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La Casserole Carcérale De Reubeuss

La Casserole Carcérale De Reubeuss

La prison est un univers unique, à part au monde, tout à fait inhumain. C’est une spirale infernale qui transforme de jeunes détenus en endurcis. C’est une autre dimension, un autre monde dans lequel les valeurs qui sont les nôtres, qui sont celles du citoyen de base, n’ont pas cours. On est dans un monde où les lois de

la république ne s’appliquent pas. Elle est une machine qui tend à vous rabaisser en dessous de vous-même. Ça vous consume de l’intérieur et vous finissez par en porter des stigmates qui vous suivront toute votre vie.

On ne peut pas parler de prison sans parler de garde-à-vue. Une période 96h que j’ai vécu dans des conditions extrêmement difficiles. Je faisais tous mes besoins naturels dans la même cellule qui faisait à peine 6m². Le tuyau pour évacuer mes urines et selles faisait à peine 10cm de diamètre et l’odeur qui s’y dégageait, devenait chaque jour de plus en plus acre et insupportable. J’avais droit uniquement à une petite bouteille d’eau d’à peine 1L avec laquelle il fallait boire en même temps et tout dépendait d’eux quand il faillait te la donner

suivant tes demandes, c’était vraiment dégueulasse et apparemment ça leur plaisait de voir des gens dans ces conditions inhumaines au vu et au su de toute personne entrant dans le commissariat pour un quelconque besoin. Tu t‘allonges à même le sol. Tout était censuré pour la personne en garde-à-vue et elle n’avait droit à aucune visite, même de ses géniteurs. Pour certains c’était extrêmement gênant, leur dignité humaine étant ainsi bafouée.

Les conditions de détention ne les intéressaient nullement ; ils faisaient montre d’une indifférence manifeste, le sourire narquois quand ils nous regardaient, le ton désagréable quand ils nous parlaient. La ténacité et la rigueur au travail de la police ou de la gendarmerie est notoire mais aussi leur vulgarité et leur arrogance. C’est un trait de caractère que partagent visiblement les hommes de ces deux corps. On avait droit à rien dans la cellule à part ce qu’on portait. En réalité c’était de la méchanceté gratuite malgré un certain nombre de consignes qu’ils ont reçus dans ce sens. Dans certains cas, c’était assimilé à de la torture psychologique pour essayer de te faire craquer, de t’arracher des aveux mais c’était sans me connaître, ignorer mon état d’esprit et ma capacité à vivre dans n’importe quelle situation. Ils ne pouvaient penser à aucun moment que je pouvais dire la vérité et c’est ce que je faisais avec la plus grande honnêteté.

Malgré tout, certains d’entre eux sont intelligents et humains mais on leur mettait des contraintes telles qu’aujourd’hui ils sont dans l’obligation de devenir inhumain. Ils n’ont plus les moyens d’avoir un minimum d’humanité.

Après 48 heures de renouvellement de ma garde-à-vue, je suis finalement déféré au parquet pour faire face au substitut du procureur. Je suis arrivé au tribunal et automatiquement mis dans les caves sises au rez-de-chaussée avec plusieurs autres prévenus. Des pièces qui faisaient à peine 16m² avec une toute petite toilette intérieure. Ils pouvaient y mettre une cinquantaine de personnes ; ils les remplissaient au fil des minutes. Plus ils les remplissaient, plus l’odeur devenait de plus en plus insupportable. Ils ne faisaient pas de différence entre les prévenus, selon les délits ou autres. J’avais l’impression que tous les jeunes de ce pays étaient arrêtés. L’attente pour faire face au substitut devenait de plus en plus longue. Certains dans les caves semblaient être vraiment à l’aise dans cette situation ; ils bavardaient avec une aisance telle qu’ils laissaient paraitre qu’ils sont des habitués des lieux, vu leur comportement avec les gardes pénitentiaires et certaines des familiarités qui existaient entre eux.

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Toute personne dans une cave était plus ou moins considérée comme faisant partie du « bétail » à expédier à la Maison d’Arrêt et de Correction (MAC) de Reubeuss. Néanmoins certains parmi nous réussissaient à obtenir des faveurs de la part de certains gardes qui leur achetaient de la cigarette bien qu’il était interdit de fumer dans les caves ; certains n’en avaient cure. La corruption était manifestement devenue une règle là-bas, il suffisait juste d’avoir de l’argent pour obtenir tout ce que l’on voulait. C’est après mes entrées à Reubeuss et à Cap Manuel que j’ai pris vraiment conscience de l’ampleur de cette corruption. C’était une pratique qui touche toute la ligne des gardes pénitentiaires en contact direct avec les détenus. C’était vraiment la mafia russe avec du racket ; ils n’hésitaient pas à se donner des coups bas pour des broutilles que leur donner les détenus, souvent de quoi acheter un paquet de cigarette. Plusieurs heures pouvaient passaient sans être fixé sur son sort. L’indifférence des gardes était choquante.

Les substituts de procureur qui arrivèrent, se mettaient devant les caves et le responsable leur tendait chacun un pli de dossier constitué de procès-verbaux de police ou de gendarmerie. A l’appel de ton nom, tu devais te présenter devant lui pour une audition expresse ; tu faisais au maximum 2mn de face-à-face. Beaucoup regagnaient les caves, cela signifiait que tu venais d’être placé sous mandat de dépôt et cela concernait 99% de tous ceux qui étaient là. Il fallait vraiment avoir de la chance et du soutien pour bénéficier d’une liberté provisoire en ce moment. J’attendais avec impatience mon tour pour savoir enfin. J’étais le premier parmi un groupe de quatre prévenus, on était les derniers à être appelés. Assis sur une chaise d’attente avec un petit bureau sur lequel est rangé un pli de procès-verbaux, vêtu d’un boubou en wolof, je suis debout devant lui pour une sorte d’audition. Il a commencé par me lire les charges qui pesaient sur moi et me demanda si je reconnaissais les faits ; je répondis par l’affirmative et il me signifia à l’instant qu’il me plaçait sous mandat de dépôt et me communiqua la date de ma première comparution devant le tribunal Régional Hors Classe de Dakar pour une audience en flagrants délits. L’audition a duré à peine deux (02) minutes et on me ramena dans une cave pour attendre le mini car devant nous amener à la MAC de Reubeuss.

L’inconsistance avec laquelle ces substituts de procureur regardent les dossiers est hallucinante. C’est du genre, va moisir en prison, moi j’ai d’autres choses à faire ou bien ma femme ou ma copine m’attend. Quinze minutes après cette face-à-face, les gardes pénitentiaires nous appelèrent un à un jusqu’à ce qu’on atteigne le nombre remplissant le véhicule, direction la MAC de Reubeuss.

On se retrouve devant des gens qu’on ne connaissait pas pour une fouille. C’est humiliant, c’est dégradant après on se retrouve dans une chambre où vous tombez sur des gens que vous ne connaissez ni d’Adam ni d’Eve qui sont encore plus effrayants que les murs où vous êtes et avec lesquels vous allez partager de longs mois voire parfois de longues années. Les murs sont maculés de taches d’une saleté indescriptible. Des pièces qui ont été conçues au départ pour un nombre raisonnable de détenus se retrouvent maintenant avec une

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densité humaine excessive, avec un taux d’occupation qui dépasse parfois largement les 300% pour un espace vital individuel d’environ 0,50m². La couchette, « le packétage », le moment tant redouté par les détenus où il fallait les entasser comme des sardines surtout dans les grandes chambres contrairement dans les petites ou moyennes ou chacun peut souvent disposer d’un matelas.

Dans les grandes chambres, c’est l’esclavage qui est revenu au sens propre du terme. Aucune personne sur terre ne peut faire une représentation dans sa tête pour imaginer comment peut être une chambre à Reubeuss. Vous partagez la cour de promenade avec les rats, des rats qui ne vous fuient plus, c’est vous qui les fuyiez. C’est incroyable mais vrai. Mêmes les animaux enfermés dans les caves au parc Hann ont plus d’espace. Du coup il existe une promiscuité malsaine d’autant plus malsaine qu’on mélange des prévenus avec des gens déjà condamnés qui sont souvent de vieux briscards du système. Deux cent dix-neuf (219) personnes dans une pièce de 11m x 6 avec une seule toilette, des gens qui peuvent rester (parfois involontairement) plusieurs jours sans prendre la moindre douche, je vous laisse imaginer la suite.

La bouffe, n’en parlons pas ! Le fameux « diangan », ce riz pourri à l’odeur nauséabonde qui peut vous exploser les poumons même à 10m. 290F par détenu par jour, c’est volontairement vouloir se débarrasser des détenus par la famine.

Il y a beaucoup de brutalité en prison : physique et psychologique et les détenus deviennent littéralement terrorisés. La plupart d’entre eux sont absolument broyés par le système.

C’est un mal sénégalais que de vouloir mettre à tout prix en détention des gens pas encore jugés par les tribunaux et en plus de les oublier. La longueur des détentions provisoires, elle est entre les mains des magistrats et si un d’entre eux ne décide pas une libération, personne ne peut l’y obliger. Des centaines de

personnes sont incarcérées depuis plusieurs années en attente de procès. Du coup c’est la surpopulation, qui engendre un quotidien où la violence, l’insalubrité, le manque d’hygiène, le défaut de soin, l’absence de politique de réinsertion, les problèmes de santé deviennent la règle. La batterie classique à l’infirmerie : le paracétamol quel que soit ce dont vous souffrez. Des conditions de détentions indignes, lamentables pour un pays comme le Sénégal, des conditions jugées globalement à la limite de la dignité humaine, qui conduit à

des expériences effrayantes. Pour peu révolté que l’on soit, on devient un mécontent qui rejette toute possibilité de bien faire et on risque d’être un récidiviste une fois dehors.

Il y a beaucoup de silence en prison, il s’y passe beaucoup de choses et on ne dit rien à commencer par les détenus après leur sortie, les intellectuels qui ont déjà connu le milieu carcéral et pire encore les organisations des droits de l’homme. La prison abrite beaucoup de gens souffrant des problèmes psychiques. Certains détenus sont dépressifs, d’autres souffrent d’anxiété généralisée, d’agoraphobie, de paranoïa et de psychose hallucinatoire chronique. Elle est devenue le refuge des malades mentaux.

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Il faut des états généraux de la condition pénitentiaire. Une consultation sans précédent doit être lancée sous la forme de questionnaire, à adresser à tous les acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire : qu’il s’agisse des personnes détenues ou de leurs familles, des magistrats, des avocats, des personnels pénitentiaires ou des intervenants en milieu carcéral. L’administration pénitentiaire doit favoriser la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées au lieu de les écraser machinalement par le système, en les mettant dans des conditions de confinement extrême.

La privation de la liberté n’est pas la privation de l’accès au droit ni la privation de la parole. C’est atroce d’être privé de liberté, on souffre en prison et qu’importe les conditions de détention mais après si la prison doit être une vengeance comme Guantanamo, ça s’appelle de la barbarie et les gens qui ont un comportement de ce type mériteraient d’aller en prison, qu’ils soient des hommes politiques ou des citoyens simples parce qu’ils sont potentiellement mauvais. La barbarie c’est un comportement vil.

La prison doit être juste une privation de liberté et non une atteinte de la dignité humaine dans un pays démocratique (j’oublie que le Sénégal n’est pas encore un pays démocratique mais plutôt en instance de démocratie). A la fin, elle devrait servir à quelque chose, un moment de rééducation. Mais entre la volonté politique, des grandes orientations (s’il existe), des textes qui sont votés, des ministres qui malheureusement changent trop souvent, des responsables d’administration au niveau central et puis le terrain, il y a souvent beaucoup de distance. Il faut ressortir de la prison en ayant gagné quelque chose au lieu d’être sorti complètement paumé socialement et condamner à récidiver parce qu’il n’y a plus rien, plus de famille pour beaucoup, plus d’amis. Déjà que les gens qui ont de la famille ont un mal de chien de s’en sortir. Il faut leur donner la possibilité de penser qu’ils ont appris quelque chose et ça, c’est possible.

La prison doit être une rehabilitation dans la société et que ça permette à des gens de réparer les torts qu’ils ont fait aux victimes et de se réparer eux-mêmes parce qu’ils ont fait des victimes c’est parce qu’ils ont été victimes de quelque chose.

Malheureusement il n’y a aucune politique de la peine, précisément il y a une politique de répression, de punition uniquement pour l’opinion publique. On se fout totalement des prisonniers, donc c’est un discours hypocrite, menteur et qui je le crois est extrêmement dangereux parce qu’il fabrique des bataillons de délinquants et ce n’est pas par centaines ou par milliers mais des centaines de milliers.

C’est absolument évident que la prison au Sénégal est devenue un dépotoir social. On a renoncé en à faire un objet social, on en fait un lieu de paria, une zone de lépreux à l’époque où l’on mettait les gens à part.

Il est temps de sortir d’une culture qui persiste à faire de la peine de prison, la peine de référence et à ajouter à la privation de liberté, la privation des droits, l’humiliation et la souffrance au quotidien. Il doit être possible dans notre pays de se rassembler sur un nouveau projet pénal moderne et humaniste.

 

Par un ancien détenu des MAC de Reubeuss et de Cap Manuel

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