La situation crise socio-politique que traverse le Sénégal, depuis quelques jours, ne doit nous faire oublier certains d’événements majeurs. Parmi-ci, il y a d’abord ce 20 mars 2021 marquant l’anniversaire de naissance du Professeur Amadou Mahtar MBOW, grand leader aux qualités exceptionnelles, et enfin ce 21 mars 2021, date qui coïncide avec le crash de l’avion des soldats sénégalais au cours de l’opération «Tempête du désert », en 1991. Dans cet article, nous rendons particulièrement hommage mérité à Amadou Mahtar. Quant à la disparition tragique de nos quatre-vingt-treize « Diambars » (93) nous comptons le faire dans une tribune à part.
Pour rappel, l’année dernière, à l’occasion des 99 ans du professeur MBOW, nous avions publié un article pour revenir largement sur l’homme dont le parcours reste exceptionnel et imposant. Notre modeste effort intellectuel a été loué par sa famille et même par beaucoup de compatriotes.
C’est pourquoi, pour ses 100 ans, nous avons décidé de reprendre in extenso le même texte pour nous associer à toutes les personnes qui ont à cœur de rendre un hommage symbolique à cette légende universelle.
Il est des hommes dont l’engagement pour des idéaux de dignité et de liberté de l’homme, resteront à jamais gravés dans la mémoire collective. Le Pr. Amadou Mahtar MBOW fait partie de cette rare catégorie des leaders aux qualités exceptionnelles qui ont su tirer l’humanité vers le haut. Ce 21 mars 2020, cette figure remarquable dont la notoriété transcende toutes les générations, fête ses cent ans (100 ans). Amadou Mahtar MBOW est né le 20 mars 1921 à Dakar. Malgré mon jeune âge, la seule évocation de son nom me rend si fier d’être Sénégalais au regard de son parcours singulier, de son combat inlassable pour les causes nobles. Pour rendre un hommage à cet illustre fils du Sénégal, j’ai parcouru les extraits de l’une de ses interventions à l’occasion de l’ouverture des Assises nationales, le 6 juin 2008.
Le Pr. Amadou Mahtar MBOW intégra très tôt dans sa vie les valeurs de solidarité si chères aux cultures africaines. Dans son adolescence, il a été forgé au principe sacré du scoutisme : « toujours prêt à servir ». Autant de raisons qui ont poussé le Pr. Amadou Mahtar MBOW à ne jamais se dérober, même au soir d’une vie aussi longue que la sienne. Il fait partie des gens de sa génération qui ont lutté pour l’indépendance des pays africains sans jamais chercher à en tirer un profit personnel. En luttant pour l’indépendance, disait-il dans une de ses communications, on ne cherchait pas le pouvoir pour le pouvoir, mais le pouvoir pour que, la liberté acquise et leur dignité recouvrée, nos peuples puissent avoir la maîtrise totale sur leurs ressources afin d’assurer le bien-être dont ils avaient été longtemps privées.
Dès l’âge de 19 ans, plus exactement le 24 mars 1940, il souscrivit un engagement volontaire pour la durée de la guerre et quitta le Sénégal le 27 mars 1940 après avoir subi l’amère expérience d’une armée française défaite, d’avoir frôlé la mort et la perte de liberté. En janvier 1943, il reprit le chemin de l’armée et quitta le Sénégal en décembre la même année pour l’Afrique du nord d’abord, pour la France ensuite où il termina la guerre dans le Groupe de Chasse n°5 Squadronh 2/9 Auvergne secteur Postal 99088 comme sergent spécialiste ayant acquis le Brevet supérieur de technicien électricien de l’aviation délivré le 8 mai 1944.
Démobilisé en France le 18 décembre 1945, il décida d’y entreprendre des études qu’il eut terminées à la fin de l’année universitaire 1950-1951. Son souci de servir lui a valu la confiance de ses camarades qui l’ont porté à la tête de l’Association des Etudiants Africains de Paris dont il a été membre fondateur comme de la Fédération des Etudiants Africains en France dont il a été le Président du Bureau provisoire puis le Secrétaire général jusqu’à son départ de France en décembre 1951.
A cette date, il a rejoint son premier poste comme professeur au Collège de Rosso en Mauritanie renonçant volontairement à la poursuite de plus longues études auxquelles ses résultats lui destinaient pour venir rapidement se mettre au service de son peuple. Deux ans plus tard, il fut appelé à diriger le bureau d’éducation de base à l’Inspection d’Académie du Sénégal et de la Mauritanie à Saint-Louis du Sénégal.
Amadou Mahtar MBOW porte le sacerdoce dans ses veines. Sa combativité pour la transformation des conditions sociales de nos paysans en est une parfaite illustration. En effet, il passa des années auprès des paysans sénégalais dont il partageait, des mois durant, les dures conditions de vie et les activités, s’efforçant de leur apporter des innovations susceptibles d’améliorer leurs conditions d’existence et leurs activités productives.
A cet effet, il sillonna les pistes impraticables du Sénégal d’alors des heures, des nuits et des journées dans différents villages du nord, du sud et de l’est, de Darou Mousty en pays arachidier à Badiana dans les rizières de la verte Casamance, de Gaé dans le Walo à Sénoudébou sur la Falémé et Dembakané à l’amont de Kanel. Il passa également une partie de sa vie à Fouta et Effoc en pays floup ou à Mangaroungou en pays Balante.
Ce furent sans doute, comme disait-il, quelques-unes des années les plus exaltantes d’une vie (…). « C’était une vie exaltante car le diplômé de la Sorbonne que j’étais renouait avec ses racines terriennes de cette terre de Ndiambour où j’ai grandi et où, comme tout fils de paysan, j’y étais confronté aux difficiles réalités d’une agriculture peu productive soumise aux aléas d’une pluviométrie souvent déficitaire, d’un sol appauvri par l’excès d’exploitation et des attaques des prédateurs. Il était dur, comme je le faisais avec mon père, de cultiver l’arachide, le mil, le niébé, le gadianga, pour des récoltes parfois aléatoires », affirme le Pr. Amadou Mahtar MBOW.
Le premier Sénégalais à avoir dirigé le Ministère de l’Education et de la Culture
Dans sa carrière d’enseignant, il a été également professeur au Lycée Faidherbe, au Collège Blanchot et puis encore au Lycée Faidherbe, avant de devenir professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Dakar. Sa vie sera marquée aussi par ses engagements politiques. Il fut le premier Ministre sénégalais chargé de l’Education et de la Culture sous la loi Cadre dans le gouvernement formé le 20 mai 1957. Il démissionna en décembre 1958 pour s’engager dans la lutte pour l’indépendance de son pays qui sera effective en 1960. A la suite de cette démission, il sera remplacé à ce poste par Boubacar GUEYE, le 27 décembre 1958. Pendant cette autonomie interne, le gouvernement fut dirigé par Monsieur Pierre Lami, président du Conseil du Gouvernement du territoire du Sénégal. Monsieur Mamadou DIA fut son vice-président. Après cette première et riche expérience des affaires, Amadou Mahtar MBOW fut opposant politique pendant huit ans. Il sera ministre de nouveau sous le président Léopold Sédar SENGHOR, le 15 juin 1966. Il retrouva ainsi le maroquin de l’Education nationale. A la suite d’un remaniement survenu le 09 mars 1968, il fut reconduit au même poste. A cette même date, Abdou DIOUF fit son entrée dans le gouvernement et prit la tête du ministère du Plan et de l’Industrie. Suite aux événements de mai 1968, le président SENGHOR procéda à de nouveaux changements, le 06 juin 1968. Monsieur MBOW devint alors ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Un énième remaniement intervint sous Senghor et entraina de grands chamboulements. Le président de la République créa le Poste de Premier ministre en 1970. Abdou DIOUF fut nommé à la tête de la Primature, le 26 février 1970. Deux jours après, le 28 février, il forma son Gouvernement composé de Seize (16) membres dont quatre (4) Secrétaires d’Etat parmi eux Adama DIALLO. Ce dernier est le père de l’actuel leader du Mouvement Tekki Mamadou Lamine DIALLO. Monsieur Adama DIALLO fut plus exactement Secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre Abdou DIOUF, chargé du Plan. Ce fut le deuxième départ du gouvernement pour Amadou Mahtar MBOW. Il fut également député à l’Assemblée nationale dans sa carrière politique. En tant qu’autorité, il a été témoin oculaire de la crise de 1968 dont il dit avoir vécu dramatiquement les péripéties. A ce titre, il avait promis de révéler un jour beaucoup d’aspects peu connus ou volontairement biaisés de mai 1968 et rendre justice notamment au rôle crucial joué par certaines personnes et en particulier l’armée sénégalaise dans son dénouement dans la paix.
Après cette longue expérience étatique, une carrière internationale s’ouvra devant lui. Il occupa des fonctions internationales comme Directeur général de l’UNESCO le 14 novembre 1974. Il assura cette prestigieuse charge jusqu’en 1984. Auparavant, il fut Sous-Directeur général de l’Unesco, chargé de l’Education de novembre 1970 à novembre 1974. Sa voix fut audible à l’international grâce à son action qui fut orientée constamment vers une meilleure compréhension mutuelle entre les peuples, vers une recherche de paix, de progrès et de l’équité dans les relations entre nations. En attestent ses nombreuses publications. Nous pouvons citer, entre autres, « Le continent africain », édition Claireafrique, Dakar 1965 ; « Propos sur l’éducation et la culture », Dakar 1970 ; « L’Unesco et l’avenir », UNESCO Paris (1974) ; « Le monde en devenir (réflexions sur le nouvel ordre économique international), Unesco Paris (1976), qui est son véritable chef-d’œuvre ; « Le Temps des peuples », Editions Laffront Paris (1982) ; « L’Afrique, Manuel de géographie à l’usage des élèves de l’enseignement secondaire des pays africains et malgaches d’expression française, Edition Hatier, Paris ; 1er volume – Des origines au VIe siècle (1969) ; 2ème volume – Du VIIe au XVIe siècle (1970) et « 3ème volume –Du XVIIe au début du XIX siècle (1975)
Bref, le Pr. Amadou Mahtar MBOW est aussi auteur d’une trentaine d’études et de communications sur les grands problèmes culturels, politiques, économiques, sociaux du monde, vus sous un angle africain, dans le cadre de l’Académie du Royaume du Maroc (voir publications de l’Académie de 183 à 2003). Au plan national, il a publié d’énormes ouvrages sur les Monographies diverses sur les villages du Sénégal. On peut citer, entre autres, « Enquête préliminaire sur le village de Badiana (Casamance), Education de base, St-Louis (Sénégal) », novembre 1953 ; « Enquête préliminaire sur le village de Dembakané (vallée du fleuve Sénégal), Education de base, St-Louis (Sénégal), mars 1954 » ; « Enquête préliminaire sur le village de Sénoudébou (Boundou), Education de base, St-Louis (Sénégal), mai 1954 » ; « Enquête préliminaire sur le village de Mangaroungou (Casamance – Balantacounda) », Education de base, St-Louis (Sénégal), avril 1954 et Education africaine, Dakar, Nouvelle série N°31, 1955 » ; « Enquête préliminaire sur le village de Gaya (Delta du Sénégal), Education de base, St-Louis (Sénégal), mai 1955 ».
Le premier Sénégalais à avoir reçu le Doctorat honoris causa
Son passage remarquable à la Direction générale de l’UNESCO (1974-1984) lui a valu plusieurs distinctions décernées par de prestigieuses universités internationales. Il est d’ailleurs le premier Sénégalais qui ait reçu le Doctorat honoris causa en 1974, à l’Université de Buenos Aires (Argentine). Il reçut les Doctorats honoris causa de l’Université de Grenade (Espagne) en Lettres et philosophie (1975), de l’Université Sherbrooke (Canada), en éducation (1975), de l’Université des West Indies (Kingston, Jamaïque) en Droit (1975), de l’Université de Nairobi (Kenya) en Lettres (1976), de l’Université de Moscou (URSS) en sciences sociales (1977), de l’Université Paris I (Sorbonne, France), 1977, de l’Université de Khartoum (Soudan) en Droit (1978), de l’Université de Beijing (Chine), 1983, de l’Université de Jawaharlal Nehru, New Delhi (Inde) en Lettres (1983) et de l’Université de Sokoto (Nigeria) en Lettres (1983), pour ne citer que ces universités. A noter que le Pr. Amadou Mahtar MBOW a reçu cinquante (50) doctorats honoris causa de différentes universités du monde. A côté de cette avalanche de distinctions universitaires, il est également détenteur de plusieurs médailles d’or (médaille d’or de l’Université Charles de Prague de Tchécoslovaquie, médaille d’or de l’Université de Halle-Wittenberg en République démocratique allemande, médaille d’or de l’Académie des Sciences de Mongolie, médaille d’or de l’Unesco (1974), médaille d’or d’Alesco et médaille d’or de l’Isesco. Le Pr. Amadou Mahtar MBOW milite dans plusieurs organisations internationales. Il est membre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer (France), membre d’honneur de l’Académie Royale des Beaux-arts San Telmo (Espagne), de l’Académie du Royaume du Maroc, membre étranger de l’Académie d’Athènes (Grèce), membre d’honneur de la Société Géographie, membre de la commission internationale islamique des Droits de l’Homme (International Council for Dawa’a and Relief) (Le Caire), Membre de l’Académie des études de la civilisation islamique du Royaume de Jordanie (Al-Beyt Fondation), entre autres organisations. Ce n’est pas tout. Il a été à plusieurs fois élevé au rang de citoyen d’honneur dans diverses villes africaines, européennes, asiatiques et sud-américaines. En 2011, il a reçu l’insigne de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur.
C’est cet engagement de toute une vie qui ne fut pas un long fleuve tranquille, qui vaut encore à cet homme balèze d’être sollicité pour apporter au service du peuple son expérience hors du commun. Comme ce fut le cas en 2008 lorsqu’il a été désigné pour présider les Assises nationales initiées par l’opposition d’alors regroupée au sein de la coalition Front Siggil Senegaal (FSS). En septembre 2012, le président de la République, Macky SALL, avait fait appel à Amadou Mahtar MBOW pour conduire les travaux de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI).
Durant son long parcours exceptionnel au Sénégal comme à l’international, sa ligne d’action a été basée sur la probité, l’intégrité et le sens du devoir accompli. C’est pourquoi, les jeunes d’aujourd’hui retrouveront une leçon d’inspiration de cette exemplarité. Pour la postérité, le président de la République, Macky SALL, a posé un acte symbolique de reconnaissance de la nation sénégalaise envers lui, en donnant le nom de Amadou Mahtar MBOW à l’Université de Diamniadio (UAM).
Pour ces services incommensurables rendus à son peuple et à l’humanité, avec désintéressement et générosité, nous avons choisi ce 20 mars 2021, date durant lequel Amadou Mahtar MBOW fête ses 100 ans, pour lui rendre un hommage appuyé en tant que grand leader aux qualités exceptionnelles.
Puisse Le Maître de nos destins garder encore et encore, ce grand patriote, serviteur des causes justes !
Boubacar Demba SADIO, journaliste