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« Saint-louis Et Ndar Ou Les Deux Faces D’une Meme Medaille »

« Saint-louis Et Ndar Ou Les Deux Faces D’une Meme Medaille »

Dans un article récent, au demeurant d’excellente facture, le Professeur Fadel Dia, écrivain, ancien directeur du CRDS de Saint-Louis suggère d’abandonner le nom de Saint-Louis au profit de Ndar pour des raisons de conformité avec notre identité propre et d’adéquation aux paradigmes de l’Histoire en devenir.

Je voudrais en toute amitié répondre à l’éminent Professeur que « Ndar ou si vous préférez Saint-Louis-du-Sénégal*» n’est prête à renoncer ni à l’une ni à l’autre de ses dénominations et ce, conformément au vœu de la grande majorité des Saint-Louisiens/Doomu Ndar/.

 

En effet, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO sous ce label, notre cité tricentenaire ne peut se permettre de cracher dans la soupe et courir le risque de perdre ce statut enviable. Mais là ne réside pas la raison fondamentale de l’attachement des Doomu Ndar à ce nom de Saint-Louis venu d’ailleurs, d’au-delà des mers. Comme le fait à juste titre remarquer le professeur Souleymane Bachir Diagne « Saint-Louis est une ville métisse et plurielle, cette caractéristique est inscrite dans son ADN et tout acte de nomination doit refléter le poème pluriel qu’elle est, sans en gommer aucune strophe » Cela est l’évidence même : cette ville est le lieu d’une symbiose trinitaire Négro-Africaine, Arabo Berbère et Judéo-Chrétienne Occidentale dans l’ordre des strates historiques qui la fondent.

L’amputer de l’une quelconque de ses composantes, y compris au niveau symbolique de la dénomination, serait un coup porté à son intégrité, à son identité et à son authenticité.

Disons le sans ambages, débaptiser ou plutôt, éradiquer purement et simplement le nom de Saint-Louis au profit exclusif de celui de Ndar équivaudrait à vouloir faire du neuf avec du vieux ( Il ne faut pas oublier que le nom Ndar est antérieur à celui de Saint-Louis), et ne constituerait donc ni une cure de jouvence ni le signal fort d’une entrée dans une modernité souhaitée et souhaitable. C’est un peu comme si, sous prétexte de vouloir faire de Paris une ville du futur, l’on décidait de lui redonner son ancien nom de Lutèce, ce qui serait le comble de l’archaïsme vêtu des oripeaux d ‘une modernité factice. Non, vraiment les Saint-Louisiens sont des Doomu Ndar et les Doomu Ndar sont des Saint-Louisiens. De la même manière, Ndar et Saint-Louis, Saint-Louis et Ndar ne sont que l’envers et l’endroit d’une même médaille. Que l’on ne vienne surtout pas nous accuser de faire dans l’ethnocentrisme insulaire et la fausse fierté identitaire, d’être des « Ndarolâtres » ou des suppôts du colonialisme ou de son avatar, le néo-colonialisme.

Les Doomu Ndar sont d’aussi fiers patriotes que n’importe quels autres Sénégalais et la mémoire collective retiendra aussi que c’est en terre Saint-Louisienne qu’est né « Moom sa Réew », le mouvement d’indépendance le plus radical du Sénégal d’alors. Les Doomu Ndar ont tous des racines dans le pays profond. Ils les connaissent, en sont fiers et ne rejettent aucune des composantes de leur identité. Comme l’écrit le Professeur Fadel Dia dans l’un des beaux passages de son article : « Saint-Louis c’est notre Amérique, le melting-pot où s’est formée une culture neuve, métissée, en rupture avec les ordres anciens.

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Toutes ces raisons devraient inciter tout regroupement de Saint-Louisiens à être, non un cercle fermé, mais une communauté ouverte, sans exclusive, car on appartient à cette ville moins par la naissance que par la culture. C’est pourquoi nous devrions faire de Saint-Louis notre maison familiale, notre patrimoine commun, souhaiter que chaque Sénégalais (et chaque Sénégalaise) y ait un point d’ancrage. »

TOUT UN PROGRAMME !… 

Saint-Louis, il est vrai, a aujourd’hui perdu son prestige de capitale d’empire et ne s’est jamais remise du transfert de ses attributs Dakar, elle a aussi perdu, et cela est bien plus grave, son rôle pôle économique et économique sous l’effet conjugué des catastrophes naturelles et des méfaits humains, au point d’être ravalée au rang de petite ville de province voire de gros bourg. Force est de le reconnaître, Saint-Louis, Ndar-Géej, n’est plus que l’ombre d’elle-même et nombre de Doomu Ndar nostalgiques d’un passé révolu n’ont plus que leurs yeux pour pleurer sa splendeur évanouie dont l’ultime refuge est peut-être l’imagination des poètes. C’est triste mais vrai, la culture raffinée et composite qu’avait su créer Ndar (et qu’on lui a parfois même reprochée, pointant du doigt le maniérisme de ses habitants) a presque totalement disparu. Les vestiges qu’il en reste se meurent à petit feu, à l’ombre des vieilles bâtisses coloniales, rongés par le sel, l’humidité, la pauvreté et la négligence coupable des politiques mais aussi par l’ingratitude de ses enfants les plus favorisés par le destin qui, le plus souvent, ont préféré lui tourner le dos et n’y reviennent malheureusement que les pieds devant. Mais tout ceci n’est pas une raison pour baisser les bras et céder au découragement ou succomber au chant mortifère des sirènes de la nostalgie. Il y a plutôt lieu de se retrousser les manches et de travailler sans relâche pour faire de Saint-Louis une ville résolument tournée vers l’avenir, une ville où il fait bon vivre et, pour reprendre les mots du poète Senghor « poreuse à tous les souffles du monde ». Cela seul pourra faire retrouver à Ndar, la belle endormie, son sourire radieux et son lustre d’antan.

Dans cette marche en avant de leur vieille cité, patrimoine du Sénégal, de l’Afrique et du monde entier, les Saint-Louisiens se doivent d’assumer pleinement leur passé, rester fiers de leur histoire dans sa globalité et ne rejeter aucun des éléments constitutifs de leur identité. Autant il leur faudra veiller à consolider leurs racines profondes, qu’ils ont en commun avec leurs compatriotes, autant il leur faudra être ouverts au monde et rester arrimés aux grands principes de la fraternité humaine et de l’universalité. C’est aussi la raison pour laquelle il est, à mon humble avis, impensable de vouloir « enterrer Saint-Louis, qui est le nom de plusieurs dizaines de villes dans le monde », ce qui du reste constitue pour elle un gage supplémentaire d’universalité et qui garantit son statut de site du patrimoine de l’humanité. C’est le lieu de rappeler l’existence du beau jumelage entre Saint-Louis-du-Sénégal et Saint-Louis-du-Missouri, la ville du Blues, majoritairement peuplée de descendants d’Africains et, comme sa jumelle, située à l’embouchure du grand fleuve Mississipi où s’élève majestueusement le Gateway Arch, ouvrage d’acier qui n’est pas sans rappeler notre pont Faidherbe.

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Et puis, Ndar n’est pas la seule ville au monde à être dotée de deux noms : sans être géographe, je pourrais citer de mémoire la ville de Porto-Novo/Ajashé au Bénin dont la première appellation est Portugaise est la seconde Yorouba. Les habitants de cette ville d’Afrique de l’ouest la désignent indistinctement par l’un ou l’autre de ces deux noms sans que cela ne dérange personne. L’autre problème soulevé par l’article du professeur Dia est celui de la charge symbolique intrinsèque liée au nom Saint-Louis. En effet, Saint-Louis n’a pas été comme beaucoup le pensent, baptisée au nom du roi Louis XIV sous le règne duquel elle a été fondée. Ce dernier n’était pas, loin s’en faut, un saint et la vieille ville porte plutôt le nom du roi Louis IX qui, lui, en était un vrai, et a été canonisé par l’église catholique en la personne du pape Boniface VIII le 4 Août 1298.

Effacer son nom de l’histoire de la ville serait à coup sûr porter atteinte à la sensibilité d’une communauté religieuse qui, si minoritaire soit-elle, a toujours joué et continue de jouer un rôle important dans la bonne marche de Saint-Louis. Après tout, Saint-Louis n’est pas Léopoldville et si les Congolais ont eu mille fois raison de gommer de leur histoire le nom de celui qui fut leur pire bourreau, il n’en va pas de même pour Saint-Louis roi de France qui fut un souverain exemplaire doublé d’un Saint et avec qui les Doomu Ndar n’ont aucun contentieux particulier. Encore heureux que Faidherbe n’ait pas eu l’idée de donner son nom à la ville qu’il a largement contribué à bâtir et qui se serait peut-être appelée Faidherbeville ! Cela aurait en tout cas largement justifié les doléances radicales des militants du mouvement « Faidherbe dégage » ! Mais nous n’en sommes pas là et le nom de ce Louis auréolé de sainteté ne porte pas les mêmes stigmates. Notre souhait est donc qu’il continue d’être le patron de cette ville qui fut aussi visitée par tant de soufis musulmans parmi les plus grands et qui demeure un symbole de cet œcuménisme annonciateur du fameux « dialogue Islamo-Chrétien ». Il est aisé de constater que les débats autour de la question de l’héritage colonial et de son impact sur les consciences collectives et individuelles occupent la une de la presse ces temps derniers. Ces débats sont parfois houleux voire teintés d’une certaine « agressivité », ce qui peut paraître normal au vu de l’importance des enjeux.

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Néanmoins il faut savoir raison garder et éviter que ces échanges intellectuels, dont le but est d’éclairer la lanterne des lecteurs, ne virent à la polémique stérile et ne deviennent contre-productifs. Il serait peut-être plus utile de les recentrer et d’en poser les termes de manière plus apaisée et plus scientifique, sans passion ni ressentiment mais avec la lucidité qu’exige une approche objective des faits et événements de l’Histoire. Il nous faut tous continuer à pratiquer cette introspection critique qui est la base de tout dialogue constructifs et qui seule peut nous aider à nous désinhiber, à nous débarrasser des préjugés, complexes et clichés qui encombrent nos mémoires et les obscurcissent. La décolonisation des mentalités qui est d’abord une affaire collective se pose aussi au niveau individuel et nous enjoint à chacun, d’assumer tous les héritages qui composent et définissent nos identités plurielles.

En définitive, ce qu’il faut En définitive ce qu’il faut d’abord comprendre en ce qui concerne Saint-Louis, c’est qu’elle est le fruit de rencontres multiséculaires, d’une symbiose de cultures, de races, de religions et que son âme profonde est métisse, cosmopolite. Le nom de Saint-Louis doit continuer à faire écho à celui de Ndar dans une harmonie naturelle et sans fausse note. Je conclurai donc cette modeste contribution aux débats sur la place du patrimoine historique de Ndar par ces lignes admirables du professeur Fadel Dia : « L’important aujourd’hui, c’est de redonner à la vieille cité l’harmonie et la grâce dont avaient peut-être rêvé les plus inspirés de ses bâtisseurs ainsi que cette patine qui est la marque d’une longue existence (…). Il faut restituer* Saint-Louis à l’Histoire et rendre à Ndar ce qui lui appartient et qui non seulement survivra au pic des démolisseurs, mais pourrait encore remplir une enviable corbeille de mariage ou inspirer un risorgimento salvateur… »

Louis CAMARA, LE CONTEUR D’IFA.

• *« Ndar ou Saint-Louis-du-Sénégal si vous préférez », extrait de l’incipit de mon roman « Au dessus des dunes » • *restituer : je comprends ce verbe dans le ses de « faire retrouver sa place à… »







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