« Inventez une charlatanerie, n’importe laquelle, vous trouverez toujours des hommes qui diront que ça marche, tant notre besoin d’illusion est intense. » Boris Cyrulnik
Il existe au Sénégal une fâcheuse habitude qui consiste à imputer la responsabilité de beaucoup de choses qui nous arrivent – bonnes ou mauvaises – à quelque force occulte. Aussi y assiste-t-on à une propension inquiétante à l’irresponsabilité chez nombre de gens.
Quand l’équipe nationale de football joue un match et le perd, les causes de la défaite sont à chercher dans des groupes dissidents – parfois d’anciens dirigeants mécontents – qui ont agi à l’ombre pour lui barrer la route menant au succès. Quand un lutteur est terrassé…ce sont ses rivaux des écuries adverses qui se sont mystiquement ligués contre lui pour qu’il perde son combat. Quand un trésorier détourne l’argent de la caisse dont il avait la charge, il dit avoir agi sous l’emprise de forces mystérieuses. Quand les affaires marchent très bien pour quelqu’un, les mauvaises langues lui disent : sama waay ji paa bi la yor temps yi baax na de ! Xaana doonu boole ak moom ? En revanche, si tout va au ralenti ou ne marche pas du tout, ce sont généralement ces mêmes personnes qui lui disent: war nga jog sa bopp ; dafa melni dañu la joob. Dés lors, on a l’impression que les gens ne sont plus responsables de leurs actes; qu’ils sont devenus des pantins à la merci de forces invisibles et puissantes qui les manipulent et les poussent à agir à leur guise. Ce n’est, par conséquent, guère étonnant d’assister à la montée en flèche du nombre de vendeurs de poudre de perlimpinpin dans le pays. Le charlatanisme y est devenu une sorte de nouveau sport national très prisé. Jadis très discrets et vivant souvent dans des zones reculées, les marchands d’illusions essaiment aujourd’hui vers les grandes villes, notamment vers la capitale du pays. Leurs activités deviennent de plus en plus florissantes grâce aux médias – qui en font la promotion- où ils sont fréquemment invités et au nombre de leurs clients qui ne cesse de grimper.
En tant que musulman, ce serait toutefois contredire le saint coran que d’essayer de nier les méfaits causés par les fétiches, la magie….Pour en avoir le cœur net, il suffit juste de s’arrêter entre autres au Verset 102 de la Sourate 2. Dans celui-ci – parlant des féticheurs et des personnes de leur engeance – le Bon Dieu nous fait savoir qu’ils sont capables de semer la désunion entre un mari et son épouse. Ce qui est très significatif! Car ces deux personnes sont la base d’une famille, et partant d’une nation. Mais, ajoute-t-il – certainement pour rassurer les croyants – qu’ils ne peuvent nuire à personne qu’avec sa permission. Le prophète de l’Islam (PSL) a aussi abondé dans le même sens dans sa Sunna en enseignant beaucoup d’invocations pour se prémunir ces faiseurs de mal.
Mais dans notre pays, la religion est parfois pratiquée à la carte. Ce qui explique qu’il ne soit rare de voir certaines personnes aller à la mosquée et se rendre à l’instant d’après chez les vaticinateurs de toutes sortes. Si d’aventure tu leur rappelles que la religion le leur interdit, ils te serinent souvent les mêmes arguments : booy, fii boo bëréwul, gaa yi bëré dal sa kaw, l’Afrique a ses réalités et mystères…comme pour se tranquilliser l’esprit. Si les marchands d’illusions avaient le pouvoir qu’ils prétendent détenir ou qu’on leur prête, une équipe africaine de football aurait gagné la coupe du monde depuis longtemps, et notre équipe nationale n’éprouverait pas tant de difficultés ne serait-ce que pour gagner une grande compétition continentale – pour juste donner ces exemples parmi tant d’autres. De plus, il eût été plus sensé de voir les clients de ces prétendus faiseurs de miracles utiliser leurs pratiques occultes à des « fins utiles » pour eux ou pour la société. Mais dans la majorité des cas, ils s’en servent pour détruire une vie, briser une union, stopper l’ascension d’une étoile montante, séparer une famille, semer un climat de suspicion ou la zizanie dans leur milieu professionnel ou familial. Bref, que pour faire du mal à autrui.
Le fait de s’adonner souvent à telles pratiques pousse non seulement ceux qui en font usage à ne jamais faire leur autocritique ou à remettre en question leur part de responsabilité dans les malheurs qui leur arrivent, mais il éclipse leur pouvoir d’agir et les pousse dans une perpétuelle fuite en avant. Par conséquent, ils ne croient plus ni aux vertus de l’effort ni à leurs capacités en tant qu’être humain doué de raison et doté d’autres pouvoirs extraordinaires. Ils préfèrent alors avoir un bon « marabout » plutôt que d’avoir les bonnes compétences requises pour entreprendre quelque activité, et ils pointent souvent du doigt les autres comme étant la source de leurs malheurs.
Le moment est enfin venu de se réveiller et de nous départir de ces tares qui nous confinent dans un confort illusoire. N’oublions pas que nous sommes à l’ère de l’Internet et des Tics. Il est incroyable de voir ce que font faire certains charlatans à leurs clients: déterrer un mort pour s’emparer d’un de ses membres, se baigner nu au milieu d’une rue, sacrifier des vies humaines… Si ces clients prenaient un petit moment pour réfléchir, ils verraient qu’ils (les charlatans) se jouent d’eux dans la très grande majorité des cas, pour ne pas dire toujours. Car ils ont plus besoin d’argent, de réussite et de bons boulots… Pour tout dire : de nombre de choses qu’ils leur promettent. Il serait utile de méditer ces derniers de Frantz Fanon, qui ferment Peau noire, masques blancs : « Ô mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge. »
Puisse Dieu nous protéger des méfaits pouvant provenir découler d’actes de personnes malintentionnées. Puisse-t-Il surtout nous préserver notre bon sens! Ce qui fait de nous des humains.