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Amadou Mahtar Mbow, Pionnier De L’ecole De Base Et Militant De L’indÉpendance Nationale

Amadou Mahtar Mbow, Pionnier De L’ecole De Base Et Militant De L’indÉpendance Nationale

Une jeunesse studieuse et militante, le mariage

Mahamadou Lamine Sagna, l’auteur de “Amadou Mahtar Mbow, une légende à raconter”, continue de nous entrainer dans les méandres de l’itinéraire de ce géant du siècle, après nous avoir conté son enfance et son adolescence.

Le baccalauréat en poche, le jeune Mahtar s’inscrit en Histoire à la Sorbonne. Ce haut lieu du Savoir sera le point de rencontre avec beaucoup d’étudiants africains et sénégalais. Parmi, eux, Abdoulaye Ly avec qui je me suis lié d’amitié. C’était un grand frère.

Tous, se retrouvent dans une association qui regroupe les étudiants des colonies africaines et antillaises, qu’ils ont décidé de créer. Ce nouveau réceptacle de l’identité des étudiants noirs à Paris et aussi de leurs revendications corporatistes sera le lieu pour sceller l’amitié des deux jeunes compatriotes qui ne tarderont pas à constater la convergence de leurs idées nationalistes.

Mais, très vite, ils se sentiront à l’étroit dans ce cercle, en rêvant de perspectives plus ambitieuses :

Nous décidons de créer un groupe ensemble pour essayer de préparer les étudiants africains à lutter plus tard pour l’indépendance de leurs pays, à leur retour en Afrique. Nous sommes sortis de l’Association des Étudiants Coloniaux – ce que nos amis antillais n’avaient pas apprécié d’ailleurs – pour créer l’Association des Étudiants africains. Je deviendrai le président de cette association de 1948 jusqu’en 1951.

L’ancêtre de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) venait de naître. Pourtant, à la création de celle-ci, les deux amis ne seront pas de la partie, chevillés qu’ils étaient à leurs convictions nationalistes et surtout, jaloux de leur autonomie de pensée et d’action :

C’est quand nous sommes partis que la FEANF a été créée. Nous refusions d’être inféodés ou d’être impliqués dans des activités de quelque parti que ce soit. Socialistes, Communistes, Droite, Gauche, ce n’était pas notre affaire ; nous tenions à nous occuper plutôt de notre continent.

Allergiques au contrôle que les partis dominants de la France de l’époque s’évertuaient et parvenaient effectivement à imposer aux mouvements et organisations des pays ‘d’outre-mer’, nos deux militants nationalistes s’étaient fait leur propre religion sur les questions politiques:

Nous pensions qu’il fallait arriver quand même à un socialisme adapté à nos réalités.

Ainsi, tout en fréquentant les groupes de Gauche, Mahtar et ses amis se gardaient de les intégrer. Se méfiant des visées du bloc soviétique, ils avaient leur petite idée derrière la tête :

Et je pensais qu’à l’instar de Staline, les communistes étaient pour la colonisation.

Cependant, la soif d’apprendre l’emportant sur tout le reste, ses craintes et appréhensions, fondées ou non, ne l’empêchaient pas de lire les œuvres d’Engels, de Marx, Trotsky, Lénine, Bakounine… Mais, il faudra bien noter que ses lectures étaient encore beaucoup plus diversifiées : Montaigne, Montesquieu, Rousseau, Spinoza, Descartes, Hegel etc. Sur l’insistance de l’auteur, il précise :

On avait une bibliographie nourrie ; on lisait des livres et on lisait tout ce qui était publié sur l’Afrique : Maurice Delafosse…

La formation perpétuelle en marche.

Pendant ce temps, le Destin attendait le jeune Mahtar pour son rendez-vous de la vie. Cette rencontre qui va déterminer le restant de sa vie…

J’ai rencontré mon épouse en 1950 à la Sorbonne. Elle était très charmante, belle, intelligente et cultivée. Nous nous sommes mariés en 1951, j’avais 30 ans.

Et aujourd’hui encore, le centenaire continue, comme un gamin de seize ans, à clamer sa flamme (les témoins de la cérémonie officielle de son centenaire ne diront pas le contraire) ! La symbiose avec l’Amour avec qui il a généré une grande fratrie :

Nous avons eu deux filles et un garçon, neuf pe- tits-enfants, et pour le moment cinq arrière-petits-enfants. Elle a étudié l’histoire et la géographie comme moi. Mon épouse est Haïtienne.

Le jeune homme, dans le même élan, termine ses études avec une licence en Histoire et Géographie et s’empresse de retourner au pays natal pour se mettre à son service.

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Retour au pays natal de l’enseignant, le pionnier de l’Éducation de base au Sénégal

Son pays, c’est le Sénégal, mais c’est aussi l’Afrique, en particulier la Mauritanie voisine qui partageait avec le Sénégal la même capitale, Saint-Louis. Et c’est dans ce dernier pays que l’administration coloniale qui voulait l’éloigner de sa nation d’origine pour l’empêcher d’y semer ses ‘idées subversives’, l’affecta pour son premier poste.

J’arrivais en Mauritanie, la licence d’histoire et géographie en poche. Jeune professeur. Je devais enseigner… Et Lamine, tu sais quand la vocation de transmettre vous anime, c’est toujours avec passion et abnégation qu’on s’y lance, quel que soit l’endroit où l’on vous affecte.

Le jeune professeur s’adapte rapidement à sa nouvelle situation dans ce pays où les séquelles du système esclavagiste sont encore vivaces. Son intégration parmi la population lui confère rapidement un prestige et une audience qui lui vaudront même d’intervenir pour obtenir des autorités administratives, judiciaires et traditionnelles… l’affranchissement total d’un ancien esclave. Cette séquence de la vie du jeune professeur laissera des traces. Sous l’interrogatoire impitoyable de son ami, Le Vieux confesse :

Cette histoire et sa résolution m’ont marqué.

La vocation du jeune professeur ne le quittant jamais, celui-ci, encore en service dans le pays voisin, continuait une réflexion approfondie sur la question de l’Éducation de base au Sénégal. Le prélude du retour au pays natal.

L’éducation de base en faveur des populations déshéritées était un projet de l’Unesco. Mais pour la pratiquer, il fallait des enseignants qui parlent le langage des populations. Comme j’étais le seul dans l’académie Sénégal-Mauritanie Ouest, on est venu me solliciter et j’ai accepté. J’ai quitté donc le collège de Rosso pour l’inspection d’académie à Saint-Louis pour créer et diriger le service.

Mais qu’est-ce que l’éducation de base ? Quels sont les principes qui la sous-tendent ? Questions et réponses qui interpellent l’enseignant par vocation, doublé du politique soucieux des conditions de vie et du devenir des populations, singulièrement celles Rurales :

Comment faire pour sortir les populations rurales des difficultés existentielles ? L’éducation de base m’a fourni des méthodes et outils pour améliorer leurs conditions de vie. J’étais persuadé que l’efficacité des politiques publiques dépend de la participation des personnes concernées c’est- à-dire du dialogue entre les parties prenantes. D’où l’impératif de s’informer, écouter, entendre et savoir parler aux gens.

Et ici, nous avons droit à un cours sur la ‘Méthode Mbow’, suite au questionnement avide de l’auteur. Humilité, approche de terrain, enquêtes, investigations, dialogues, participation inclusive, consensus, état des lieux, diagnostic…

Nous avons ainsi implanté l’éducation de base, dans plusieurs villages : Gaïa dans le Waalo, Dembankané en pays Soninké, près de Bakel, Sénoudébou dans le Boundou, Mangaroungou en pays Ballante et en Basse Casamance, à Badiana, Effok et Youtou.

Traversant le territoire du Sénégal, du nord au sud, d’est en ouest, comme suivant la morale du fabuliste : creusant, fouillant, bêchant, ne laissant ‘nulle place où la main ne passe et repasse’.

A chaque fois, nous construisions avec les populations des écoles et des centres de santé, dont nous assurions la dotation de base.

Les anecdotes croustillantes ne manquent pas alors. L’accouchement qui se fait à même le sol par l’infirmière de l’équipe pédagogique qui s’arme d’un tesson de bouteille pour couper le cordon ombilical. La bataille contre les rabs qui étaient censés avoir emporté le bébé décédé suite aux conditions d’accouchement pour le moins empiriques et douloureuses. L’autre bataille contre la bilharziose avec un autre membre de l’équipe multidisciplinaire, le médecin-colonel Raoult (père du célèbre professeur, héraut de la lute contre cette pandémie fatale d’aujourd’hui, le covid 19). Cette bilharziose, pour la combattre, il a fallu procéder à… l’élevage de canards !… Trouvaille révélée par le médecin de service.

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Comme quoi, l’Éducation mène à tout… quand elle est vécue comme un sacerdoce et lorsqu’elle est bien pensée. À partir des besoins des populations cibles et dans le dessein de servir exclusivement celles-ci.

“L’intégration des masses” par le dialogue et la pédagogie au service de ces mêmes masses, tel est le crédo de l’Éducation de base. C’est cela la ‘Méthode Mbow’, du nom de ce grand pionnier, en la matière, et selon le mot de l’auteur-intervieweur.

Cependant les grands enjeux et querelles politiques de ce Sénégal de pré-indépendance ne pouvaient laisser indifférent cet enseignant dans l’âme, tout concentré qu’il était à ses recherches et démarches pédagogiques.

L’engagement politique et la lutte pour l’Indépendance

Les ‘événements de Kagnabon’, paroxysme des affrontements entre partisans de Lamine Guèye et ceux de Senghor dans le département de Bignona, serviront de déclic au jeune professeur, alors adoubé par les populations casamançaises.

C’est alors qu’avec quelques amis, nous avons décidé de nous engager en politique. Il fallait non seulement transformer le pays, mais aussi construire une nation solidaire dans la paix. Ainsi, nous avons décidé d’aller voir Senghor, élu député du Sénégal et que nous connaissions depuis longtemps déjà en France pour lui proposer nos services. Il s’agissait pour nous du bien-être de la Nation.

On pourra se demander, comme s’enquit du reste l’auteur : pourquoi le choix de Senghor ? Le militant au service des populations rurales n’a aucune hésitation pour répondre :

Il faut dire qu’après les élections de 1956, nous avons vu que Senghor avait vraiment avec lui les masses populaires, les masses paysannes. Même les syndicats partageaient sa vision. Cependant, très peu de cadres le suivaient. Et nous voulions constituer un bon groupe de cadres et d’intellectuels pour le parti.

Mais si les nouveaux adhérants ont rejoint le BDS (Bloc Démocratique sénégalais), “le parti de Dia et Senghor” (où Amadou Mahtar Mbow fut désigné SG Adjoint), c’était pour se donner tout de suite un grand chantier, celui de la réunification de tous les grands partis de l’époque, avec la bénédiction de leur nouvelle formation politique.

C’est ainsi qu’après moult tractations, la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), parti socialiste sénégalais de  Lamine Guèye, l’UDS (Union Démocratique sénégalaise) d’Ablaye Guèye, Thierno Bâ et Doudou Guèye, parti de gauche, section-RDA, ainsi que les syndicalistes comme Ibrahima Sarr et Assane Diop Pathé, et aussi des intellectuels tels que Assane Seck et Doudou Thiam… tous ont été invités à cette oeuvre d’unification.

Ensuite nous avons lancé un appel et nous avons fini par opérer une première fusion entre le BDS, l’UDS, des anciens du RDA et des dissidents de la SFIO comme Abdoulaye Fofana. Mais c’est en 1958 que nous avons fusionné avec le parti de Lamine Gueye pour former l’UPS (Union Progressiste Sénégalaise).

Ces Cadres politiques, pour un bon nombre d’ardents nationalistes aspirant à l’indépendance de leur pays (alors sous domination coloniale depuis près de trois cents ans), étaient prêts pour intégrer un gouvernement autonome; ce sera celui de la Loi Cadre :

J’étais le premier ministre de l’Éducation, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Il faut savoir qu’il y a eu deux étapes dans le fonctionnement de la loi-cadre.

C’est l’occasion, nouveau moment de bonheur, avec la complicité de l’auteur curieux, de nous délecter d’un autre cours magistral, cette fois-ci une leçon d’histoire sur la Loi Cadre et le Conseil du Gouvernement. Instance dont Mamadou Dia fut le premier (et le seul) président sénégalais, après une revendication aboutie des nouveaux dirigeants qui ne voulaient plus de la présidence du Gouverneur de la colonie, naturellement un Français !

1958, ce fut l’avènement du Général Charles de Gaulle qui prit le pouvoir en France. Aux colonies d’outre-mer, il proposa un referendum.

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De Gaulle a abordé la question sur un terrain précis : il a posé la question de savoir : « ceux qui votent « Non » au référendum prendront leur indépendance de suite, et ceux qui votent « Oui » resteront dans la Communauté. »

Le choix des dirigeants sénégalais fut d’abord net et clair:

Nous avons décidé que nous voterions « Non » et nous nous préparions à une certaine confrontation. Pour nous, il fallait que nous soyons unis en Afrique pour gagner.

Le congrès convoqué en juillet 1958 à Cotonou par les partis de l’ex-AOF confirma cette option pour l’ensemble des territoires de cette entité. Ce congrès consacrera, du reste, la naissance du PRA (Parti du Regroupement Africain), intégrant tous les partis présents. Les prémices d’une future unité africaine, tout au moins au niveau de la région occidentale.

Toutes les délégations étaient unanimes : indépendance immédiate et fédération africaine.

Au niveau de la délégation sénégalaise, les choses s’avérèrent plus complexes.

La délégation sénégalaise se réunit. Mamadou Dia (Chef de la délégation) nous propose de voter pour la Communauté. Toute la délégation refuse sa suggestion. « Nous votons pour l’indépendance du Sénégal. » Et nous rappelons avec insistance à Dia qu’il n’est que notre porte-parole. Il faut reconnaître qu’à Cotonou, même si Dia ne partageait pas notre point de vue, il s’était plié à la décision générale de voter contre le régime de la Communauté proposée par De Gaulle.

Les germes de la division étaient nés et c’était le prélude aux tiraillements, aux trahisons, à la division. Le ver était dans le fruit. Pourtant, Mamadou Dia s’est montré sportif, chevaleresque :

Mamadou Dia nous a rassurés : « je suivrai la décision que vous avez prise. » Et il a respecté cette décision.

La suite des événements fut autre.

Lorsque nous sommes rentrés à Dakar et nous nous sommes réunis au Sénégal pour décider en définitive de l’option à prendre en septembre 1958. Senghor devait faire le rapport politique du congrès de Cotonou, mais ne l’a jamais fait. Et au contraire, il demande au parti de voter pour la Communauté.

La réponse apportée à Senghor fut des plus catégoriques :

Nous lui avons dit « niet » ! Il a fait tout pour que nous votions la Communauté proposée par de Gaulle. Mais, nous, nous voulions suivre les conclusions du Congrès de Cotonou où le PRA qui regroupait tous les partis de l’Afrique occidentale a demandé de voter pour l’indépendance immédiate.

Mamadou Dia restera fidèle à Senghor. La scission éclate. Le PRA-Sénégal est créé par les dissidents indépendantistes. En conséquence, Amadou Mahtar Mbow quitte le gouvernement.

Les dés étaient jetés. Une revendication d’indépendance mal partie. Dans la division. C’est dans ce contexte que Charles de Gaulle arrive à Dakar, avec son fameux discours face aux ‘Porteurs de Pancartes”, réclamant bruyamment l’indépendance. En vain.

Senghor est absent du pays. Mamadou Dia est absent du pays. Amadou Mathtar Mbow?

Moi, je n’étais pas là. J’étais en voyage aux États-Unis. J’avais été invité par le gouvernement américain en tant que ministre de l’Éducation du Sénégal. Je suis rentré au début du mois de septembre.

Valdiodio Ndiaye sera préposé au service pour remplacer Mamadou en tant que Premier ministre. Et pour lire “le discours qui a été préparé par l’UPS, section sénégalaise du PRA.”

Son courage et son éloquence, en dépit de l’option de son parti, auront soulevé l’enthousiasme de la foule, mais ne nous donneront pas ‘l’indépendance immédiate’.

Le PRA-Senegal, le nouveau parti de Mbow et ses amis, va désormais faire face au parti dominant ou ‘parti unifié’, l’UPS, ex-section sénégalaise du PRA.

Pour d’autres batailles à venir.

A suivre…

obeye@seneplus.com

Première partie : RACONTER AMADOU MATAR MBOW







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