Le Bénin a vécu dimanche des législatives singulières où aucun parti d’opposition n’était représenté et ceci en l’absence de tout boycott. Pour un pays qui depuis l’installation du multipartisme en 1990 tient à polir une image de démocratie exemplaire, cette situation devrait plutôt être gênante. Les deux seuls partis politiques autorisés à concourir pour élire les 83 députés de l’Assemblée nationale, à savoir le Bloc républicain et l’Union progressiste, sont parrainés par Patrice Talon, le président béninois lui-même.
Tous les autres partis de l’opposition ont vu leur dossier rejeté par la Commission électorale nationale autonome (Cena) pour non-conformité aux prescriptions légales. Un nouveau code électoral voté fin 2018 et visant à maîtriser l’inflation des formations politiques (près de 250) est passé par là. Mais cet argument est-il recevable si l’on sait que dans l’opposition, on compte des ténors expérimentés comme les deux anciens présidents Yayi Boni de Forces cauris pour un Bénin émergent (Fcbe), Nicéphore Soglo, président d’honneur de la Renaissance du Bénin (Rb), et Sébastien Ajavon de l’Union sociale libérale (Usl) classé troisième à la présidentielle de 2016.
Pourtant, jusqu’au bout, l’opposition croyait pouvoir faire intervenir le président Talon pour un réexamen favorable des dossiers ou au pire reporter les élections législatives. Même l’Union africaine et la Cedeao ont tenté une médiation, mais en vain. La non-satisfaction de cette demande a installé le pays dans une certaine tension et beaucoup d’organisations de la société civile ainsi que des représentants internationaux ont décidé de ne pas superviser les élections pour ne pas donner leur caution à ce qu’ils considèrent comme « une mascarade ».
Les partis recalés ont également appelé les 5 millions d’électeurs béninois à rester chez eux et le faible taux de participation noté sur le terrain prouve qu’ils ont été entendus. Même des partisans du président Talon ont reconnu l’effet sidérant de la faible affluence des électeurs dans les bureaux de vote. Les arrestations d’opposants et de journalistes et le blocage de l’Internet sans explications pendant la journée du scrutin sont vécus, par ailleurs, comme les signes d’une « dérive autoritaire ».
Pourtant, le Bénin était connu pour ses campagnes électorales naguère très animées, savoureuses même au cours desquelles chaque parti présentait son offre politique au peuple souverain. Il est donc étonnant que le président Talon, qui a connu l’exil en France (de mai 2012 à octobre 2015) avant son accession au pouvoir pour des bisbilles avec le régime de l’époque, soit l’homme sous le magistère duquel ce blocage s’est produit. Celui qui a obtenu son bac C (scientifique) à Dakar avant d’entamer à l’Ucad des études de mathématiques et qui ambitionnait d’être pilote de ligne pourra-t-il maintenir l’altitude de croisière à laquelle volait la démocratie béninoise ?
Car le b.a. ba d’une démocratie en bonne santé, c’est l’expression multi-partisane et qui doit se refléter jusqu’à l’Assemblée nationale, l’instance où les forces politiques représentatives votent les lois et contrôlent l’action du gouvernement. Mais la nouvelle législature béninoise sera une assemblée monocolore et c’est là son talon d’Achille, sans mauvais jeu de mots. Ce qui posera forcément un problème de légitimité et constituera un abcès de fixation entre le pouvoir et l’opposition. Cela nous rappelle la pertinence de la déclaration du président Obama qui disait au Caire en septembre 2009 que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes » car elles seules peuvent garantir l’exercice d’une véritable démocratie à même de libérer les forces créatrices. Ces institutions fortes protègent également contre les saillies éventuelles du prince dans la mesure où elles pourront obliger tout le monde à respecter les règles du jeu. Le problème dans beaucoup de démocraties en Afrique et même dans le monde, c’est qu’elles ne sont jamais tout à fait à l’abri d’un processus d’involution, annonciateur d’un recul démocratique. Aujourd’hui, il sera difficile au Bénin de continuer à se réclamer d’un haut standard démocratique alors que l’opposition n’est pas présente à l’Assemblée nationale à cause de ce qui a été susmentionné. Car la démocratie n’est jamais acquise définitivement. Ses conquêtes doivent en permanence être renforcées et préservées par une vigilance citoyenne et ses équilibres maintenus par des institutions solides.