Pour le président de la République, l’enfer c’est vraiment les autres ! Dans la dynamique actuelle visant à restreindre les dépenses publiques non vitales, le chef de l’Etat semble oublier ses propres cordons, jusque là intouchables. C’est le silence total en ce qui le concerne ! Entre ses voyages incessants à bord de l’avion de commandement, les largesses offertes à ses alliés stratégiques de l’assemblée nationale et du Haut conseil des collectivités territoriales, les planques politiciennes que représentent le Conseil économique, social et environnemental et divers autres organes futiles au pays, il y aurait en effet de quoi rediriger plusieurs de milliards de francs Cfa dans des secteurs « productifs » pour la nation.
Le gigantesque chamboulement de la constitution voté par les députés le samedi 4 mai, la disparition du poste de premier ministre, la remise en cause de certains pouvoirs historiques de l’assemblée nationale sont des tournants politiques et institutionnels essentiels qui précipitent le Sénégal dans un nouveau régime dont on peine à comprendre l’horizon et à déterminer les objectifs non avoués d’ici à l’échéance 2024.
En parallèle à cette option brutale de gouvernance verticale imposée au pas de charge par le président Macky Sall, une politique d’austérité (présumée) semble devoir s’imposer également afin que l’Etat et les pouvoirs publics aient les moyens et ressources de donner corps aux engagements électoraux du chef de l’Etat. C’est dans ce cadre que ce dernier s’est d’ailleurs empressé de fermer la porte à toutes demandes de hausses salariales aux organisations syndicales à l’occasion de la fête du 1er mai dernier.
Quand la rareté des ressources de l’Etat devient porteuse de risques sociaux parce que le gouvernement n’aura pas eu les moyens de dérouler de vraies politiques de justice sociale, le réalisme et la raison imposent de changer de cap. On ignore ce que donnera la nouvelle résolution du président Sall à cet effet, mais on sait qu’elle échouera si lui-même ne se met pas en première ligne.
Assemblée nationale, Hcct, Cese…
Le discours présidentiel sur l’idéologie naissante du fast-track et de la rationalisation des ressources publiques ne saurait en effet avoir de sens que si le chef accepte de sacrifier une part significative des intérêts économiques et financiers que la loi met à sa disposition. Or, de la réduction de ses propres dépenses, ce chef n’en parle pas. Comme si l’enfer de l’austérité ne devait concerner que les autres.
Par souci d’équité et de rigueur, et si tant est que ce pays connaît des difficultés qui ne lui permettent pas de discuter de hausse salariale avec les syndicats, si l’Etat semble incapable de respecter la plateforme des accords financiers signés avec les syndicats d’enseignants, si le prix du ciment doit même subir une hausse sous la pression des multinationales Dangoté, Vicat et Ciments du Sahel implantées au Sénégal, alors, le président Sall se doit d’être plus courageux et cohérent dans sa démarche.
A défaut de supprimer le Conseil économique social et environnemental (Cese) et le Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct), l’urgence invoquée exige la réduction drastique de leurs budgets et le passage à terme à un système indemnitaire symbolique pour les conseillers de ces deux organes. Pour 2019, le budget du Cese est de 6 milliards 202 millions de francs Cfa, alors que celui du Hcct est de 8 milliards 640 millions de francs Cfa (avec une hausse de près de 340 millions de francs Cfa par rapport à l’année 2018).
Opacité totale sur les destinations de fonds
L’opinion comprend bien la réalité triste tapie derrière l’existence de ces deux institutions à l’utilité absolument douteuse : des outils d’insertion-fidélisation d’une cohorte de politiciens et de syndicalistes professionnels renforcés par des cadres et experts dont les avis finissent dans les tiroirs à tous les coups. Pendant ce temps, l’assemblée nationale, censée être le sanctuaire du peuple souverain, finasse autour d’un budget de presque 17 milliards de francs Cfa pour l’exercice 2019, avec une opacité totale sur l’utilisation d’une partie des fonds publics.
La politique politicienne au Sénégal est une grande dévoreuse de ressources financières et matérielles. Si le Hcct, le Hcct ou l’assemblée nationale sont des « nains » en la matière, la présidence de la République, sous tous les régimes, reste le nœud gordien de la dilapidation et de la corruption des élites et des masses. L’austérité y trouve donc difficilement sa place.
Des « fonds spéciaux » intouchables
Mamadou Abdoulaye Sow, inspecteur principal du Trésor à la retraite, évalue aujourd’hui les « fonds spéciaux » de la présidence de la République à la somme d’environ 17 milliards de francs Cfa sous forme d’«autorisations budgétaires» diverses. Pourquoi le président de la République n’inclurait pas une bonne partie de cette manne financière dans l’escarcelle des économies envisagées dans le train de vie de l’Etat ? La question paraît fondamentale en dépit de la nécessité de tenir en compte les principes de souveraineté et de sécurité qui sous-tendent le sujet.
L’idée de rationaliser les dépenses publiques peut se défendre car le gaspillage est une réalité insoutenable pour chaque pays et chaque Etat. La vérité est que, dans le cas du Sénégal, avec les objectifs avancés par le chef de l’Etat, il ne semble pas rationnel de faire un aller-retour entre Dakar et Ankara (ou Istanbul) avec…l’avion présidentiel et toutes les dépenses induites par un tel déplacement… Sinon l’enfer sera toujours pour les autres !