NEW YORK-Le monde entier a regardé avec horreur le genou de Derek Chauvin, le bien nommé policier du Minnesota, écraser le cou de George Floyd qui le suppliait de le laisser respirer dans un halètement désespéré : «Je ne peux pas respirer». Jusqu’à ce que mort s’en suive. Cette image effroyable d’un policier blanc s’acharnant sur un homme noir, n’a rien de surprenant pour qui connaît l’histoire des relations interraciales aux Etats Unis. En Amérique, la vie des Noirs ne vaut pas plus que celle des animaux. La mort de George Floyd a permis au monde entier de plonger les yeux dans la terrible réalité de la vie quotidienne des Noirs au pays de l’Oncle Sam. Aucune personne de couleur, le Noir plus frontalement, n’y est épargnée. Le racisme systémique maintient l’Afro-américain dans un état permanent de désuétude et de pauvreté anachronique dans le pays le plus riche du monde. Aucun Noir, y compris l’immigré, n’y échappe.
Je reviendrai dans une prochaine chronique sur mes déboires avec la police pour un simple délit de faciès. Un policier blanc me demandait de justifier ma présence dans un quartier essentiellement blanc et riche de New York. George Floyd, menotté derrière le dos, a été tué par un policier qui s’est bestialement installé sur son cou, la main dans la poche et le regard en feu, pendant que ses trois compagnons de patrouille faisaient semblant de regarder ailleurs.
Pour comprendre comment on en est arrivé à cette situation incroyable, il faut remonter au tout début de la création des Etats Unis, quand les pères de l’Indépendance tels que George Washington avaient eux-mêmes leurs propres esclaves noirs alors qu’ils livraient bataille contre l’Angleterre pour conquérir leur liberté. Le Noir, à l’époque, valait les 3/5 d’une personne. Pour les besoins du recensement de la population, 5 noirs équivalaient à 3 blancs. Bien que beaucoup plus libres que leurs ancêtres, les jeunes Noirs d’aujourd’hui n’en souffrent pas moins d’un racisme systémique qui les maintient au bas de l’échelle économique et sociale. Aux Etats Unis, le racisme commence très tôt pour le jeune Noir au jardin d’enfants et continue avec la prison et les emplois de seconde zone.
A l’âge de cinq ans, chaque enfant américain, quelle que soit sa couleur de peau, est inscrit au jardin d’enfants. En principe, si l’on est né dans le pays le plus riche du monde, on a droit à l’éducation, un moyen sûr de défricher le chemin d’un avenir radieux. Cependant, les disparités dans la qualité des écoles qui perpétuent la domination des Noirs par les Blancs se manifestent très tôt dans la qualité de l’éducation que reçoivent les jeunes Noirs. Il existe aux Etats Unis une loi dite «zoning laws» qui stipule que l’on va à l’école de son quartier. Exactement comme si un enfant de Pikine était interdit d’inscription dans une école de Hann Maristes.
Les Noirs confinés dans les quartiers les plus pauvres des Etats Unis, fréquentent de fait les écoles les moins performantes parce que l’enseignement est du ressort des villes et autres petites localités qui tirent leurs ressources des impôts fonciers et des taxes telles que la TVA que les Sénégalais connaissent bien. Les villes les plus riches, payant le plus d’impôts, peuvent s’offrir les meilleures écoles. Même une ville comme New York n’échappe pas à la règle des disparités dans la qualité de l’enseignement que reçoivent les élèves.
Les enfants d’une partie de Brooklyn, du Bronx et de Harlem traînent ainsi des tares académiques qui commencent au jardin d’enfants et les poursuivent jusqu’au lycée. En vertu du fait que selon la Cour Suprême des Etats-Unis, le citoyen a «seulement droit à une éducation du 5ème secondaire», la mauvaise qualité des écoles des milieux noirs et hispaniques, décourage certains des jeunes Afro-américains et leurs parents. Conséquence : un nombre élevé de sous-éduqués dans la communauté noire du pays. En 2017, seulement 69% des Noirs avaient terminé leurs études de lycéen, contre 86% de Blancs. Le nombre de décrochages chez les jeunes gens de couleur s’explique, en grande partie, par la mauvaise qualité de l’enseignement prodigué dans leur quartier.
Pour survivre, cette population use de tous les moyens qu’elle juge utiles, y compris la vente de drogues. Cependant, autant cette activité illicite est sévèrement punie chez les Noirs, autant elle est tolérée chez les Blancs. Là où un Noir trafiquant de crack – la drogue de prédilection des gens de sa race qui ne coûte que 5 dollars la dose – risque un emprisonnement allant de 15 ans au minimum à la perpétuité, autant pour un Blanc, la peine est sensiblement plus légère pour la même drogue ou la cocaïne. Les juges ont la latitude de décider des peines qui, le plus souvent, varient de la thérapie à un emprisonnement maximal de deux ans. Autre différence de sort : la santé. Le taux de Noirs américains souffrant de maladies chroniques telles que le diabète, l’hypertension artérielle, l’asthme et les maladies rénales et cardiovasculaires est effarant comparé à la population blanche. Pour illustration, le nombre de décès dû à la Covid-19 est trois fois plus élevé chez les Noirs que chez les Blancs. C’est dire…
• Par Aladji Babou TALL
Enseignant à New York