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Quand Amadou Ba PrÉtend RÉpondre À Ousmane Sonko

Je ne peux pas m’abstenir d’engager un petit débat-fut-il prétentieux de ma part avec Amadou Ba ex-Premier ministre sous le régime de Macky Sall. Dans sa dernière sortie médiatique, Amadou Ba cherche à travailler son ethos dans un discours que j’appréhende comme une réplique non assumée face aux déclarations du Premier ministre, Ousmane Sonko qui tenait à rendre compte de la situation en ruine qu’il vient d’hériter de Macky Sall et de son gouvernement. Il me paraît important en tant qu’analyste du discours politique et du discours en général, de relever des distorsions discursives qui mettent à « nue », expression doublement sémantique, car renvoyant aussi bien à la face déformée du locuteur, qu’à ce roman graphique sur le thème du cancer du sein donnant ainsi à entendre la situation de ruine dans laquelle Bah et les pontes de l’ex régime ont plongé le Sénégal.

J’entame mon propos par une citation de Roland Barthes, qui élucide un concept devenu à nos jours incontournable dans les sciences humaines et sociales. Il s’agit de la notion d' »Ethos », concept pluridisciplinaire qui éclaire l’auditeur ou l’auditoire sur la façon dont la personne qui parle façonne son image à travers le choix du registre de langue et des mots dans la production textuelle de son dire. Revenons à cette notion centrale avec Barthes. Pour le linguiste l’ethos s’appréhende comme « les traits de caractère que l’orateur doit montrer à l’auditoire (peu importe sa sincérité) pour faire bonne impression : ce sont ses airs […] L’orateur énonce une information et en même temps il dit : je suis ceci, je ne suis pas cela ».

À ce titre, Amadou Ba contrevient à ce principe discursif, car il opère une focalisation sur sa personne dans le but de se rendre digne de foi : « Ce que l’orateur prétend être, il le donne à entendre et à voir : il ne dit pas qu’il est simple et honnête, il le montre à travers sa manière de s’exprimer »

Le caractère verbal de l’image pose problème dans sa formulation si tenté que l’entreprise de persuasion ne réussit que si « cette confiance soit l’effet du discours, non d’une prévention sur le caractère de l’orateur ».

Dans la même veine, et pour un souci simple qui consiste à se conformer à cette exigence de clarification notionnelle afin que le lecteur ne rencontre quelque difficulté d’adaptation à mon propos, j’évoque toujours Barthes pour éviter que l’on tombe dans le piège enfoui dans le discours d’apparat, qui vise à haranguer l’auditoire enfermé dans une salle de maison. Si l’ethos discursif doit s’envelopper de certaines qualités d’ordre intellectuel voire moral, susceptibles d’éveiller la confiance et d’entraîner la persuasion, celles-ci doivent, cependant, être adossées aux traits appropriés à l’entreprise de persuasion dans laquelle s’inscrit Amadou Ba, et qui doit être conforme au modèle institutionnel dont se réclame son discours. En effet, les objectifs recherchés par l’ancien Premier Ministre de Macky Sall renvoient à un sujet intentionnel qui affiche une activité délibérée d’un acteur politique qui cherche à gérer l’image qu’il lui faut créer dans une situation donnée : une situation de reddition des comptes programmée au sortir des législatives du 17 novembre 2024.

L’ethos, tel que la rhétorique l’envisage, entretient une relation essentielle avec la persuasion, c’est-à-dire l’art de convaincre les destinataires du message afin qu’ils adhérent à un certain point de vue. Amadou Ba cherche non seulement à influer sur une future décision de justice, mais à modifier ou à déconstruire la doxa, c’est-à-dire l’opinion que l’électorat sénégalais se fait majoritairement du leader du Pastef, Ousmane Sonko dont les idées ont fini de s’agréger pour devenir une idéologie. Ses pensées sont devenues un « discours qui, en mobilisant des genres très divers, façonne l’existence de vastes communautés de conviction, qui assigne une identité aux individus et donne sens à leur existence ».

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La prise en compte du lexique chez Amadou Ba est particulièrement importante de ce point de vue et je ne me focaliserai pas sur les lexèmes ouvertement idéologiques dont il a recouru, mais plutôt sur des lexèmes (adjectifs, substantifs, adverbes, déictiques) qui relèvent de la dimension expérientielle de l’orateur et qui sont en mesure de jouer à la fois sur le dire et sur l’énonciation. Mais en réalité, que cherche à faire Amadou Ba si ce n’est de tenter de déconstruire la doxa, cette opinion que les Sénégalais ont majoritairement de lui et son ex-mentor Macky Sall.

Si l’on revient à ce qu’il qualifie d’une « séance de travail », en l’occurrence son discours nous voyons, qu’au-delà du rituel d’usage discursif qui ouvre toute allocution (salutations, décor etc), Amadou Ba se pose comme ce prophète qui avait alerté sur l’urgence d’une action coordonnée des services de l’État :

« mobiliser toutes les ressources du pays pour répondre efficacement à cette crise / protéger nos populations et prévenir de nouvelles tragédies / je me tiens devant vous aujourd’hui pour m’adresser directement aux Sénégalais, car il est de mon devoir et de ma responsabilité pour mettre en lumière les réalités que traverse notre pays/ Depuis l’arrivée des nouvelles autorités , il y a de cela six mois, j’ai choisi librement de garder le silence, mais un silence qui n’est pas du tout de l’indifférence. J’ai volontairement refusé de multiplier les interventions publiques pour leur laisser le temps de s’installer, de prendre connaissance des dossiers et surtout de présenter leur vision pour sortir le Sénégal des difficultés croissantes auxquelles il est confronté ».

Cette allocution m’intrigue de par ses contrariétés et de par ses contradictions. Pour Amadou Ba, plutôt que de contester la situation difficile que le nouveau régime est en train de traverser et qui est imputable au régime de Macky Sall, il donne implicitement raison au Premier ministre Ousmane Sonko qui, lors d’une conférence de presse, avait dénoncé une dette colossale dissimulée et un déficit budgétaire travesti par le régime de Macky Sall. Cette sortie médiatique du gouvernement donna lieu à une polémique sur la scène nationale et internationale.

Ce qui me paraît à juste titre un peu rebutant dans le discours d’Amadou Ba, ce sont les emplois récurrents et trop répétitifs des déictiques de la première personne « je », « moi, me, m’ », et cela dénote, non seulement un narcissisme exacerbé du locuteur, mais également une angoisse existentielle chez lui. Le chef de file de la coalition « Jam ak njariñ » pour les législatives anticipées ne nient pas les allégations de l’actuel gouvernement dirigé par Ousmane Sonko. En revanche, Amadou Ba semble réfuter à titre personnelle son implication sur toute malversation ou gabegie sous quelque forme qu’elle puisse être.

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À ce titre, « l’ethos se montre dans l’acte d’énonciation, il ne se dit pas dans l’énoncé, ce qui met en difficulté Amadou Ba qui tente de justifier ce qu’il prétend qualifier d’accusations portées contre sa personne. Pour donner à voir cet « ethos dit » à la place de l’« ethos montré » qui devrait envelopper son énonciation sans être explicité, Ba nous parle de lui-même tout en versant dans la prétérition : « Je ne suis pas ici pour m’engager dans des polémiques, ni répondre par l’invective parce que les attentes du pays sont ailleurs. Je dois néanmoins rétablir la vérité avec sincérité et sérénité et rappeler les faits rien que les faits » comme si l’on est en présence des Confessions de Rousseau, roman autobiographique dans lequel l’auteur entendait dire toute la vérité.

Mais puisque nous sommes en matière d’État, Amadou Ba ne devait pas se dérober à cette obligation rousseauiste. Sa stature d’homme d’État qui a eu à gérer nos deniers publics et à piloter notre administration voudrait qu’il dise toute la vérité sur sa gestion :

« J’ai gravi les échelons au mérite depuis le début comme inspecteur des impôts, commissaire contrôleur des assurances, inspecteur vérificateur jusqu’à mes fonctions de chef de centre des grandes entreprises, directeur des impôts avant de devenir directeur général des impôts et des domaines pendants sept ans, ministre de l’économie (6 ans), ministre des affaires étrangères et enfin Premier ministre. J’ai toujours mis l’intérêt du Sénégal au-dessus de tout ».

L’énonciation s’inscrit implicitement dans une dynamique réactive. L’orateur tente de justifier sa fortune prétendument excessive. Il me semble que, Amadou Ba manque de rigueur intellectuelle et de probité morale dans la mesure où, en dépit des positions hautement stratégiques occupées dans l’administration sénégalaise, l’ex Premier Ministre n’arrive pas à convaincre par la preuve. Il n’en brandit aucune et à la place il nous sert des allégations à la tonalité rebutante :

« J’ai toujours servi le Sénégal avec rigueur, transparence et intégrité. Aucun acte, aucune écriture ne peut m’être imputé dans quelque gestion frauduleuse ou malversation que ce soit, et je le dis avec foi, fermeté et solennité. Je n’ai jamais été épinglé dans aucun rapport d’audit. J’ai servi mon pays dans le respect strict des règles de bonne gouvernance. Aujourd’hui, certains m’accusent sans apporter la moindre preuve concrète […] Je n’ai jamais falsifié les statistiques budgétaires et je nourris un doute profond sur la véracité de ces allégations ».

Dans ce discours, l’orateur travaille sur un paradigme constitutif du discours politique, à savoir le fait de susciter le pathos dans ses propos pour en faire une preuve à côté du logos afin que « le destinataire construis[e] une représentation évaluée du locuteur en s’appuyant sur les catégories et les normes de la communauté concernée »

Dans cette perspective, l’ethos de victimisation interagit avec les représentations que le public se fait de lui et qui sont antérieures à son discours. Ainsi, il est dans une mise en scène repérable dans la mobilisation du « je » pour en arriver à projeter l’image d’un commis de l’État orthodoxe, intègre et serviteur de son peuple. Les adverbes sont bien choisis et ils confortent l’idée de persévérance au service de l’État « toujours », « jamais ». Le décor colle bien avec l’endroit choisi pour tenir un pareil discours comme en atteste l’approbation de la foule, ce que le locuteur a consciemment suscité :

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« Quand je parle en public, c’est l’approbation du peuple que je veux. Car l’orateur qui par son langage réussit à avoir l’agrément de la multitude, il est impossible qu’il n’ait pas aussi l’agrément des connaisseurs »

Nous sommes dans un processus de prévention qu’Amadou Ba opère sur sa personne. L’orateur convoque deux composants, « le statut institutionnel, les fonctions ou la position dans le champ qui confère une légitimité à son dire [et] l’image que l’auditoire se fait de la personne préalablement à sa prise de parole (la représentation collective, ou stéréotype, qui lui est attachée »

La construction d’un ethos d’homme intègre fonctionne comme un moyen d’échapper à d’éventuelles poursuites judiciaires :

« Je tiens aussi à préciser clairement depuis mon entrée dans le gouvernement en septembre 2013, aucun terrain ne m’a été attribué, aucun immeuble, aucun appartement, aucune villa de l’État ne m’a été cédé ou octroyé sous quelque forme que ce soit. Ces accusations d’accaparement de bien publics me concernant sont injustifiés et relèvent de la pure calomnie, du dénigrement. Je n’ai jamais détourné les biens de l’État ni failli à ma mission de service public […] En tant que serviteur de l’État, je n’ai jamais menti au peuple sénégalais ni cherché à me dérober à mes responsabilités. Ce parcours, je l’ai mené avec honnêteté et j’ai la conscience tranquille. Ces accusations apparaissent dans un contexte particulier, celui de la préparation d’une campagne électorale où on cherche à semer la confusion, discréditer ceux qui comme moi, ont consacré leur vie au service de la nation. Mais je tiens à être clair, rien ne m’empêchera, à part le bon Dieu, d’aller à la rencontre des Sénégalais pour défendre ma vision et mon engagement pour le pays […] Il est essentiel de rappeler les faits et de dresser les faits objectifs de mon passage à la tête du ministère des finances »

En témoigne la modalité auto-référentielle qui traverse tout son discours, en ce sens que l’orateur ne cesse de parler de lui-même au travers des déictiques personnels du type « je », « mon », « m’ » et qui sont autant de variations morphologiques renvoyant à la même référence discursive.

En définitive, Amadou Ba, en tant qu’acteur du monde politique use de subterfuges discursifs pour se conférer une réputation qui tient à deux sources, l’une fonctionnelle et l’autre personnelle. Son statut d’homme politique lui donne une réputation liée à son champ d’activité (efficacité, connaissance des dossiers, honnêteté) et un ethos lié à sa vie privé (pour lui, il partage ce qu’il a acquis comme fonctionnaire compétent). Cependant le locuteur semble oublier que l’ethos qu’il tente de projeter dépend de l’époque, du type de discours et du contexte communicationnel. Il semble oublier que les électeurs dont il convoite le suffrage l’ont désavoué clairement face à ses opposants d’alors devenus actuellement Président de la République et Premier ministre.







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