Burkina Faso en 1983. Dia et Sankara ont grandement influencé les dirigeants actuels des quatre pays que sont le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal. Ces dirigeants expriment des relations plus étroites avec les cultures africaines qu’avec celle de la France gréco-romaine de Senghor. En tant que tels, ce sont des militants anticolonialistes. Tout comme Dia et Sankara ont recherché l’amitié et l’alliance avec le bloc soviétique et la Chine, les quatre pays cherchent à développer de nouveaux partenariats avec les gouvernements pour les aider à se libérer du piège de la France.

Compte tenu de ce contexte, il semble raisonnable de conclure que le développement souverain en Afrique de l’Ouest et du Centre a été stoppé pendant au moins un demi-siècle. Supposons que les pensées politiques de Mamadou Dia et de Sankara aient eu la chance de se développer et d’être mises en œuvre. Dans ce cas, on peut conclure sans risque de se tromper que bien des tragédies, comme en témoignent les taux élevés de mortalité infantile et maternelle ainsi que le pourcentage élevé de jeunes fuyant vers l’Europe, auraient été évitées. Les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre auraient pu jouir d’un état de bien-être semblable à celui connu dans les pays européens.

Il est donc grand temps que les trois pays de l’ASS et le Sénégal, avec d’autres pays africains, redéfinissent leurs relations avec la France.

France – Dégagez !

Un mouvement populaire fondé par Guy Marius Sagna a contribué à sensibiliser le peuple sénégalais aux problèmes liés à sa dépendance continue vis-à-vis de la France. Sagna a fondé en 2017 un mouvement populaire nommé FRAPP.[7] Ce mouvement s’est rapidement étendu à l’ensemble du pays.  Guy Marius Sagna a su mobiliser des centaines de milliers de sympathisants, en particulier des jeunes, sous le slogan « France, dégage ». Il ne fait guère de doute qu’il a contribué à fertiliser le terrain pour la victoire du Pastef d’Ousmane Sonko. Son mouvement a alimenté les promesses de campagne de Sonko d’une monnaie nationale et a probablement également contribué à renforcer le soutien aux changements de régime dans les trois pays de l’ASS. FRAPP a exigé la révision des codes miniers et des contrats avec les entreprises transnationales étrangères. Depuis la création de FRAPP, son fondateur, Guy Marius Sagna, a passé un temps disproportionné en prison sur ordre de l’ancien président Macky Sall. Aujourd’hui, il est membre de l’Assemblée nationale du Sénégal, représentant Pastef, le parti au pouvoir. Comme le nom du mouvement populaire de Sagna le suggère, la France n’est pas la seule à être visée. Il se concentre sur l’autonomie politique et le développement économique de l’Afrique et, en tant que tel, son mouvement est un véritable mouvement panafricain qui va au-delà du pays d’origine. Les slogans de FRAPP ont également résonné parmi les jeunes des trois pays de l’ASS. Par conséquent, les gouvernements militaires bénéficient d’un soutien populaire pour leurs programmes d’autonomie et de souveraineté.

La blessure de la décolonisation

Cet essai montre que le développement n’est pas encore arrivé dans les anciennes colonies françaises d’Afrique. Nous avons documenté une ligne directe entre le président guinéen Sékou Touré et le chef du premier gouvernement indépendant du Sénégal, Mamadou Dia, en passant par Thomas Sankara, jusqu’à la politique panafricaine d’Ousmane Sonko en solidarité avec les trois pays ayant formé l’Alliance des États du Sahel. Ce que ces dirigeants et d’autres avaient en commun, c’était leur souhait de promouvoir le bien-être des populations africaines en collaborant avec d’autres pays africains en partenariat avec cette partie de la communauté internationale, qui respecte le droit souverain de l’Afrique au développement national. De tels droits ne peuvent être exercés que lorsque les forces impériales institutionnalisées par les grandes entreprises transnationales et les organisations financières internationales, telles que la Banque mondiale et le FMI, ont été brisées.

En tant que seule ancienne puissance coloniale européenne, la France a d’énormes difficultés à aider ses anciennes colonies à obtenir leur souveraineté. Malgré sa devise nationale « Liberté, égalité, fraternité », les inégalités ont considérablement augmenté dans ses anciennes possessions en Afrique de l’Ouest et centrale, tant en termes de comparaison avec les pays développés qu’à l’intérieur des pays. Le combattant américain contre l’inégalité raciale, Malcolm X, a décrit l’impact de l’esclavage comme une blessure qui ne peut pas être guérie parce que « le couteau est toujours dans notre dos.« [8]La métaphore de l’esclavage de Malcolm X s’applique tout aussi bien aux victimes de la colonisation. Pour réparer le mal causé, le couteau doit être retiré et la plaie doit être cicatrisée. Cela s’est avéré impossible pour la France en raison de son manque de volonté politique et de l’influence des entreprises transnationales. Le système d’asservissement du passé a trouvé de nouvelles formes d’exploitation sous le patronage du capitalisme néolibéral commercialisé auprès des pays « indépendants » comme une démocratie enveloppée dans l’habit des droits de l’homme.

Le système capitaliste reste plus que jamais dépendant de l’exploitation du monde. Supposons que l’Afrique puisse exiger un prix équitable des ressources ; Le système implose. L’inégalité mondiale néocoloniale est une condition préalable au maintien du niveau de vie de l’Occident. Par conséquent, le capitalisme néolibéral n’accordera jamais la liberté aux nations africaines car cela entraînerait une perte de profit. La liberté, l’égalité et la justice fraternelle ne seront jamais données à l’Afrique puisque la richesse et le bien-être de l’Europe et de l’Occident dépendent de l’appauvrissement continu des masses africaines.

La seule solution est donc de faire comme les quatre pays d’Afrique de l’Ouest : exiger que la France se retire et coupe toutes les conditions à Paris, ce qui bloquerait leur développement souverain.  Ces quatre pays ne sont pas seulement menacés par le bloc des pays occidentaux, mais aussi par leur jeune électorat. Nous pensons que la période électorale de cinq ans ne suffira pas à remplacer les structures coloniales établies au cours du siècle dernier, y compris plus de 60 ans de gouvernance néocoloniale, renforçant la dépendance vis-à-vis de la France et de l’Occident. Des mesures doivent être prises pour permettre aux pays africains de développer des structures économiques et politiques qui soutiennent des pays et des administrations souverains, mettant ainsi fin aux injustices commises depuis le début de l’esclavage. Le monde ne s’améliorera pas tout seul.

[1]       Déclaration attribuée au président gabonais Oumar Bongo Ondimba dans une interview accordée à Antoine Glaser (citée  from  AfricaFrance, Quand les dirigeants africains deviennent les maîtres du jeu. Fayard 2014.).

[2]  Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité.

[3]   Pierre Vespirini : Que faire du passé. Article publié par New Left Review, n° 146 (2024)

[4]   Fanny Pigeaud, Ndongo Samba Sylla: De la Démocratie en Françafrique. Une Histoire de l’Impérialisme électoral,  La Découverte, 2024,

[5]   Enjeux contemporains du commerce africain et du financement du commerce, CIAT Volume 8 • Numéro 1, décembre 2023

6 La « garantie » française de la convertibilité du franc CFA : aspects politiques et économiques d’un mythe, par Ndongo Samba Sylla.

7. Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla : la dernière monnaie coloniale de l’Afrique. L’histoire du franc CFA, 2020

[7]  Le front révolutionnaire pour un panafricanisme populaire et anti-impérialiste.

[8] Le couteau est toujours dans notre dos : le lavage des réparations et les limites des campagnes de justice réparatrice par Kehinde  Andrews, publié dans Développent and Change, 16 août 2024.







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