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La Prise En Compte Du Risque Politique Dans La Gouvernance Des Grands Projets D’infrastructure

La Prise En Compte Du Risque Politique Dans La Gouvernance Des Grands Projets D’infrastructure

Caractérisés par une géopolitique de plus en plus turbulente et une complexité accrue des opérations, les projets d’infrastructure exécutés en Afrique sont plus que jamais exposés à divers types de risque d’ordre politique, financier, de conception, contractuel, économique, social, légal, environnemental, etc.). Tous ces risques peuvent avoir une grande influence aussi bien sur le coût, sur les délais et sur la qualité des projets en les affectant négativement. L’atténuation du risque politique et l’adoption des approches managériales novatrices en management de projets, programmes et portefeuilles afin d’optimiser la performance des grands projets d’infrastructure sont devenues une priorité absolue pour l’atteinte des objectifs fixés par les différents Etats. Dans de telles circonstances particulières, la réussite de ces grands projets dépend nécessairement des efforts conjugués des différentes parties prenantes (financiers, promoteurs, contractants, consultants, entrepreneurs, sous-traitants et populations).

Du risque pays au risque politique

Aujourd’hui, comme si bien stipulé dans différents plans d’émergence socioéconomique, les grands projets d’infrastructure qui nécessitent des investissements à la fois lourds et considérables, constituent la principale priorité de certains pays en développement. Le risque politique lié aux revendications des populations (inégalités sociales, chômage, pouvoir d’achat, santé, éducation, formation, logements, sécurité, etc.), aux multiples conflits et aux transitions qui ne sont pas généralement bien anticipées ni maitrisées, constitue un grand défi et un facteur potentiel d’échec de bon nombre de grands projets. Les potentiels risques rencontrés dans les pays en développement sont considérés comme une fonction de la stabilité politique et macroéconomique. Ils se matérialisent lorsque les autorités du pays exproprient des biens, introduisent des restrictions en matière de change, l’instabilité des lois et de la réglementation, des normes juridiques diverses et trop complexes, mais aussi par la violence politique (dommages matériels causés par des grèves récurrentes pour des raisons politiques, émeutes, troubles civils, terrorisme, sabotage, guerres, etc.). Manifestations et blocages des communautés locales, sabotage d’installations des projets, enlèvement ou agression du personnel, déclenchement d’affrontements violents entre groupes armés exigeant des paiements…, toutes ces manifestations de violence peuvent imposer des coûts directs aux grands projets d’infrastructure. En d’autres termes, aucun projet situé dans une zone politiquement instable n’est épargné et est exposé à ce potentiel risque politique.

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Ainsi, les projets d’investissement dans des pays politiquement instables présentent des défis considérables en matière de gestion des risques et plus particulièrement des risques politiques aussi bien pour les promoteurs de projets que pour les investisseurs. En particulier, le risque que l’exécution ou l’exploitation de certains grands projets puisse être affectée par des violences politiques peut constituer une sérieuse menace pour la rentabilité de ces projets. L’expérience a démontré que ces grands projets d’infrastructure sont complexes et exigent de lourds investissements et un de leurs facteurs clé de succès est l’élaboration pratique de cadre juridique et réglementaire durable, pertinent et crédible, capable de sécuriser les ressources financières consenties et de garantir le retour sur investissement attendu par les financiers.

Le risque politique implique la possibilité que les autorités politiques d’un pays donné puissent interférer et influer sur la rentabilité et/ou la viabilité économique, financière et technique à long terme des projets. En d’autres termes, le risque politique est la résultante de décisions, d’événements sociopolitiques dans un pays, pouvant affecter la rentabilité des projets, en impactant le retour sur investissement attendu par les investisseurs et réduisant ainsi leur marge bénéficiaire. Le risque politique est lié à l’instabilité d’un système politique donné et repose sur des indicateurs tels que le protectionnisme, la nationalisation, la confiscation, le contrôle des capitaux, les obstacles administratifs, les droits de propriété incertains, les réglementations discriminatoires ou arbitraires, etc. Chaque pays présente un profil politique différent et représente une source unique de risque politique que les investisseurs, institutions financières internationales et entreprises doivent évaluer et gérer lorsqu’ils réalisent des investissements étrangers pour des projets d’infrastructure. Les lourds investissements requis par les grands projets d’infrastructure, indispensables à l’émergence des économies du continent, impliquent qu’ils doivent être économiquement, financièrement (ratio dettes/fonds propres) et techniquement viables.

La solidité financière et l’expertise technique de toutes les parties prenantes des projets sont cardinales car la rentabilité des projets dépend fortement de la fiabilité et de la pertinence du montage financier. Ils comprennent généralement deux grandes phases, la phase de construction et la phase d’exploitation, et présentent un profil de risque et de rentabilité dépendant de plusieurs variables. C’est dans cet esprit que la violence politique peut limiter les opérations et entraîner des dommages matériels. Le gouvernement hôte peut également exproprier les actifs d’un projet dans certaines circonstances.

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La probabilité d’occurrence de ces événements est relativement faible mais l’ampleur de l’impact est très élevée. Ainsi, il semble exister une forte corrélation entre le taux de réussite des projets et le niveau de risque politique dans un pays donné. Cependant, pour tester afin de mieux appréhender les paramètres de cette relation, il convient inéluctablement de trouver des déterminants et instruments appropriés permettant de mesurer le risque politique. De nombreuses études se sont intéressées aux mesures à utiliser pour évaluer le degré d’impact du risque politique sur la croissance économique ou l’investissement. Il a été convenu que l’incertitude dans les interventions discrétionnaires de l’État demeure le principal obstacle à l’investissement privé et à l’origine du taux élevé d’échecs de projets et programmes. Comme il est important pour les investisseurs que les procédures, contrats et accords, etc., soient appliqués de manière crédible et conforme, il est également clair que la maturité démocratique et la stabilité politique constituent de solides leviers de croissance économique.

Ainsi, les indicateurs du risque politique peuvent être mesurés par diverses variables qui caractérisent un Etat donné. Ces variables permettent de passer d’une mesure très générale de la structure politique sous-jacente ainsi que les institutions politiques à des propriétés plus spécifiques du système politique. Entre autres, on peut citer :

• Manque de maturité démocratique ;

• Instabilité des systèmes politiques ;

• Violence politique ;

• Pression sociale ;

• Inégalités sociales ;

• Taux du chômage ;

• Libertés politiques ;

• Coût de la corruption ;

• Niveau d’endettement ;

• Pib par habitant ;

• Pouvoir d’achat ;

• Coût des grèves, etc

A l’instar de la « maturity modal » en management de projet, la maturité démocratique s’avère être un facteur déterminant de la croissance économique et il existe une forte relation entre la démocratie (liberté civile et droit politique) et l’investissement. Cette relation se veut positive du fait que la démocratie nécessite un large soutien et un consensus au sein de la population et des différents acteurs politiques afin de rendre le processus politique efficace, efficient et sécurisé. C’est là un des paramètres et gage de sécurité que recherche tout investisseur lorsqu’il compte investir dans un projet donné.

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Pour une gestion optimale des projets et programmes inscrits dans les différents plans émergents, les approches suivantes pourraient apporter de la valeur ajoutée : • Atténuer la lourdeur du système administratif (moins bureaucratique et plus proactif) ;

• Opter pour un capital humain hautement qualifié, compétitif et expérimenté ;

• Adopter une approche managériale innovante (moins bureaucratique et plus proactive) qui respecte strictement le délai, le coût et la qualité ;

• Impliquer fortement le secteur privé national avec engagement du gouvernement ;

• Attribuer la gestion des risques à ceux qui sont les mieux en mesure de les gérer

On peut ainsi conclure que le risque politique, qui devrait refléter tous les obstacles éventuels découlant des actions du gouvernement pour un investisseur, ne peut être uniquement mesuré par les variables telles que la démocratie, la stabilité du gouvernement ou la violence politique. Cela signifie que pour mieux examiner afin d’appréhender l’impact du risque politique sur la réussite des grands projets d’infrastructure, il est judicieux d’y intégrer d’autres variables telles que la maturité politique, la bonne gouvernance, etc. C’est dans ce sens que de nombreuses études scientifiques ont démontré que la stabilité politique, bien que représentant un potentiel facteur de garantie pour l’investisseur, ne couvre pas à elle seule tous les risques de prévisibilité des règles d’application des contrats et d’autres risques inhérents à l’investissement. En définitive, les différents gouvernements engagés dans d’ambitieux plans d’émergence, devront adopter des systèmes de management de projets proactifs et innovants afin d’atténuer les pesanteurs administratives et de réduire ainsi les niveaux décisionnels éclatés en plusieurs sphères d’influence. Ceci pourrait ainsi favoriser un environnement professionnel dynamique et propice au développement des grands projets avec à la clef des rendements et une atteinte des objectifs en termes de délais, de coûts et de qualité certaine.

Doctorant Amadou Bocoum est Chercheur en intelligence territoriale,

Papa Momar Fatime Aw est en Sociologue de Grands Projets

Hamdouraby Sy est Professor of Advanced Risk Management.







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